La 24è édition a confirmé l’intérêt grandissant des citoyens pour cet exercice original de la démocratie malienne. Les organisateurs ont retenu 246 dossiers dont 38 ont fait l’objet de lecture publique. Le nombre des demandes d’interpellation est en hausse par rapport à l’année dernière.

Agora originale malienne inspirée de la pratique démocratique directe depuis la Grèce antique, l’Espace d’interpellation démocratique (EID) est un exercice qui, depuis plus de deux décennies, donne le droit aux gouvernés d’interpeller directement les gouvernants. Sa 24è édition a eu lieu hier au Centre international de conférence de Bamako, en présence du Premier ministre, Dr Boubou Cissé et de plusieurs membres du gouvernement. L’invité d’honneur de cette année était Mbari Calixte Aristide de la Commission de l’Union africaine et Aguibou Bouaré, président de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH) en était l’invité spécial.
Pour cette 24è session, le secrétariat permanent de l’EID a enregistré 465 demandes d’interpellation contre 454 en 2018. La commission préparatoire, après dépouillement et analyse, en a retenu 246 dont 38 dossiers pour lecture publique et 208 pour suite à donner par les départements ministériels concernés. Les 219 dossiers restants n’ont pas été retenus pour défaut de conformité avec les critères définis par le règlement intérieur de l’EID.
Le jury d’honneur de cette édition, présidée par Me Soyatta Maïga, présidente sortante de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples, était composé de Mme Awa Nana Daboya, Médiateur de la République du Togo, de Catherine Choquet, militante des droits de l’Homme, de Thierno Hady Thiam, représentant du Haut conseil islamique du Mali, des représentants du Barreau malien, du Collectif des femmes du Mali et de la Conférence épiscopale du Mali. Les personnes ressources accompagnant ce jury sont l’ancien ministre de la Communication et membre de la Haute autorité de la communication (HAC) Gaoussou Drabo et Mahamadou Sissoko, ancien secrétaire permanent de l’EID.
Après l’installation des membres du jury, le Médiateur de la République, Baba Akhib Haïdara, qui a ouvert les travaux, a indiqué que l’EID est certes une singularité de la démocratie malienne, mais son principe est consubstantiel à toute démarche vers une démocratie africaine moderne et conforme aux objectifs visés par la Charte africaine de la démocratie.

 

MÊMES VALEURS- Baba Akhib Haïdara a rappelé que depuis l’adoption par l’Assemblée nationale de la loi n° 2016-036 du 7 juillet 2016, la Commission nationale des droits de l’Homme est l’institution nationale des droits de l’Homme et le mécanisme national de prévention de la torture. Dans ses missions, cette nouvelle autorité administrative indépendante partage avec son institution, la promotion des mêmes valeurs de respect de l’État de droit et de bonne gouvernance.
Par ailleurs, le Médiateur de la République a souligné une croissance de la participation de nos concitoyens aux sessions de l’EID depuis 5 ans. D’après lui, de 206 demandes d’interpellation en 2015, elles sont passées successivement à 234 en 2016, à 290 en 2017, avant de connaître un bond avec 454 en 2018 pour arriver à 465 en 2019. En faisant une analyse statistique de l’origine de ces demandes, Baba Akhib Haïdara dira que la participation des populations vivant dans les régions a connu une évolution. Pour étayer ses propos, il a précisé qu’en 2015, plus de 60% des demandes émanaient des régions. En 2016, ce pourcentage était supérieur à 56%, en 2017, il remontait à 60% pour atteindre 80% en 2018. Et ce taux se situe cette année au-dessus de 67%.
Par ailleurs, Baba Akhib Haïdara a relevé la faible participation des femmes depuis 5 ans. Mais également des Maliens de l’extérieur avec seulement quatre demandes d’interpellation pour cette 24è session de l’EID. Afin d’améliorer leur participation, dira-t-il, un projet est en cours de réalisation pour instituer des correspondants du Médiateur de la République dans les ambassades et consulats.

TERREAU FAVORABLE- De son côté, le président de la CNDH a invité le gouvernement à veiller à la mise en œuvre des recommandations pertinentes des différentes éditions de l’EID pour donner un sens à cet exercice. Selon Aguibou Bouaré, cette édition de l’EID se passe alors que le pays est en guerre. Une guerre asymétrique à lui imposée par les forces obscurantistes ayant perdu toute humanité, ignorant tout sens de la dignité humaine. Ainsi, à son corps défendant, soulignera-t-il, notre pays est devenu un terreau favorable à des violations et abus de droits humains multiples, récurrents souvent graves.
Aguibou Bouaré s’est inquiété des proportions que prennent les conflits intercommunautaires dans les Régions de Mopti et Ségou, sources également de violations gravissimes des droits humains. Avant d’attirer l’attention des autorités sur la violation des droits humains en lien avec l’esclavage par ascendance qui nécessite une prise en charge rigoureuse par anticipation pour éviter le pire à travers l’adoption d’une loi l’incriminant avec ses pratiques assimilées. Mais aussi, une loi sur la prévention et la répression des violences basées sur le genre assortie d’un mécanisme de prise en charge des victimes. Le représentant de la Commission de l’Union africaine, Mbari Calixte Aristide, a exprimé sa satisfaction et son appréciation pour cette initiative qui honore les services du Médiateur de la République, les autorités et le peuple maliens. Selon lui, c’est une initiative admirable qui mérite de faire école ailleurs dans d’autres pays d’Afrique. Car ces sessions permettent aux citoyens de s’exprimer et de partager leurs préoccupations avec les dirigeants et aux pouvoirs publics d’être informés du quotidien des populations pour trouver des réponses appropriées à leurs attentes.
Plusieurs organisations de défense des droits de l’Homme ont apporté leurs contributions lors de cette cérémonie. Il s’agit d’Amnesty international, du Regroupement pour la défense des consommateurs du Mali (Redecoma), de l’Association malienne des droits de l’Homme (AMDH), le CN-CIEPA/WASH, etc. Ces organisations ont salué l’initiative de l’EID, appelant à punir les auteurs d’atteinte aux droits humains dans les Régions Nord et dans celles de Mopti et Ségou. Elles ont aussi dénoncé l’esclavage et ses pratiques assimilées dans la Région de Kayes, avant de plaider pour l’adoption d’une loi contre les Violences basées sur le genre, contre l’esclavage, pour la satisfaction des besoins essentiels des consommateurs, pour la réparation des erreurs judiciaires des magistrats.

Dieudonné DIAMA

Source: Journal l’Essor-Mali