Dame N est réputée être une Djinètigui, une de plus qu’on rencontre de plus en plus dans les banlieues et quartiers reculés de la capitale.

 

Les djinètigui, ce sont ces personnes qui entretiennent commerce avec les génies (Djinè en bamanankan, pas si éloignés que çà des Djinns, du moins par la terminologie !). Et Dame N passe pour en avoir de très fructueux avec les génies.

N’est-elle pas sollicitée constamment par nombre d’entre nous en quête de fortunes heureuses pour soi (et infortunes pour nos prochains, la plupart du temps aussi !) ? Parmi ces clients assidus, un ancien Ministre de IBK, aujourd’hui à l’internationale où il a d’ailleurs fait l’essentiel de sa carrière. Au remaniement où il a dû plier bagage, il avait été invité à sacrifier un taureau noir pour conserver sa fonction. Probablement que les génies, parfois capricieux, n’ont pas accepté le geste, puisqu’il sera éjecté de son poste et avec peu d’honneur semble-t-il ! Ce qui explique que Dame N soit très prisée et doit sa fortune à une cohorte de désespérés en quête d’un sort promoteur.

Aussi a-t-elle élu domicile, et ce depuis quelque temps, à Kouloubléni, un quartier de la Commune I à la pointe extrême Est de Boulkassoumbougou. Kouloubléni a l’avantage d’être situé aux bords de Farakoba, jadis rivière torrentielle en hivernage qui se jette dans le fleuve Niger tout proche et qui a longtemps servi de frontière naturelle entre la région de Koulikoro et le District de Bamako. Le profond dénivellement en cet endroit de la rivière Farakoba, de surcroit bordée de sombres frondaisons d’anciennes mangueraies et donc parce que d’accès discret et peu fréquenté, sert de sanctuaire propice aux sacrifices rituels de la Djinètigui, boucs ou bœufs de préférence noirs pour les plus fortunés et pâte blanche faite de farine de mil macéré dans du lait déversée dans les eaux boueuses. Et pour son office, Dame N apparaît toujours en habit d’apparat d’inspiration vaudou, colifichets, grelots, grosses boules d’ambre jaune et queue de buffle obligatoire, accompagnant souvent un haut de forme des chasseurs traditionnels avec miroirs et deux cornes de boucs pointues s’ajoutent à ce tableau bigarré et colorié.

Au service de Dame N, une foule d’individus vivant à ses crochets, soit apprentis ou commis aux sacrifices (à égorger et dépouiller les carcasses) et géomanciens du sable, censés déchiffrer les 16 maisons (8 pour les génies et 8 pour les hommes) de la géomancie bambara, héritée de l’Immortel du Djitoumou, Balla Sabali A Ni Balla Kounounbali. Ces joyeux drilles, prisant allègrement le mélange des genres, ont nettement évolué ces derniers temps pour adjoindre aux cauris et sable, les secrets les mieux gardés du Saint Livre, l’Al Qoran ! Si bien que des sacrifices aux abords de la rivière asséchée, la troupe se transporte régulièrement en pleine brousse, donc très loin de Bamako, dans les contreforts du Méguétan, pour s’adonner, assure-t-on, à des séances de lecture complète du Saint Qoran et à de pieuses et profondes invocations.

BD, qui a aujourd’hui 23 ans révolus en a passé huit ans auprès de Dame N, la Djinètigui de Kouloubléni. Depuis son jeune âge et au grand désespoir de son paternel, ce natif de Kéléni, un village situé à quelques encablures de Koutiala est au service de la Djinètigui comme garçon à tout faire, sans rémunération aucune. Le père de BD dispose d’un potager qu’il exploite sur une parcelle à usage d’habitation non encore construite par son propriétaire, où il fait pousser plusieurs légumes saisonniers. Comme il n’a pas les moyens d’inscrire son fils à l’école, encore moins lui faire apprendre un métier faute de moyens de subsistance, le père de BD aurait souhaité le voir l’aider au potager, le temps d’accumuler quelques pécules pour s’en retourner un jour à Kéléni. Au bout de ce temps, BD est considéré comme faisant partie de la maisonnée de Dame N si bien qu’il était régulièrement associé à l’accomplissement des rituels sacrificiels.

Mais depuis quelques jours, les choses avaient pris une nouvelle tournure. La nouvelle tendance à la lecture du Qoran en pleine campagne entraînait le jeune homme très loin de Bamako, car le cadre idéal pour les invocations situé en pleine brousse ne se trouve plus à proximité de la capitale. C’est ainsi que lors d’une séance de lecture coranique, les aides adultes de Dame N, dont un de ses frères ou se faisant passé pour tel auprès des clients, feront boire une mixture à BD. Revenu dans un état second à la maison, les aides et conseillers de la Djinètigui continueront à faire ingurgiter l’étrange mixture au jeune BD sous le prétexte de le soigner car, assurent-ils, il aurait été possédé par un géni malfaisant. Et de fait, le jeune homme paraissait de plus étrange et devenait fébrile à la limite de la folie. Cet état fera ensuite place à une profonde léthargie et somnolence prolongée. Visiblement mûr, la Djinètigui et ses aides se proposeront alors de conduire le jeune homme en pleine pour brousse pour une séance d’exorcisme.

Mais sur ces entrefaites, certaines personnes connaissant bien le père du jeune homme s’empresseront de l’avertir de la situation de son fils et le mettront en garde. Car de plus en plus de personnes connaissant Dame N s’inquiètent des nouvelles tournures prises par ses pratiques, notamment le fait de délocaliser ses séances en pleine campagne et très loin de la ville et des regards. Et le père de se précipiter pour soustraire sans fils des griffes de la troupe de Dame N, menaçant au besoin de s’en référer au Commissariat du 12ème arrondissement tout proche. Durant quelques jours, le père du jeune BD recevra des appels nocturnes incessants et menaçants de voix masculines anonymes, se présentant pour certains comme des frères de Dame N, et de fidèles et collaborateurs de la Djinètigui pour d’autres, l’invitant à livre son fils pour l’indispensable exorcisme, sous peine de courroux des génies. Ce qui a convaincu le père de BD qu’il y avait anguille sous roche dans cette affaire et donc à accorder quelque crédit à ceux-là qui affirment que Dame N, la Djinètigui se serait engagée dans la voie des sacrifices humains, vu que sa clientèle aurait décuplé ces derniers temps, assure-t-on dans son voisinage, comme en témoignerait le nombre de véhicule 4X4 sombres qui se succèdent à sa porte, une fois la nuit tombée. L’atmosphère de campagne électorale ambiante réveille tous les vieux démons et donc toutes les vieilles inquiétudes. C’est pourquoi, le père de BD a décidé de le renvoyer au village, très loin de Bamako, où ses frères ont promis de recueillir leur neveu et de veiller sur lui.

BD, qui a aujourd’hui trouvé refuge auprès des siens, dans son village de Kéléni, semble l’avoir échappé belle. Si son père, en suffoque toujours de colère impuissante, BD lui en a les jambes encore flageolantes si elles ne peinent à supporter son corps aujourd’hui efflanqué comme s’il sortait d’une longue diète.

Source: La Révélation