Neuf années après la guerre en Libye, menée par les pays de l’OTAN avec la participation de l’armée belge, la situation dans la région du Sahel est catastrophique. La Libye est plongée dans le chaos. Et ce chaos s’est étendu au-delà des frontières, notamment au Mali, où des révoltes contre l’occupation militaire se multiplient.

Immédiatement après la guerre, fin 2012, le conflit est descendu vers la région du Sahel, notamment vers le Mali. Depuis janvier 2013, ce pays, ainsi que les pays voisons (surtout le Burkina Faso et le Niger) sont le théâtre de plusieurs opérations militaires européennes qui se sont installées durablement dans la région.

La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) compte 14 000 militaires sur place. Trois autres opérations européennes ont également été lancées : Berkhane (5000 soldats français), EUTM (European Union Training Mission, 1066 soldats de 21 pays membres de l’Union européenne, parmi lesquels la Belgique) et EUCAP (European Union Capacity Building Mission, environ 200 experts de différents pays européens parmi lesquels la Belgique).

En juillet 2020 vient s’y ajouter le Taskforce Takuba, une opération qui devrait être complètement effective début de l’année prochaine, avec 600 soldats qui devront « accompagner, aviser et assister, les armées locales dans leur lutte contre le terrorisme.

La ruée vers l’or

La présence de toutes ces armées dans la région n’est pas un hasard : le pétrole, l’uranium et l’or d sont des enjeux bien réels. Oxfam estime qu’un tiers de l’électricité consommé en France provient de l’énergie nucléaire produite avec l‘uranium du Sahel. En Belgique aussi, une partie de l’énergie nucléaire est alimenté par le Sahel. Cette région est aussi la cible d’énormes projet de production d’électricité solaire qui devraient nourrir l’Europe.

Par ailleurs, d’importants flux migratoires venant d’Afrique transitent via cette région. Le Haut représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, le social-démocrate espagnol Joseph Borrel, chef de la diplomatie européenne, déclarait, en novembre 2019, que le nord de l’Afrique était l’« arrière-cour » de l’Europe et qu’il fallait y « résoudre les problèmes » via une « force militaire commune. » (De Standaard, 23 november 2019.)

L’échec militaire

L’intervention militaire européenne au Mali a commencé en janvier 2013. Elle était destinée àarrêter l’offensive de quelques groupes rebels, parmi lesquels deux groupes de dijihadistes. Ceux-ci avaient profité du chaos causé par la guerre de l’OTAN contre la Libye pour descendre avec des armes lourdes vers le Mali.
Or, aujourd’hui, huit ans après l’arrivée des armées européennes, on compte onze milices (sept dijihadistes et quatre ethniques). Le nombre de victimes augmente chaque année et le territoire où se déroule la terreur s’étend. Les Nations Unies estiment que le nombre de morts a augmenté de 770 à 4000 par an au cours des cinq derniers années.

Le 6 juin dernier, 40 civils ont été froidement abattus à Koro et Douentza. Deux chefs de villages ont été égorgés. Le 14 juin, la localité de Bouki Were compte 24 morts. Les 1er et 2 juillet, quatre villages ont fait l’objet d’attaques. Bilan : 30 morts. Ce ne sont que quelques exemples récents. Ils illustrent bien que le résultat de la présence des armées européennes dans la région est un échec militaire. Des observateurs comparent la situation à celle de l’Afghanistan, où la guerre dure déjà depuis 20 ans et, et dont on n’entraperçoit même pas la fin. Mais l’échec n’est pas seulement militaire.

Crise politique profonde

Depuis l’été 2017, d’imposantes manifestations sont organisées contre ce que les Maliens considèrent comme une partition du Mali : un découpage territorial causé par l’ingérence des pays européens. Cette révolte s’oriente de plus en plus contre le président malien, Ibrahim Boubacar Keita (IBK), propulsé au pouvoir par des élections fortement contestées. C’est aussi l’allié le plus important de l’Europe s’agissant de la présence européenne dans le pays.

Ces révoltes se sont répétées en été 2018, avril 2019, mars, juin et juillet 2020. Les deux derniers mouvements ont été organisés par le Mouvement du 5 juin – Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP). Il s’agit d’un large front qui représente les différentes couches dans la société. La dernière grande confrontation s’est déroulée le 10 juillet quand les forces anti-terroristes de l’armée malienne, entraînées et financées par les pays Européens (parmi lesquels la Belgique), ont tiré dans la foule, faisant 11 morts.

La Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), une mission de l’organisation régionale de l’Afrique de l’Ouest composéede cinq chefs d’état, est venue le 23 juillet proposer un plan de « solution » appuyé par l’Union européenne et les États-Unis. Le plan consiste à maintenir le président IBK, « la formation d’un gouvernement d’Union Nationale et le rétablissement d’une Assemblée nationale légitime ». Le M5-RFP a refusé ce plan et insiste sur le départ du président IBK.

« Le temps du colonialisme est passé »

Oumar Mariko, président du Parti SADI (Solidarité Africaine pour la Démocratie et l’Indépendance), un parti de gauche qui est un des moteurs du M5-RFP, exprime le ras-le-bol des Maliens concernant l’impuissance de l’état, mis sous tutelle, et le président IBK : « Pour que le président IBK lui-même se rende dans certaines localités du pays, il lui faut prendre la permission auprès des groupes rebels ou de la France. Où se trouvent l’indépendance et l’exercice de la souveraineté de l’État malien sur toute l’étendue du territoire dans ces conditions ? » Cela fait bientôt trois ans que les enfants du pays ne vont plus à l’école, a-t-il aussi rappelé, certifiant la justesse du soulèvement du M5-RFP contre le régime en place.

Dans son communiqué du 16 juillet, le MR5-RFP exige « la démission de Monsieur Ibrahim Boubacar Keïta et son régime ; l’ouverture d’une Transition républicaine ; l’ouverture d’enquêtes judiciaires en vue de la poursuite des auteurs, commanditaires et complices des tueries, blessures et exactions commises contre les manifestants ».

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