Monsieur le président
C’est avec le cœur meurtri, presqu’en désespoir de cause que je vous adresse cette correspondance, qui est, si je peux le dire, ma dernière cartouche pour retrouver une vie digne. Je sais que vous avez un agenda chargé avec tous les défis qui se posent aujourd’hui à notre pays. Mais, je sais aussi que vous êtes un homme d’espoir, soucieux des conditions de vie de ses concitoyens. Je suis convaincu que vous êtes un homme qui se bat, tous les jours, pour que les Maliens puissent mieux vivre, vivre en paix, vivre dans la quiétude. L’un de vos soucis est la justice, indispensable pour l’Etat de droit.

 

Depuis plus de 30 ans, je suis victime de l’injustice dans mon propre pays. Mon espoir d’une vie meilleure s’est envolé. Malgré 33 jours de grève de la faim (entre août et septembre 2003), à laquelle j’ai mis un terme après des interventions des bonnes volontés et des organisations religieuses et de défense des droits humains. Mais près de 20 ans après, je suis resté sur ma faim.

Vous êtes, aujourd’hui, mon dernier rempart, comme vous l’êtes pour ces nombreux Maliens épris de justice et qui sont aujourd’hui sur des voies incertaines, à cause de ces sociétés étrangères qui n’ont ni respect, ni foi, encore moins de considération sur les conditions de vie des nationaux. Pour leur seul et propre intérêt, elles marchent sur tous ceux qui se trouvent sur leur chemin.

Après 14 années au service de l’Etat, j’ai décidé de me lancer dans le privé pour servir autrement mon pays, à travers l’ouverture de l’ » Officine des Martyrs  » en 1989, dans laquelle j’ai investi toutes mes économies. N’étant pas pharmacien de profession, je me suis associé à un pharmacien, conformément à la loi pour créer une SARL. Ce qui nous a permis d’obtenir la licence d’exploitation au nom de l’Office des Martyrs, sise à Médina-Coura.

Cette nouvelle aventure d’achat et de vente des produits pharmaceutiques,que nous avons entamée, sera écourtée par le ministère de la Santé et du Développement socialqui, par l’arrêté n°95-2460 du 8 novembre 1995, a procédé à l’abrogation de notre licence d’exploitation, au motif du départ du pharmacien professionnel. Or, la licence en question a été délivrée au nom de la société et non celui du pharmacien, qui avait été d’ailleurs remplacé.
Heureusement, au terme d’une procédure judiciaire dont je vous fais l’économie, la Cour suprême a annulé toutes les décisions d’annulation de licence du ministère de la Santé pour  » excès de pouvoir « .Ce qui aurait dû nous permettre de reprendre notre activité.

Mais ma joie s’est vite escomptée lorsque la société Laborex-Mali, filiale de la société française chargée de la distribution des produits pharmaceutiques, malgré la décision de la Cour suprême, annulant l’abrogation de ma licence d’exploitation ((arrêt n°13 du 14 mai 1998), a refusé de me ravitailler en médicaments, prenant à contre-pied une décision de l’institution judiciaire suprême du Mali. Un refus qui a empêché la reprise des activités au sein de notre pharmacie.Ce fut le début de ma vie de chômeur.

C’est ainsi que, sur renvoi de la Cour suprême, la Chambre civile de la Cour d’Appel de Bamako a, part arrêt n°38/19 du 18 décembre 2019, condamné la société Laborex-Mali à payer à la pharmacie des Martyres les sommes de 2,5 milliards de FCFA à titre de manques à gagner et de 1,5 milliards de FCFA à titres de dommages-intérêts. Pour ne pas s’acquitter de cette condamnation, Laborex-Mali a introduit une requête pour rétracter l’arrêt n°13 du 14 mai 1998, 22 ans après, alors qu’elle n’a pas la qualité requise pour cette rétraction, d’autant plus que cet arrêt ne mettait nullement en cause ses intérêts. Au contraire, il rallongeait la liste des clients de la société, donc lui offrait la possibilité de gagner des recettes supplémentaires. On se demande encore pour quel intérêt cette société s’est opposée à l’exécution de cette décision de justice.

Mon recours en révision contre cet arrêt n°276 du 9 avril 2020 de la Cour suprême a été déclaré, à la grande surprise des spécialistes du droit, mal fondé par la Section administrative de la même juridiction. Les confidences en off, que certains proches du dossier m’ont faites, sont des motifs de désespérance pour mon pays, mais il n’est jamais trop tard pour redresser la marche d’une nation, surtout celle qui a un passé glorieux comme le Mali.
La phase ultime de la procédure judiciaire, sur laquelle je fonde beaucoup d’espoir, tout en faisant confiance à la justice de mon pays, reste le recours en rectification dont je viens de déposer la requête. Je ne doute point, qu’à ce niveau,  » le droit, rien que le droit, sera dit « . Les juges des différentes Sections de la Cour suprême auront ainsi la latitude de réparer un tort, de rendre à César ce qui est à César, de sauver l’honneur et la dignité d’un digne homme, bafoué pendant plus de 30 ans, alors qu’il ne cherche qu’à apporter sa modeste contribution au développement socio-économique de son pays, à travers la mise à la portée des populations de produits pharmaceutiques.

En attendant cela, il me plait de soumettre à votre appréciation, mes éléments d’analyse de cette affaire, qui résultent, sans nul doute, de la violation de la liberté d’entreprendre d’un simple citoyen, laissé à la merci de la représentation de cette multinationale française. Il n’est un secret pour personne que ces sociétés étrangères piétinent allègrement les intérêts des citoyens et même des Etats africains où elles exercent. Elles sont spécialisées dans toutes sortes d’abus et disposent de tous les moyens pour charpenter les escaliers des juridictions.

C’est pourquoi, aujourd’hui, en votre qualité de président du Conseil Supérieur de la Magistrature, de Chef d’Etat, dernier Rempart des citoyens contre l’injustice, qu’il me soit permis de recourir à votre sagacité pour que je sois remis dans mes droits, en contraignant la société Laborex-Mali à s’acquitter de sa condamnation pécuniaire. C’est à ce seul prix que je retrouverais la paix intérieure, qui me ronge depuis plus de 30 ans, à cause de cette affaire. Ils sont nombreux ces citoyens qui sont dans la même situation, qui sont victimes des accointances entre ces sociétés puissantes et un pan de la justice pour fouler au pied les intérêts des paisibles citoyens.

Le Mali Kura dont nous rêvons tous, dont nous souhaitons et espérons tous l’aboutissement, ne peut être une réalisé si les droits des pauvres citoyens ne sont pas respectés, si les puissances étrangères continuent de croire que leurs moyens les autorisent à tout se permettre. Aboubacar Sidiki Coulibaly
Promoteur de la Pharmacie des Martyrs
Tél : 78 31 85 81

Source : L’INDEPENDANT