« L’après 19 juin : quelles perspectives institutionnelles ? » était le thème de l’émission du « Débat politik » de Africable télévision qui a opposé, le dimanche dernier, deux éminents juristes : Me Kassoum Tapo, avocat, et Dr Brahima Fomba, constitutionnaliste. Le premier invité, Me Tapo, trouve la demande, par le M5-RFP, de démission du président de la République comme un « coup d’État » tandis que le second, Dr Fomba, la considère comme « le déficit de légitimité » du chef de l’État.

La question de la légalité de la demande de démission du président de la République suscite beaucoup de débats. Ceux qui sont contre la démarche du M5-RFP tiennent à un débat technique en droit pour démontrer que la demande de démission du président de la République est « anticonstitutionnelle ». Ceux-ci appellent à respecter les institutions y compris la Cour constitutionnelle et l’Assemblée nationale qui sont contestées. C’est le cas de l’ancien ministre des Droits de l’homme et de la Réforme constitutionnelle, Me Kassoum Tapo.

Par contre, ceux qui sont favorables au départ du chef de l’État avec tout son régime donnent une « raison politique » au combat du M5-RFP. Ils trouvent qu’il y a la crise parce que les institutions ne jouent pas leurs rôles. C’est la position du Dr Brahima Fomba, professeur de droits à l’université.

La CEDEAO foule aux pieds les dispositions de la constitution malienne

La CEDEAO a, pour une résolution pacifique, de la crise politique en cours actuellement au Mali, envoyé une délégation à Bamako la semaine dernière. Cette délégation a, après avoir rencontré les différentes parties, recommandé plusieurs solutions parmi lesquelles l’organisation d’élections législatives partielles dans les circonscriptions où il y a des contestations. Cette proposition a choqué Me Kassoum Tapo qui trouve qu’elle viole la constitution du Mali. « Je souhaitais réagir par rapport aux recommandations qui nous sont faites par la CEDEAO. Elle se précipite pour venir en 24 heures sans avoir le temps d’examiner les textes, de voir la réalité, les difficultés qui se posent. Ils (les missionnaires de la CEDEAO) ont rencontré je ne sais qui et ont fait des recommandations. Une de ces recommandations m’a profondément choqué : faire des élections partielles là où la Cour a annulé les résultats de l’administration territoriale », a-t-il déclaré avant de se poser des questions : « Quel est le support juridique de cette recommandation ? Sur quoi elle est fondée ? » Il affirme être profondément surpris par ces genres de décisions qui ne font, selon lui, qu’ajouter à la confusion et à l’instabilité que le Mali vit aujourd’hui.

Pour Me Tapo, la CEDEAO devrait respecter l’article 94 de la constitution malienne qui stipule :« Les décisions de la Cour Constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et à toutes les personnes physiques et morales. Les règles d’organisation et de fonctionnement de la Cour Constitutionnelle, ainsi que la procédure suivie devant elle, sont déterminées par une loi organique ». Il trouve que les élections partielles ne sont possibles que lorsqu’il y a vacance (décès ou démission). Or, estime-t-il, personne ne peut contraindre les députés dont l’élection est contestée à la démission.

A en croire Me Tapo, la CEDEAO joue au pompier qui vient avec des produits inflammables, car, selon lui, si on donnait le pouvoir au Président ou au Gouvernement d’annuler partiellement les scrutins, c’est ouvrir la boite de pandore, c’est ouvrir la voie à une instabilité institutionnelle.

La légalité de la demande de démission du président de la République

Comme beaucoup de Maliens, Me Kassoum Tapo met en cause la légalité de la demande de démission du président de la République. « Je ne vois pas de dispositions, dans la constitution, qui prévoient une démission forcée du Président. La démission forcée du Président est un coup d’État. C’est un interdit par la constitution. Personne ne peut demander à une institution élue de démissionner », a-t-il laissé entendre. Pour lui, ceux qui demandent la démission du Président aujourd’hui ne respectent pas l’article 26 de la constitution qui indique : « La souveraineté nationale appartient au peuple tout entier qui l’exerce par ses représentants ou par voie de référendum. Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ». Or, pour Me Tapo, le M5-RFP ne représente pas tout le peuple. Il est juste une fraction du peuple. Il trouve la demande de ce mouvement anticonstitutionnelle.

Le constitutionnaliste ne partage pas la vision de l’avocat. Pour Dr Fomba, le combat du M5 se situe plutôt au plan politique que juridique. Il reconnait qu’il est juridiquement difficile de demander la démission du président de la RépubliqueL’article qui accroche à la constitution est, selon lui, un peu l’article 121 qui stipule : « Le fondement de tout pouvoir en République du Mali réside dans la Constitution. La forme républicaine de l’État ne peut être remise en cause. Le peuple a le droit à la désobéissance civile pour la préservation de la forme républicaine de l’État. Tout coup d’État ou putsch est un crime imprescriptible contre le peuple malien »

Selon lui, le président de la République peut démissionner dans deux situations. La première, dit-il, c’est lorsqu’il y a vacance du pouvoir (décès ou démission). La deuxième possibilité, argumente Dr Fomba, c’est lorsque le Président se trouve dans une situation d’empêchement absolu et la constatation est faite par la Cour constitutionnelle.

Mais le constitutionnaliste trouve que c’est « le déficit de légitimité du président de la République qui explique ce mouvement qui demande sa démission pour des raisons politiques ». Il qualifie ce mouvement d’une sorte de « légitime défense populaire ».

L’opportunité de sortie de crise

Pour Tapo, l’opportunité de sortie de crise, c’est le dialogue. « Qu’on voit la réalité en face. Une République marche sur la cohésion, sur la solidarité. Quand la nation est en danger comme aujourd’hui où il y a des difficultés qu’on ne peut pas honnêtement attribuer à quelqu’un , il faut dialoguer. Il faut qu’on revienne sur les principes ; il faut qu’on s’écoute un peu, il faut qu’on soit un peu tolérant », a-t-il proposé. Une autre voie de sortie de crise, selon Me Tapo, ce sont les textes solides et le respect de ces textes. « Tant que nous n’aurons pas des textes solides, tant que nous ne respecterons pas tous les textes, on ne sortira pas de cette situation », a-t-il laissé entendre.

Quant à Dr Fomba, il estime que la sortie de crise dépend des institutions qui doivent jouer leurs rôles. « Tant que les institutions ne joueront pas leurs rôles comme il se doit, le peuple continuera à sortir », a-t-il prévenu.  

Boureima Guindo

Source: Journal le Pays- Mali