L’arrestation le 17 février 2020 du prêcheur Bandiougou Doumbia, pour apologie du terrorisme, sédition et offense au chef de l’État, relance la question de l’encadrement de l’exercice des cultes religieux au Mali. Régies par des dispositions mal appliquées et inadaptées à la réalité, les différentes manifestations de la foi ne semblent obéir qu’à la seule volonté de leurs nombreux acteurs. Construction d’édifices, organisation de prêches ou fonction d’Imam, les critères sont peu respectés, conduisant régulièrement à des dérives. Pourtant l’État, qui est le garant de la liberté des différents cultes, ne manque pas de moyens pour agir.

 

Si la pratique de la foi relève d’un engagement individuel, la vie des Musulmans en société est « régie » par certaines « fonctions » essentielles à l’exercice de leur culte. Il en est ainsi de celle d’Imam. Chargé de diriger la prière, l’Imam a aussi été le responsable de la communauté musulmane du temps du Califat. Mais avec la mort de l’Imam Ali et la disparition de celui-ci, les communautés musulmanes se sont organisées chacune en fonction de ses réalités. Ainsi, à travers le monde, chaque pays a adopté des règles destinées à permettre une libre expression de cette foi, tout en garantissant l’exercice des autres cultes, à travers la laïcité.

Cadre inadapté

Quelques textes fixent actuellement le cadre réglementaire de  l’exercice des cultes au Mali. L’ordonnance n°59-42 PG PRS du 28 mars 1959, relative aux associations cultuelles et aux congrégations religieuses, la loi n°86/AN-RM du 21 juillet 1961, portant organisation de la liberté religieuse et de l’exercice des cultes en République du Mali et une autre loi datant de 1986.

Plusieurs articles de ces textes sont depuis longtemps tombés en désuétude et les tentatives de relecture, pour le moment, sont suspendues, à cause de l’opposition de certaines organisations musulmanes, notamment. « En attendant une convergence de vue, le processus de relecture des 2 lois, pour harmoniser les points de vue,  les adapter aux réalités et en faire une seule loi, a été suspendu. Les structures religieuses, en général, y sont opposées », explique M. Dame Seck, chargé de mission au ministère des Affaires religieuses et du culte.

Les dispositions concernées sont relatives notamment à la construction des édifices et à l’organisation des cultes. L’article 11 de la loi de 1961 prévoit : « est soumis à l’agrément préalable du ministère de l’Intérieur l’acceptation de legs et dons mobiliers ou en espèces d’une valeur ou d’un montant supérieur à 500 000 francs. (…) » et le changement prévu est d’exiger ce droit de regard de l’État lorsque ce montant est supérieur à 5 000 000 de francs CFA.

L’autre point de discorde est l’encadrement des Musulmans lorsqu’ils prient en dehors du cadre d’un édifice religieux, l’idée étant de demander l’autorisation préalable des autorités administratives du lieu concerné, « afin de les protéger », explique M. Seck. Une disposition malheureusement perçue comme une mesure d’interdiction « des prières de rue », ce qui n’est pas du tout envisageable, déplore le chargé de mission. Mais il est «  prévu la mise en place d’un cadre de concertation » pour rapprocher les positions, assure t-il.

Besoins en formation

S’il n’existe pas une école spécifique pour la formation des Imams ou des prêcheurs, les 2 « fonctions » obéissent cependant à des « critères » déterminés. La religion, basée sur la connaissance de « celui qui est devant », l’Imam en arabe, détermine qu’il doit avoir un certain nombre de connaissances. Il doit être capable d’expliquer la pratique aux croyants et répondre aux interrogations, pour pouvoir résoudre les questions sociales. L’Imam doit aussi « être respecté, avoir un bon comportement et il doit être accepté par la communauté musulmane. Parce qu’il y a une relation spirituelle et de confiance entre lui et les fidèles », explique M. Thierno Hady Thiam, Imam de la mosquée de Darsalam.

Au Mali, les Imams dirigent les prières et assurent aussi certaines fonctions sociales, comme la célébration religieuse des mariages, les baptêmes ou les décès. « Ils sont aussi sollicités pour gérer des conflits conjugaux ou sociaux. Mais, pour ces différentes fonctions, ils ne sont pas payés. Ils sont importants et ne peuvent donc pas être des ignorants », ajoute l’Imam Thiam. Leur formation de base était auparavant assurée par les écoles coraniques, « qui ont moins de pouvoir avec la laïcité », note M. Thiam.

En attendant la création d’un institut dédié à cet effet et appelé de ses vœux par la Ligue des Imams et érudits du Mali (LIMAMA), l’organisation s’attèle à la mise à niveau de ses acteurs, à travers des formations comme celle relative à l’utilisation des registres pour la formalisation du mariage religieux, explique l’Imam Sékou Amadou Traoré, Imam à Sénou et Secrétaire à l’information de la LIMAMA. Pour la formation de base, il assure qu’au Mali, « il existe actuellement plusieurs possibilités de formations et il y a des Imams bien formés ».

Mélange des genres

N’est pas non plus prêcheur qui veut. Tous les prêcheurs ne sont pas Imams et inversement. Quand il s’agit d’assurer la charge de vulgariser l’Islam, le rôle d’appeler les gens à croire en la religion peut en principe être joué par tout Musulman. Cependant, prêcher nécessite un talent et des compétences qui ne s’improvisent pas. « Ils sont formés aussi dans les écoles coraniques et dans celles qui leur apprennent la jurisprudence », précise l’Imam Thiam. Et le prêcheur doit lui aussi donner l’exemple.

Sollicité pour résoudre certains maux à travers sa connaissance de la religion, le marabout, qui n’est pas « un guérisseur » mais se comporte comme tel, a aussi entraîné un mélange des genres et de nombreuses confusions, déplore l’Imam Thiam.

Prêches politiques ?

La multiplication des acteurs et l’absence d’un cadre d’intervention clair contribue largement aux nombreuses dérives constatées. En effet, « les acteurs religieux, depuis la nuit des temps dans la sous-région ouest-africaine, sont ceux qui se dressent contre le pouvoir pour protéger le peuple quand le pouvoir est dur. Il y a cette tradition de protéger la faiblesse du peuple », explique le chercheur Gilles Holder.

Si le prêcheur Bandiougou Doumbia « est allé loin », on peut lui reprocher tout d’abord « un langage grossier », ce qui n’est pas acceptable pour un religieux dans la société malienne et surtout  d’avoir utilisé « des arguments politiques, qui mettent à mal le pouvoir et la gouvernance ». Or, on ne peut faire le procès de quelqu’un alors que celui qui l’accuse utilise les mêmes armes, note le chercheur. Si Bandiougou fait du populisme, le pouvoir est dans le populisme aussi, ajoute-t-il.

Fixer un cadre ?

C’est donc à l’État de fixer un cadre, reconnaissent les acteurs. Formés dans le cadre d’une convention signée entre le Mali et le Royaume du Maroc, 500 Imams du Mali ont déjà rejoint ce pays et plusieurs d’entre eux, de retour, officient déjà dans les mosquées. « Même en dehors des mosquées, ils sont des acteurs importants dans la lutte contre le terrorisme et la radicalisation », note le chargé de mission du ministère des Affaires religieuses et du culte. Conscients de cette mission, ces 500 Imams s’engagent surtout à devenir des formateurs pour d’autres imams. En 2018, en collaboration avec la LIMAMA, ils ont formé environ 70 Imams et sont sollicités dans de nombreuses localités du Mali. Mais cet engagement ne saurait être efficace sans « l’implication de l’État ». En effet, même s’il ne construit pas les mosquées, l’État doit veiller à leur installation à travers une structure dédiée, suggère Ladji Sosso Haïdara, Imam de N’Golonina et membre de la première promotion des imams formés au Maroc.

Un travail qui doit commencer d’abord par l’analyse de la situation réelle de ces mosquées et leur recensement, des statistiques pour le moment inexistantes.

Fatoumata Maguiraga

Journal du mali