ANALYSE. Ouvert au dialogue avec les djihadistes, Mahmoud Dicko, fondateur de la Coordination des mouvements, associations et sympathisants (CMAS), assume désormais ouvertement d’être aussi un leader politique.

Par Patrick Forestier

Qu’on se le dise, le Mali vient de vivre un moment qui devrait rester dans les annales : celui où un puissant chef religieux musulman bascule ouvertement avec force structure, pour ne pas dire parti, dans le champ politique. Et l’imam Mahmoud Dicko ne le fait pas sur la pointe des pieds. En lançant, le 7 septembre dernier, la CMAS, la Coordination des mouvements, associations et sympathisants, le populaire imam Mahmoud Dicko n’a pas mâché ses mots. Devant 4 000 fidèles réunis dans le palais de la culture de Bamako, ce partisan d’un islam rigoriste a attaqué bille en tête les autorités. De quoi compliquer de plus en plus la tâche du premier d’entre elles, à savoir le président Ibrahim Boubacar Keïta. L’équation n’était déjà pas simple pour IBK, mais désormais celui-ci va devoir faire avec une célébrité dotée d’une autorité légitime. Un nouveau défi, donc, pour IBK, qui entame un nouveau mandat à la tête d’un pays miné par la violence et sous l’emprise des terroristes dans plusieurs régions qui échappent au pouvoir central.

Une attaque contre un système et ses maux

« Mon problème, c’est ceux qui ont trahi le peuple malien. C’est à eux que je m’adresse. Mon combat, c’est d’abord contre eux », a déclaré l’imam, fustigeant « une corruption à ciel ouvert et endémique » et « une gouvernance catastrophique ». Bamada.net La veille, la Cour constitutionnelle avait eu beau publier un communiqué prévenant que « les partis politiques ne doivent pas porter atteinte à la sécurité et à l’ordre public » et qu’aucun « ne peut se constituer sur une base ethnique, religieuse, linguistique » sous peine de sanctions, l’avertissement est resté lettre morte. Le prêcheur s’estime aujourd’hui trop puissant pour craindre les foudres d’un pouvoir affaibli, qui risqueraient de provoquer une révolte chez les nombreux Maliens qui apprécient ses diatribes populistes. S’en prendre à un imam qui ose mettre sur la place publique ce que tout le monde pense n’est pas chose aisée, surtout dans un pays où cela ne peut qu’augmenter sa popularité et risquer de créer un nouveau facteur de déstabilisation alors que l’État de droit ne cesse de reculer. D’autant que l’imam Dicko se garde bien de franchir la ligne rouge. Il choisit toujours de prononcer des propos ambigus. Une tactique vue ailleurs chez des islamistes qui cherchaient à prendre le pouvoir. « Je ne suis pas faiseur de rois ni président, je veux faire la paix », a précisé l’imam. Pour le coordonnateur général de cette organisation qui ratisse large avec l’islam comme dénominateur commun, la CMAS n’est pas un parti, mais un mouvement qui a pour « idéaux » les visions religieuses, sociétales et politiques » de l’imam. Or celui-ci n’en est pas à son coup d’essai.

Mahmoud Dicko, un religieux qui scrute le champ politique…

A 65 ans, ce n’est pas la première fois qu’il met un pied dans le champ politique au nom d’une « refondation » de la société, base d’un programme qui ne veut pas dire son nom. Président durant onze ans, jusqu’en avril dernier, du Haut Conseil islamique malien, il incarne la doctrine wahhabite, issue de l’Arabie saoudite où il a étudié la théologie de ce courant rigoriste de l’islam, à l’opposé du rite malékite, Bamada.net plus ouvert et majoritaire au Maghreb et en Afrique de l’Ouest. En fait, plus s’intensifie la guerre contre les groupes armés terroristes qui gagnent du terrain et plus Mahmoud Dicko apparaît comme l’homme du recours face aux échecs du gouvernement, dépassé par la crise. Le 10 février dernier, le religieux a réussi à mobiliser près de 100 000 personnes au stade du 26-Mars à Bamako. IL était avec son allié Bouyé Haïdara, le riche chérif de Nioro. But, officiel, de ce meeting suivi par des milliers de sympathisants arrivés la veille pour trouver des places : « prier pour la paix ». Les autres ont écouté les discours, dehors, à la radio.

… dont il attaque les autorités

Car Dicko, que ses partisans surnomment « l’imam du peuple », a surtout attaqué les autorités : « Le problème du Mali est d’abord un problème de gouvernance. C’est ça qui nous a amenés dans cette situation », avait-il déjà estimé, réclamant la démission du Premier ministre de l’époque, selon lui « manipulateur » et qui suivait « son agenda personnel ». Le prêcheur a même refusé la participation aux frais d’organisation de ce meeting par la primature, soit 50 millions de francs CFA (76 000 euros). En fait, le Premier ministre d’alors, Soumeylou Boubèye Maïga, avait supprimé le bureau, le budget et la mission de bons offices avec les groupes djihadistes que son prédécesseur avait confiés à Mahmoud Dicko. Tête de Turc de l’imam qui l’accusait de tous les maux du pays, en particulier de couvrir les milices dogons contre les Peuls massacrés dans leurs villages, le Premier ministre a fini par démissionner.

Gardien d’un certain conservatisme religieux

Désormais sans mission officielle, Mahmoud Dicko semble aujourd’hui bénéficier d’une capacité de nuisance encore plus importante. Il y a une dizaine d’années, il avait déjà fait capoter un projet de réforme du Code de la famille améliorant le sort des femmes. L’an dernier, il a mis la pression sur le gouvernement, qui a abandonné son projet de manuel scolaire d’éducation sexuelle financé par les Pays-Bas. Il devait aussi aborder l’homosexualité. Quant aux femmes, elles n’ont rien gagné dans cette reculade qui prive les jeunes filles de conseils sanitaires alors qu’une sur trois est mère avant l’âge de 19 ans. La majorité de la population approuve en fait ses prises de position. Pour elle, il apparaît comme le guide des bonnes mœurs.

 

Présent sur les questions de sécurité…

Mais c’est sur le terrain sécuritaire qui empoisonne la vie des Maliens terrorisés que Mahmoud Dicko est présent depuis longtemps. Après l’attaque, en novembre 2015, de l’hôtel Radisson au centre de Bamako par un commando djihadiste, l’imam déclare à la télévision : « Nous devons tirer les leçons des attentats à Paris, à Bamako, à Tunis ou ailleurs dans le monde… Dieu est en colère. Les hommes ont provoqué Dieu. » Selon lui, cette provocation est illustrée par la présence d’homosexuels et de bars dans le pays. Après ce message, proche de celui des djihadistes qui veulent imposer la charia,Bamada.net il se dédouane en précisant que l’attaque de l’hôtel est « un acte condamnable », que « l’être humain est sacré » et que « la religion musulmane ne dit à personne de tuer en son nom ». Des propos ambigus qui, alors, scandalisent bon nombre de ses compatriotes, lesquels manifestent leur courroux sur la Toile. La presse s’insurge contre les « pyromanes » et « les hypocrites » et, pour le procureur de Bamako, ces propos sont une sorte d’apologie du terrorisme. Il sera écarté ensuite de son poste. Personne ne contredit impunément « l’imam du peuple » qui affirme clairement qu’il faut négocier avec les groupes djihadistes pour, selon lui, éviter une guerre sans fin, en premier lieu avec les islamistes locaux. Une idée qui fait son chemin. Un scénario « à l’afghane ». Là-bas, les Américains négocient leur départ avec les talibans contre la promesse que ceux-ci ne vont plus accueillir de terroristes étrangers sur leur sol.

… où il préconise une solution à l’afghane, c’est-à-dire le dialogue avec les djihadistes

Un principe qui coïncide avec celui de l’imam Dicko qui prétend parler avec les rebelles maliens. Il l’avait déjà fait en 2012 avec le chef touareg Iyad Ag Ghali, devenu depuis l’émir affilié à Al Qaïda d’une légion islamique composée de différents groupes terroristes. Des négociations dont, pour le moment, le gouvernement ne veut pas entendre parler, mais qui attirent de plus en plus de partisans, pessimistes sur l’avenir. Les djihadistes gagnent toujours plus de terrain et l’argent dépensé par les autorités semble alimenter un puits sans fond. Pour soutenir les réformes qui tardent à venir, le FMI vient d’approuver un accord au titre de la facilité élargie de crédit d’environ 192 millions de dollars. Le premier décaissement porte sur 27,4 millions afin d’appuyer la stratégie de développement du gouvernement, qui espère ainsi gagner les cœurs et les esprits de la population et assécher les soutiens aux djihadistes qui sont chez eux en brousse. Une course de vitesse sur le long terme alors que la maison brûle. D’où le message, écouté dans l’opinion malienne, de l’imam Dicko qui préconise une sortie de crise rapide grâce à des négociations, incertaines, qui risquent d’offrir le pays sur un plateau aux islamistes. Ils pourraient obtenir par la palabre ce qu’ils n’ont pas obtenu jusqu’ici par le fusil. Une configuration qui placerait les militaires français de l’opération Barkhane, déjà à la peine face à des groupes armés insaisissables, dans une position bien inconfortable. Même si leur départ, ou la réduction des effectifs, serait un soulagement à Paris.

Source: lepoint.fr