Le départ de Soumeylou Boubèye Maïga de la Primature, la formation du Gouvernement de mission et le lancement des préparatifs du dialogue politique inclusif ont eu comme un effet soporifique et engourdissant sur les Maliens et les formations politiques de l’opposition.

Une sorte d’expectative s’est installée au sein de l’opinion nationale, qui a vu en ces évènements les prémices d’un apaisement socio politique et même l’esquisse d’une union sacrée autour des graves problèmes et de l’avenir du pays.

Les Maliens, harassés et rendus anxieux par les victoires à répétition des jihadistes sur les FAMAs et les partenaires militaires du Mali et surtout les hécatombes semées par leurs incursions armées au sein de populations innocentes, avaient, en effet, eu la naïveté de croire que ce temps était venu.

Ayant obtenu la démission de SBM, l’opposition démocratique et religieuse avait baissé les bras, savourant déjà une victoire politique tout en escomptant un mea culpa du pouvoir.

Le jeu de dupes mis en scène par IBK avait donc bien fonctionné. L’éviction du Premier ministre et la mise en place d’un gouvernement de mission, tout à sa dévotion, n’étaient que de la poudre aux yeux de ses compatriotes et étaient surtout destinés à « sauver sa peau » face à une pression sociale, sans précédent dans le Mali démocratique, qui n’était plus loin de le désarçonner.

Le président de la République, en acceptant la démission de son compagnon de circonstance, savait que le félin domestique, habile contorsionniste, retomberait sur ses pattes et rebondirait d’autant plus prestement qu’il a largement eu le temps d’amasser un formidable trésor de guerre, qui lui permettrait de s’adonner à ses exercices favoris, l’achat de conscience et la corruption des âmes.

Le gouvernement de mission, qui aurait dû être d’union nationale, n’est quasiment, aujourd’hui, qu’un instrument au service de la politique du prestidigitateur IBK. Certes, l’équipe en place est composée, en partie, d’hommes dignes d’estime mais leur marge de manœuvre reste assez étroite face au désir de pouvoir absolu et au penchant morbide pour le clinquant de leur mandant.

Le gouvernement placebo, composé par les soins et pour les besoins d’Ibrahim Boubacar Kéïta, n’aura aucun impact sur la vie des Maliens. Il n’en a ni la vision ni la volonté.

Le président de la République, vieux monsieur, incapable de se renouveler et de s’adapter aux exigences de la situation du pays et de l’époque, en est réduit à donner le change, pour tromper le peuple et gagner du temps, avec l’espoir  de voir ses manœuvres dilatoires produire leurs effets.

En effet, pour la quasi-totalité des chefs d’Etat africains actuels, la perte du pouvoir est une perspective presque intolérable et porteuse de périls, comme de devoir rendre compte des méfaits consécutifs à leur gouvernance patrimoniale, au détournement de sommes faramineuses et aux assassinats d’opposants et de trublions (ce pourrait être le cas de notre confrère Birama Touré).

IBK n’a certes pas sur la conscience l’assassinat d’opposants mais il aurait tout le mal du monde à se dédouaner vis-à-vis d’une gouvernance désastreuse, inutilement budgétivore, dont le mécanisme de base reste la corruption.

L’actualité brûlante, occupée par la scabreuse affaire d’enrichissement illicite de généraux de l’armée malienne, n’est pas pour redorer la réputation du système IBK. L’on savait que la grande muette n’était pas exempte de reproches et que quelques cas de fortunes aux origines nébuleuses attribuées à des officiers supérieurs avaient défrayé la chronique.

La longue liste de généraux milliardaires publiée sur les réseaux sociaux, dans laquelle apparaissent  des noms déjà cités, semble conférer du crédit à une affaire qui vient ajouter au désenchantement des Maliens.

Profondément déçus par le fonctionnement   du régime, ils découvrent, au travers d’une catégorie d’hommes, susceptibles d’incarner les valeurs de la République, toute l’étendue de l’avilissement du système.

Des rumeurs persistantes de détournements de ressources destinées à équiper et à entretenir les soldats sur les différents fronts d’une guerre sécuritaire, complexifiée à volonté et à dessein, avaient pourtant, déjà,  donné l’alerte. Sans que l’on y attache grande importance, l’opinion nationale, en dépit des nombreux revers essuyés par nos troupes, étant alors encline à une certaine indulgence.

Il faudra toutefois à cette opinion nationale l’âme d’une mère Térésa pour continuer de fermer les yeux sur la succession de scandales dévolus à la Grande Muette et à son environnement (surfacturation des équipements, acquisition d’avions de combat sans viseur, achat d’hélicoptères obsolètes au prix de neufs, et on en ignore certainement).

Avérées ou pas, ces affaires devraient agir comme des alertes sur la réalité de notre système de sécurité, dont la réforme (ou prétendue telle) a déjà absorbé des milliards de nos francs sans que son efficacité ait été prouvée.

Le contraire serait d’ailleurs plus crédible, au vu des nombreux périls auxquels sont constamment exposés civils et militaires.

Les Maliens devraient enfin émerger de leur torpeur et se rendre à l’évidence de la dégradation profonde de leur environnement socio économique et politique.

Un indéniable fléchissement du pouvoir d’achat, une vie de plus en plus chère, rythmée au gré des spéculations, dont la courbe est toujours ascendante, l’éclatement et l’affaiblissement de l’opposition, un système de corruption de plus en plus ouvert et la multiplication des nouveaux riches, une insécurité grandissante, se traduisant par d’innombrables pertes de vies humaines, sont aujourd’hui les indices patents d’un pays au bord du gouffre.

Face à tous ces périls, l’Imam Mahmoud Dicko et son mouvement politico religieux en gestation constituent les seuls recours crédibles. Sombres perspectives pour un peuple certes majoritairement musulman mais peu enchanté à l’idée de se voir gouverné par un régime autocratique, liberticide et, sans doute, obscurantiste.

Pour moins que tout ça, Algériens et Soudanais, portés par un volontaire et irrésistible mouvement de revendication, ont exigé et obtenu des changements déterminants pour un futur de leur choix.

Si les Maliens avaient fait montre d’une plus grande exigence, en allant notamment au bout de leur rejet du système IBK, le pays eut certainement fait l’économie des derniers esclandres du régime et se serait déjà engagé dans la voie du renouveau.

Il n’est pas encore tard… pour bien faire.

 Mamadou Kouyaté          

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