Suite à la décision du gouvernement lue par la ministre du Travail, de la fonction publique et des relations avec les institutions, Mme Diarra Racky Talla, sur les antennes de l’ORTM ce mardi soir, de réquisitionner les magistrats en grève illimitée, depuis plus de deux mois, les deux syndicats de la magistrature, Syndicat Autonome de la Magistrature (SAM) et du Syndicat Libre de la Magistrature (SYLIMA) ont organisé une assemblée générale extraordinaire conjointe, hier mercredi, au siège du SAM.

La réaction des juges
1- L’Assemblée Générale Extraordinaire invite les magistrats requis à refuser de se soumettre au décret illégal du Gouvernement;
2- Elle engage les Syndicats de Magistrats à saisir l’Organisation Internationale du Travail (OIT) face aux atteintes graves par le Gouvernement, à l’exercice de la liberté syndicale et au droit de grève ;
3- Elle engage les deux syndicats à saisir les instances juridictionnelles nationales et internationales pour:
a- Récuser le Président de la Cour Suprême du Mali dans la conduite des procédures à venir qui opposeront les syndicats de magistrats au Gouvernement;
b- Surseoir à l’exécution du Décret illégal tendant à réquisitionner les magistrats;
c-Poursuivre l’annulation dudit Décret ;
4- Elle exige la démission de Messieurs Soumeylou Boubèye MAIGA, Tiénan COULIBALY et Madame DIARRA Racky TALLA de leurs fonctions respectivement de Premier ministre, de Ministre de la Justice et de Ministre de la Fonction Publique et de porter plainte contre eux pour haute trahison et pour complot contre la sûreté de l’Etat conformément aux dispositions de l’article 95 de la Constitution du Mali du 25 février 1992);
5- Elle exige la démission de Monsieur Nouhoum Tapily de ses fonctions de Président de la Cour Suprême et engage les syndicats à porter plainte contre lui pour forfaiture et violation de son serment;
6- Elle constate le silence de Monsieur le Président de la République, Président du Conseil Supérieur de la Magistrature et Garant Constitutionnel de l’indépendance de la Magistrature, face aux graves atteintes par les membres du Gouvernement susnommés à l’indépendance du Pouvoir Judiciaire ;
7- Elle décide enfin du maintien du mot d’ordre de grève illimitée jusqu’à l’aboutissement des revendications légitimes de la corporation.

Nous vous proposons la dite résolution in extenso, les réactions de quelques responsables et la déclaration conjointe des deux syndicats rendu publique mardi 9 octobre.

RESOLUTIONS DE L’ASSEMBLEE GENERALE EXTRAORDINAIRE
CONJOINTE SAM SYLIMA
L’an deux mille dix-huit et le dix Octobre, à la Cour d’appel de Bamako s’est tenue une Assemblée Générale Extraordinaire Conjointe du Syndicat Autonome de la Magistrature (SAM) et du Syndicat Libre de la Magistrature (SYLIMA)
L’ordre du jour a porté sur la réponse à apporter par la Magistrature, au décret en date du 09 octobre 2018 du Gouvernement de la République du Mali tendant à réquisitionner les magistrats grévistes
Après une présentation sommaire de la situation par les deux Présidents, la lecture d’un communiqué de presse et d’une déclaration, suivie de l’intervention de quelques militants, l’Assemblée Générale Extraordinaire a adopté une résolution en 7 points qui suivent :
1-L’Assemblée Générale Extraordinaire invite les magistrats requis à refuser de se soumettre au décret illégal du Gouvernement de la République du Mali tendant à cette fin ;
2-Elle engage les Syndicats de Magistrats à saisir l’Organisation Internationale du Travail (OIT), face aux atteintes graves et intolérables par le Gouvernement de la République du Mali, à l’exercice de la liberté syndicale et au droit de grève ;
3-Elle engage de même les deux syndicats à saisir les instances juridictionnelles nationales et internationales à- Récuser le Président de la Cour Suprême du Mali dans la conduite des procédures à venir qui opposeront les syndicats de magistrats au Gouvernement de la République b- Surseoir à l’exécution du Décret illégal du Gouvernement de la République tendant à réquisitionner les magistrats ; c- Poursuivre l’annulation dudit Décret.
4-Elle exige la démission de Messieurs Soumeylou Boubeye MAIGA, Tienan COULIBALY et Madame DIARRA Racky TALLA de leurs fonctions respectivement de Premier ministre, de Ministre de la Justice et de Ministre de la Fonction Publique et de porter plainte contre eux pour haute trahison et pour complot contre la sûreté de l’Etat conformément aux dispositions de l’article 95 de la Constitution du Mali du 25 Février 1992);
5-Elle exige la démission de Moniteur Nouhoum TAPILY de ses fonctions de Président de la Cour Suprême et engage les syndicats à porter plainte contre lui pour forfaiture e! violation de son serment ;
6-Elle constate le silence de Monsieur le Président de la République Président du Conseil Supérieur de la Magistrature et Garant Constitutionnel de l’indépendance de la Magistrature, face aux graves atteintes par les membres du Gouvernement susnommés à l’indépendance du Pouvoir Judiciaire ;
7-Elle décide enfin du maintien du mot d’ordre de grève illimitée jusqu’à l’aboutissement des revendications légitimes de la corporation.
Bamako, le 10 octobre 2018

ALOU BADRA NANACASSE, PRÉSIDENT PAR INÉRIM DU SAM
L’objet de la rencontre, nous avons entendu, hier soir (nuit du mardi au mercredi) sur notre télévision, la lecture d’un Décret du gouvernement réquisitionnant les magistrats. Aujourd’hui, on s’est retrouvé pour donner notre réponse aux citoyens par rapport à cette réquisition qui veut dire que les magistrats, qu’ils le veulent ou pas, doivent reprendre le travail à partir d’aujourd’hui (10 octobre), car le gouvernement est assez puissant.
Nous sommes venus dire à nos militants que celui qui peut exiger aux magistrats de reprendre le travail, ce n’est pas le gouvernement. Nous sommes les accompagnateurs du gouvernement. Le pouvoir exécutif n’est pas au-dessus du pouvoir judiciaire. Le gouvernement n’a pas d’injonctions à donner aux magistrats.
La seule autorité qu’on sait de nous est le Président de la République. Le fait que le Président de la République n’a pas réagi jusqu’à présent, nous estimons qu’il a parlé.
Nous ne sommes pas d’accord avec la réquisition ni aujourd’hui, ni demain. Et nous allons poursuivre la grève illimitée jusqu’à la satisfaction de nos revendications.
A l’issue de cette rencontre, nous avons décidé de donner notre réponse au gouvernement en faisant savoir qu’ils n’acceptent pas et n’appliquent la réquisition des magistrats.
On a aussi évoqué au débat animé par TAPILY, le président de la Cour Suprême. Ces propos sont une trahison de tous les magistrats. Il peut donner son avis sur la régularité d’un décret ou d’une loi qu’on soumet à la Cour suprême, mais pas sur la légalité d’une grève ; cela ne révèle pas de ses compétences. Si par intérêt personnel, il s’est immiscé dans cette histoire, en donnant un avis défavorable sur la légalité de la grève illimitée des magistrats à Soumeylou Boubèye MAIGA, Premier ministre, nous disons qu’il a trahi et a fait honte à la famille judiciaire malienne. En tout cas, il doit comprendre de lui-même que ce qu’il a fait n’est pas admissible.
Le président de la Cour suprême doit démissionner pour avoir violé les textes. On veut qu’il démissionne, mais, ce n’est pas à nous de le faire démissionner, car ce n’est pas nous qui l’avons mis à ce poste. Nous n’avons plus de respect et de considération à son égard pour avoir violer la loi. Il n’a pas honoré son serment de servir le pays en toute légalité.
Concernant le service minimum, on le laisse comme tel, pour le respect des droits de l’homme, les présidents des tribunaux et les procureurs sont en train d’assurer le service minimum. Ce que dit le gouvernement est faux. Ils ont plutôt besoin des passeports (le casier judiciaire et la nationalité) ; sinon, le gouvernement n’a pas besoin des citoyens qui sont en prison ; encore moins des fonds publics détournés.
On ne va pas leur livrer les casiers ni les nationalités pour les permettre d’aller aux élections.
Au nom du principe de la séparation des pouvoirs, l’exécutif ne peut pas réquisitionner un magistrat. D’ailleurs, la loi sur la réquisition a été violée.
Il n’y a jamais eu un décret d’application de cette loi de 1987, prise dans quelle circonstance, je ne sais pas. Et avec l’avènement de la démocratie, la nouvelle Constitution du Mali a pris soin de dire que le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir exécutif. Et le président de la République est le garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Celui qui ne respecte pas ce principe-là aura violé la Constitution du Mali. C’est ce que le Premier ministre a fait et c’est que la ministre du Travail a cautionné ; et le ministre de la Justice est obligé de subir.
Nous connaissons la position du ministre de la Justice, qui vient d’arriver. Il n’est pas à l’origine de notre misère, mais il doit jouer sa partition en tant que Garde des sceaux.
Je n’ai pas de message à envoyer aux justiciables. C’est aux justiciables de demander des comptes au gouvernement qui a créé cette situation.
Je n’ai pas de message à leur envoyer. Notre bataille n’est pas dirigée contre eux. Elle est dirigée contre le gouvernement pour que nous soyons mis dans nos droits. Et si à cette occasion, les justiciables sentent les effets collatéraux, ils devraient s’en prendre plutôt au gouvernement qu’à nous. C’est ce que j’ai toujours dit, nous ne souhaitons pas que les justiciables souffrent de cette grève. Mais c’est le gouvernement qui n’a pas d’égard pour ses justiciables.

LA POSITION DU SYLMA, PAR LE REPÉSENTANT DU PRÉSIDENT
L’objet de l’assemblée, c’est par rapport au Décret de réquisition d’hier soir concernant les magistrats qui fait suite à la grève illimitée. On vient de tenir une assemblée générale uniquement pour dénoncer le caractère illégal et honteux de cette réquisition. Parce qu’un pouvoir ne peut pas requérir un pouvoir. Nous sommes dans un Etat de droit, dans une démocratie. On ne peut pas rabaisser notre démocratie aujourd’hui jusqu’à ce que le pouvoir exécutif se permette de réquisitionner le pouvoir judiciaire. Un pouvoir judiciaire réquisitionné ne peut pas travailler. Un magistrat doit travailler dans une indépendance totale. Voilà pourquoi, nous avons tenu cette assemblée générale dont les résolutions sont très catégoriques par rapport à beaucoup de personnes.
L’histoire retiendra aujourd’hui qu’au Mali, les magistrats ont décidé de défier le pouvoir exécutif en dénonçant le caractère illégal et demandant même la démission des signataires du décret.
Les grandes lignes sont qu’aujourd’hui, après l’assemblée générale, on demande à tous les collègues qui seront concernés par cette réquisition de ne pas donner suite. C’est un non-évènement. On va attaquer le décret de réquisition devant la Cour suprême. En plus de cela, nous allons porter plainte contre les signataires dudit décret pour haute trahison. Par ailleurs, nous avons exigé la démission du Premier ministre, du ministre de la Fonction publique et du celui de la Justice. Encore, nous avons demandé la récusation pure et simple du 1er président de la Cour suprême qui est sorti de son rôle en violant son propre serment de magistrat.

DECLARATION CONJOINTE SAM/SYLIMA
Le Syndicat Autonome de la Magistrature (SAM) et le Syndicat libre de la Magistrature (SYLIMA) prennent à témoin l’opinion publique nationale et internationale, le Peuple souverain du Mali, les forces Démocratiques de la République du Mali, les Organismes nationaux et internationaux de défense des Droits de l’Homme, les Centrales syndicales du Mali et les différents Acteurs judiciaires de la décision historique posée par le Gouvernement de la République du Mali de réquisitionner des Magistrats.
Les syndicats de Magistrats expriment leur profonde indignation et leur vive préoccupation face à cette atteinte grave et intolérable à la Constitution de la République en ses principes relatifs à démocratie, à la séparation des pouvoirs, à l’Indépendance du Pouvoir Judiciaire et au droit de grève
Le Gouvernement de la République du Mali est résolu à enterrer la démocratie. Cette situation extrême interpelle le Peuple, tous les républicains et tous les démocrates convaincus.
La magistrature réfute ce délire dictatorial et invite tous les Magistrats à faire bloc contre cette forme de caporalisation du pouvoir judiciaire par le pouvoir exécutif
Les syndicats de Magistrats expriment leur incompréhension face au silence de Son Excellence Monsieur le Président de la République, Président du Conseil Supérieur de la Magistrature, Garant constitutionnel de l’Indépendance du pouvoir judiciaire face à cette atteinte inqualifiable aux valeurs de la République. Ils osent croire que ce silence n’est nullement synonyme de complicité.
Face au peuple malien et face à l’histoire, chacun sera comptable de sa décision et particulièrement du rôle qu’il aura joué en cette occasion inédite et fortement attentatoire à la Constitution et aux instruments juridiques internationaux auxquels notre pays a librement souscrit.
Le SAM et le SYLIMA sous leur responsabilité propre, invitent les Magistrats requis à refuser de se soumettre à cette illégalité éhontée et d’une autre époque.
Ils rassurent les Magistrats que des procédures judiciaires seront engagées incessamment pour, d’abord, surseoir à la mise en œuvre de ce décret antirépublicain et, ensuite, poursuivre son annulation pure et simple. De même, compte sera incontestablement rendu par tous les auteurs de cette haute trahison.
En ces heures sombres pour la démocratie et la République, le SAM et le SYLIMA invitent les Magistrats du Mali au calme, à la cohésion, et à la plus grande vigilance.
Bamako, le 09 octobre 2018

Info-matin