Négocier avec les groupes armés jihadistes. De prime abord, envisager une telle idée mériterait la pendaison, tant ils ont semé la mort et la désolation sur leur passage. L’idée scandaleuse et scabreuse peut paraître comme une injure à l’histoire récente.

 

Pour autant, à la faveur du Dialogue National Inclusif, elle s’invite dans le débat. Ainsi, à l’issue de la phase régionale et celle du district de Bamako du dialogue national inclusif (DNI), le (POCIM) a rendu public un communiqué de presse, ce 23 octobre 2019, dans lequel on peut lire parmi les nombreuses recommandations : ‘’l’ouverture des négociations avec les groupes armés djihadistes’’.
La recommandation est pressante, puisqu’il en avait déjà été question lors de la Conférence d’Entente Nationale qui s’est tenue du 27 mars au 02 avril 2017, au Palais de la Culture. En plus de celle très attendue sur la question de ‘’l’Azawad’’, une recommandation était en effet de ‘’promouvoir une culture de paix et de dialogue avec tous les fils de la nation y compris avec des islamistes maliens une fois que leurs préoccupations, comprises, n’entament pas l’unité nationale et les fondements de la république’’
De façon plus explicite, la CEN a préconisé : ‘’négocier avec les belligérants du centre en l’occurrence Ahmadou Koufa tout en préservant le caractère laïc de l’État ; négocier avec les extrémistes religieux du Nord en l’occurrence Iyad Ag Ghaly tout en préservant le caractère laïc de l’Etat’’.
Faisant écho à cette recommandation née de débats souvent très passionnés, une Commission de Médiation a été instaurée par l’ancien Premier Abdoulaye Idrissa MAIGA dont un de ses successeurs, Soumeylou Boubèye MAIGA, a mis terme à la mission. Lui qui pourtant, en mission en 5e région, en mars 2018, déclarait : « depuis un certain temps, il y a un débat autour de l’inclusion d’Iyad, répond-il. Si Iyad fait partie des solutions pour régler définitivement le problème du Mali en général, je ne vois pas d’inconvénient à ce qu’il intervienne d’une manière ou d’une autre. Paris a beaucoup revu sa position. J’ai vu les interventions récentes des officiers supérieurs français qui commencent à parler de solutions politiques. J’imagine que dans solutions politiques, cela veut dire qu’il faut exclure la manière forte ».
Mais, en réalité, l’idée d’un dialogue avec les jihadistes a germé depuis 2012. On se rappelle que le 26 juillet, après avoir reçu le quitus du Premier ministre, Cheick Modibo DIARRA, l’Imam Mahmoud DICKO, alors Président du Haut conseil islamique du Mali, avait pris la route de Gao, en toute discrétion, avec comme objectif de rencontrer Iyad Ag Ghaly, pour une « prise de contact officielle ». Ce, après avoir exprimé sa détermination à briser la glace, en annonçant : « on ne peut pas rester là, à Bamako, les bras croisés. »
Quoi que n’ayant pas pu rencontrer Iyad, il a pu échanger avec les notables de la ville, les membres du conseil régional déchu et Abdel Hakim, leader du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), avec qui l’Imam affirme que les choses se sont très bien passées. C’était une grande avancée dans le contexte de 2012 où les jihadistes avaient leur république et le Mali la sienne.
De retour de sa mission, il redit son credo : « je crois au dialogue. Et s’il n’y a aucun compromis possible, je pourrai dire alors aux Maliens et à la communauté internationale : «On a tout essayé, ça n’a pas marché.»
Autant dire que de 2012 à maintenant, la problématique du dialogue avec les jihadistes a été posée de façon récurrente, sans jamais véritablement prospérer.
Un des écueils sur la voie de ce dialogue pourrait être le Président IBK qui, dans une interview accordée au confrère ‘’Le Monde’’, en février 2018, apportait une repose à géométrie variable.
Dans un premier temps, il dit : « pouvons-nous négocier avec Daech [acronyme arabe de l’État islamique] ? Avec Al-Qaida au Maghreb islamique ? Ma réponse est un non ferme. Par contre, certains sont venus à nous. Un petit groupe du Front de libération du Macina s’est récemment rendu, avec armes et bagages. Ceux qui n’ont pas de sang sur les mains pourraient avoir la vie sauve ».
Dans un second temps, à l’évocation du nom de Iyad, il se fâche et se lâche : « pas question ! Le président du Haut Conseil islamique, l’imam Mahmoud DICKO, avait reçu mandat de l’ancien premier ministre Abdoulaye Idrissa MAIGA [avril-décembre 2017] de conduire une mission de bons offices dans le centre et le nord du pays. Je l’assume en tant que chef de l’État, mais j’étais bien loin de l’approuver. Nous avons mis fin à cette mission ».

En épluchant ces réponses, il apparaît clairement qu’il ne juge même pas nécessaire de dialoguer avec certains jihadistes jugés radicaux. Ce, au point de se désolidariser de son Premier ministre.
Un autre obstacle et non des moindres, est la position du Grand ami qui a aussi sa catégorisation des jihadistes. Ceux avec qui on peut et on doit dialoguer, d’une part, qui sont laïcisés à Ougadougou, d’autres qui sont pestiférés, à l’instar de Iyad, avec lesquels négocier reviendrait à violer toutes les dispositions internationales imaginales.
Pourtant, ce dialogue est un impératif au regard de certaines considérations.
D’un point de vue personnel, le Président IBK y est tenu eu égard sa profession de foi. C’est bien lui qui disait, lors de l’audience qu’il a accordée à la Majorité présidentielle, à Koulouba, le samedi 16 février 2019 : « pour moi rien n’est au-dessus du Mali, aucun sacrifice, aucun ego, de quel ego ? Je ne suis pas ici pour cela. Je suis ici pour que ce pays s’adonne à la seule mission qui est la sienne et qui lui est assignée par l’histoire. Venant d’où il vient, il est condamné à rester grand.

La grandeur s’accompagne toujours d’humilité, de grande humilité. Pour moi rien ne vaut le Mali, et il n’y a aucun sacrifice auquel je ne puis atteindre pour ce pays -là, et au demeurant, ce n’est pas un grand sacrifice d’appeler un jeune frère et de souhaiter (le rencontrer) ».
Comme corollaire à cette profession de foi, il y a la mission constitutionnelle de protéger les Maliens par tous les moyens. C’est-à-dire que si l’acquisition de moyens militaires ne suffit pas, et c’est bien le cas ; il faut accepter de bonne grâce le dialogue. Le lourd bilan humain et matériel devrait y inciter fortement.
Il y a enfin, un fléchissement de la position du Grand ami à que ses propres militaires sont en passe d’imposer une nouvelle grille de lecture de la situation sécuritaire.
Cette fois-ci sera-t-elle donc la bonne ? Il y a lieu d’espérer dès lors qu’il paraît de plus en plus que le pays est sur les rotules, nonobstant les efforts colossaux déployés pour la sécurité. Après tout, comme le dirait l’autre : ‘’toutes les guerres se terminent autour d’une table de discussion’’. En pleine guerre, point de place pour la guerre d’usure au Mali. Bien entendu, quand on mange la soupe avec le diable, il faut avoir une cuillère à longue queue…

PAR BERTIN DAKOUO

Source : Info Matin