La société civile malienne contribue aux changements des politiques et des pratiques dans le cadre de la sécurité alimentaire et nutritionnelle

DE QUOI S’AGIT-IL ?
Le présent document est la note politique tirée de la synthèse des études menées par les OSC du Mali membres de la Coalition Nationale Droit à l’Alimentation Adéquate sur l’état de la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Il a pour objet de rendre publics les points de vue de la société civile malienne sur le contenu et le degré d’effectivité des politiques de l’Etat malien en matière de la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Elle part des engagements que l’Etat s’est librement donnés, examine les avancées en termes de réalisations, fait référence aux défis pour aboutir à des propositions d’actions autour desquelles la société civile malienne appelle l’Etat au dialogue.

DE QUOI PARLE-T-ON ?
Qu’est-ce que la sécurité alimentaire, la souveraineté alimentaire et l’autosuffisance alimentaire signifient pour nous ?
Selon la FAO, « la sécurité alimentaire est atteinte lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment et en tous lieux, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive pour mener une vie saine et active » (F AO, 2006, p. 1).
La souveraineté alimentaire est le droit pour chaque pays, chaque territoire ou chaque communauté, de décider de comment produire des aliments pour se nourrir et de ce qu’il faut manger pour assurer son alimentation.
Quand un pays, une région ou une communauté est capable de produire toute la quantité de nourriture dont il a besoin pour vivre et produire et se reproduire, on parle de l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire.
Au Mali, le choix a été fait dans la Loi d’Orientation Agricole (LOA) de prendre la Souveraineté Alimentaire et Nutritionnelle comme la ligne conductrice de la politique de développement Agricole.

QUELS SONT LES FONDEMENTS DE CETTE NOTE POLITIQUE ?
Le présent document de position tire son fondement des principes de la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide et le plan d’actions d’Accra qui font appel aux partenariats inclusifs de tous les acteurs du développement, dont notamment les donateurs, les récipiendaires et la société civile.
Le Mali, après avoir adopté ses ODD prioritaires et les conditions de succès, a pris l’engagement « Pour la pleine participation de toutes les parties prenantes, surtout de la société civile, il faut veiller au renforcement des capacités de celle-ci à (i) mettre en œuvre des projets/programmes et à suivre et rapporter les progrès dans le cadre des ODD (ii) appliquer les principes de bonne gouvernance, (iii) évaluer systématiquement l’exécution des projets/programmes mis en œuvre » .
Le présent document, dont le contenu est issu de sept (7) études, exprime l’intime aspiration de la société civile malienne pour agir sur une transformation positive des politiques et des pratiques. Les points d’attention qu’il soulève, sont ceux autour desquels, la société civile malienne appelle les acteurs étatiques à un dialogue inclusif pour les réajustements nécessaires à l’atteinte de la sécurité alimentaire et nutritionnelle au Mali.

QUELS SONT LES CONSTATS DE BASE QUI FONDENT NOTRE POSITION ?
Le constat majeur qui se dégage à travers la description et l’analyse du contexte est que, malgré l’embellie statistique en matière de production souvent mise en avant, il y a plusieurs limites objectives aux performances contribuant à la non atteinte du niveau souhaité en matière de sécurité alimentaire de sa population. Il s’agit, entre autres, des difficultés liées à la bonne gestion des récoltes avec des niveaux de perte assez élevés, des problèmes de conservation des produits, de la faiblesse du niveau de transformation des produits qui sont plus saisonniers, de la mauvaise organisation des marchés territoriaux entravant la bonne circulation des produits entre les zones de production et les zones déficitaires traduisant les incohérences des politiques publiques en matière de production Agricole. Les problèmes liés aux changements climatiques, les débats sur l’urbanisation de la population active, la jeunesse de la population, la qualité nutritionnelle des aliments et leur sécurité sont d’autres problématiques mises en exergue.
En outre, certaines conséquences, non moins importantes, découlent des faits constatés. Il s’agit entre autres de :
• La qualité de l’alimentation qui se détériore, avec la faiblesse chronique du pouvoir d’achat des catégories socioprofessionnelles aux revenus fixes (fonctionnaires, salariés du secteur moderne) conséquence de la hausse continue des prix des denrées de première nécessité et de l’insécurité dans certaines zones du pays ;
• L’insécurité alimentaire qui s’installe dans le pays, aussi bien en milieu rural qu’en milieu urbain, consécutivement au manque d’évaluation exhaustive régulière des besoins alimentaires, à l’approvisionnement incohérent, à la spéculation, à l’incertitude du financement des programmes y afférents et l’inaccessibilité de certaines zones ;
• La malnutrition chronique et aiguë des enfants qui persiste dans toutes les régions du pays. Si des interventions appropriées ne sont pas mises en œuvre de façon urgente, certaines projections faites par des spécialistes estiment que dans moins de 5 ans :
• 52 000 enfants naîtront avec un déficit mental sévère ,
• 175 000 souffriront d’un retard mental sévère,
• 1 500 000 enfants présenteront un déficit mental léger.
• Concernant la santé, le taux de mortalité reste très élevé et l’espérance de vie très basse. Si des mesures urgentes ne sont pas prises, l’espérance de vie régressera en dessous de 50 ans. Des milliers d’enfants et de femmes seront victimes.

QUEL EST LE CADRE LÉGISLATIF ET RÉGLEMENTAIRE EN JEU ?
La présente note de position prend sa source dans un certain nombre de documents juridiques et stratégiques adoptés par l’Etat malien et qui justifient les engagements des différents acteurs pour influencer les politiques et les pratiques : la Constitution du Mali, la loi portant sur les principes de la libre administration des collectivités territoriales de 1993 et le code des collectivités territoriales de 1995, la Loi d’Orientation Agricole (LOA), promulguée en 2006, le Code Domanial et Foncier révisé, la Politique Foncière Agricole du Mali (PFA) adoptée en décembre 2014, la Loi Foncière Agricole du Mali (LFA), la Loi environnementale du Mali, la Politique Nationale d’Aménagement du Territoire, la Charte pastorale du Mali, la Politique Nationale de Pêche (aquaculture),la Politique Nationale Genre du Mali (PNG/Mali, le Code Forestier, le Code de l’eau, la Politique semencière du Mali et la Loi semencière du Mali qui sont respectivement en train d’être élaborée et révisée, la Politique Nationale de Développement Agricole (PNDA) etc.
Concernant le Droit à l’Alimentation, le Mali a pris plusieurs engagements sur le plan international, puis signé et ratifié de nombreux documents internationaux et sous-régionaux, dont notamment : la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 ; la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 27 juin 1981 et le Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (respectivement en 1966 et 1974) qui reconnaissent le Droit à l’Alimentation comme droit social pour tous les citoyens.
Sur le plan international, les ODD prônent expressément une réduction des inégalités entre hommes et femmes, entre zones urbaines et zones rurales et entre groupes socioéconomiques et autres, afin de parvenir à un développement durable harmonieux. Ce Programme à l’horizon 2030 est intégré, interdépendant et indivisible. L’élimination de la faim est un aspect central des ODD.

QUELS SONT LES ACQUIS ACTUELS EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ?
Les acquis sont entre autres :
– Le renforcement relatif des capacités des acteurs de la sécurité alimentaire ;
– Quelques investissements structurants réalisés (infrastructures et équipements y compris le crédit) ;
– L’amélioration de la production et productivité végétale, animale, halieutique et sylvicole ;
– L’amélioration relative de la nutrition à travers des telles que (i) la prévention de la malnutrition et les paquets curatifs de récupération des mal nourris, (ii) l’allaitement et l’alimentation complémentaire (Misola), (iii) le lavage des mains au savon, (iv) la prévention et la gestion de la diarrhée, etc.), (v) l’accès à l’eau potable, (vi) les cantines et les jardins scolaires. Ces interventions sont effectuées dans le contexte des Plans locaux de Développement Social, Economique et Culturel (PDSEC), qui sont les produits structurels du processus de décentralisation.

QUELS SONT LES DÉFIS À RELEVER ?
Certains défis majeurs ont été mis en exergue lors des différentes études menées :
• Comment assurer de façon durable l’évolution de la production des aliments en tenant compte des besoins nutritionnels croissants des populations dans un contexte de changements climatiques et un espace économique ouvert et concurrentiel ?
• Comment assurer une sécurité sanitaire et nutritionnelle des aliments dans un contexte d’utilisation de plus en plus abusive des intrants chimiques et des pesticides souvent nuisibles à la qualité nutritionnelle des produits ?
• Comment assurer la sécurisation foncière des exploitations Agricoles et surtout des groupes vulnérables, notamment les femmes, les jeunes et les migrants, dans un contexte de promotion de la privatisation du patrimoine foncier du pays et de crises sécuritaires multiformes ?
• Comment assurer les investissements dans l’Agriculture selon le modèle de production promu par l’Agriculture familiale ?
• Comment organiser les marchés locaux, inter-états et régionaux pour favoriser une meilleure intégration des exploitations agricoles dans le système de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) pourvoyeuse d’emplois et redistributrice des richesses ?
• Comment assurer le droit à l’alimentation de l’ensemble des populations maliennes tout en sauvegardant les spécificités des bassins de production et de consommation du pays et l’accès sécurisé aux facteurs de production (terre, eau, air…) et d’accès aux produits alimentaires disponibles dans le pays ?
• Comment réduire le taux de prévalence de la malnutrition sous toutes ses formes, notamment au niveau des femmes (surtout les mères) et des jeunes et aussi au niveau des populations qui vivent dans les zones structurellement déficitaires ?
• Comment renforcer la résilience des populations vulnérables par un système de protection sociale accompagné de stratégies durables et cohérentes pour faire face aux crises alimentaires et nutritionnelles ?
• Comment créer et animer des espaces d’expression de recevabilité de voies et recours, notamment pour porter plainte devant les tribunaux en cas de violation de ce droit humain et en obtenir des réparations, au regard de l’absence de dispositions législatives dans le droit interne au Mali et du fait que réclamer ses droits au Mali a toujours été un problème mal perçu socialement ?
• Comment améliorer la gouvernance de la sécurité alimentaire et nutritionnelle de façon à faire jouer par chaque acteur le rôle, la responsabilité et la participation que l’on attend de lui au sein d’un dispositif national de gestion inclusive, proactive, efficace et efficiente ?
Ces défis ont fait l’objet de propositions diverses qui, mises en œuvre permettront d’avoir des changements significatifs de politiques et de pratiques dans le pays.
Dans le cadre de la coalition, les OSC membres joueront les fonctions de dialogue avec les décideurs en faisant remonter à ce public décideur les situations et les faits accompagnés de solutions correctives possibles pour les défis identifiés ; de partage de l’information et de renforcement des capacités des acteurs à différents niveaux et de coordination en établissant des liens aux échelons local, régional, national et sous-régional et cela dans plusieurs domaines pour assurer l’exercice des droits des communautés à une sécurité/souveraineté alimentaire et nutritionnelle durable.

QUELLES SONT NOS RECOMMANDATIONS POUR LES AUTORITÉS DU MALI A DIFFÉRENTS NIVEAUX?
En prenant en compte les défis majeurs, la Coalition Nationale du Droit à l’Alimentation Adéquate recommande :
Pour l’Etat Central :
• Action 1: Inscrire de manière explicite dans la Constitution du Mali, le droit à l’alimentation, consacrant davantage sa reconnaissance aux populations . Il est proposé ensuite d’adopter des mesures législatives contraignantes pour l’Etat afin qu’il prenne en charge les personnes démunies qui souffrent de la faim ;
• Action 2: Inscrire le Fonds National de Sécurité Alimentaire et Nutritionnel au budget national. Cette inscription permettra de pérenniser et de mieux mobiliser les ressources nationales, mais aussi les partenaires techniques et financiers qui de plus en plus s’inscrivent dans un processus d’appui budgétaire. De façon précise, il s’agira de transformer le Fonds National en agence gouvernementale dotée d’une autonomie financière et de gestion ;
• Action 3: Améliorer la qualité sanitaire des aliments en dotant la structure de contrôle, notamment l’ANSSA (Agence Nationale pour la Sécurité Sanitaire des Aliments) et ses démembrements, de moyens adéquats de fonctionnement et former les agents afin que l’agence puisse mener à bien son travail ;
• Action 4: Travailler/collaborer avec l’Etat malien et ses différents services spécialisés pour une amélioration significative des statistiques nationales afin de rendre plus pertinents les processus de planification à différents niveaux.
• Action 5: Faire du plaidoyer pour que l’Etat malien puisse mettre en place et faire fonctionner un dispositif et un mécanisme de diffusion/vulgarisation des résultats des nombreuses recherches entreprises dans le pays.
• Action 6: Sensibiliser l’Etat à mener une étude approfondie sur les curricula des écoles de formation Agricole et procéder à des réformes importantes pour adapter ces écoles aux réalités des Exploitations Agricoles Familiales (EAF).
• Action 7: Appliquer rigoureusement les textes de loi comme la LOA, la LFA, la PNDA, la Politique Minière du Mali et leurs décrets d’application ;
• Action 8: Adopter une Loi-cadre sur le Droit à l’Alimentation incluant le dispositif et le mécanisme de son application effective notamment l’Observatoire National sur le Droit à ‘Alimentation Adéquate ;
• Action 9: Donner les moyens humains, matériels et financiers aux services du contrôle phytosanitaire installés au niveau de tous les postes frontaliers pour être capable de contrôler de façon systématique la qualité des aliments importés avant d’être sur le marché ;
• Action 10: Prendre un décret d’application en conseil de ministres concernant la mise en œuvre du dispositif de la LFA d’octroyer au moins 15% des terres aménagées par l’Etat, les Collectivités Territoriales et leurs partenaires aux femmes, aux jeunes et aux personnes handicapées afin de garantir leur accès et leur sécurisation aux moyens de production (terre, eau, intrants…).
Pour les régions, les cercles et les communes :
• Action 11: Généraliser l’adoption du Droit à l’Alimentation Adéquate (DAA) dans tous les PDSEC (programme de développement social, économique et culturel) des communes et dans les plans de développement régionaux, avec une forte implication des gouverneurs, des préfets et des sous-préfets ;
• Action 12: Mettre en place, former et faire fonctionner de façon démocratique des commissions foncières Agricoles ;
• Action 13: Investir des ressources financières inscrites dans le budget régional et de l’ensemble des communes pour la restauration, le fonctionnement et l’exploitation des périmètres maraîchers abandonnés ;
• Action 14: Elaborer et adopter des plans de contingence pour les cercles et les régions prenant en compte les changements climatiques ;
• Action 15: Suivre le contrôle de qualité au niveau des unités de production d’huiles dans les régions par les services déconcentrés de l’Etat en vue de s’assurer du respect des normes exigées en la matière pour obtenir des produits répondant aux normes de sécurité sanitaire des aliments ;
• Action 16: Prendre, au niveau des communes, des cercles et/ou des régions, des arrêtés interdisant la commercialisation et l’utilisation des emballages inadéquats pour les aliments par les gargotes et restaurateurs.

QUELS SONT NOS ENGAGEMENTS EN TANT QUE SOCIÉTÉ CIVILE MALIENNE REGROUPÉE AU SEIN DE LA COALITION ?
En tant que membres de la Coalition, nous nous engageons à travailler ensemble à partir d’un plan d’action consensuel sur une campagne autour du thème « Faim zéro au Mali : une affaire de toutes et de tous ». Pour ce faire, nous nous engageons fortement à travailler en synergie, dans la cohésion et dans la complémentarité pour ouvrir le dialogue avec les décideurs à tous les niveaux afin de contribuer aux changements de politiques et de pratiques au Mali pour assurer le Droit à une Alimentation Adéquate (DAA) et pour atteindre une souveraineté alimentaire et nutritionnelle au Mali.