Une jeune fille de 20 ans, étudiante, a décidé d’avorter. Envahie par le remord et la douleur aujourd’hui, celle qui n’a pas voulu être mère s’est confiée à la blogueuse Fatima Hope, qui a tiré de ses confessions un texte au style oscillant entre prose et poésie.

 

Mes mains tremblent, le bruit de la porte qui se referme accentue la tension dramatique de ce moment. J’ouvre l’emballage scellé et en extrais le test. Je maintiens la pointe absorbante vers le bas, sous le jet d’urine, jusqu’à ce qu’elle soit suffisamment humide. Je ferme les yeux, mon cœur bat la chamade, ma tête tourne. Cette attente m’est insupportable. J’ai l’impression qu’elle dure une éternité. Une partie de moi aimerait bien rester dans l’ignorance. J’aimerais bien oublier ce pressentiment qui me ronge.

Ces petits changements  à peine perceptible que subit mon corps, pourtant si révélateurs. J’ose enfin ouvrir les yeux. Je ne regarde pas tout de suite. Je réunis les dernières forces qui me restent et rejoins mon lit. Je fais une dernière prière silencieuse sous ma couette et regarde enfin. Deux petits traits rouges me font de l’œil, me scrutent, me narguent et enfin m’achèvent.

Un sentiment de vide

L’anxiété et les doutes de ces derniers jours disparaissent pour faire place à une torpeur mêlée d’une tristesse infinie. Machinalement, je porte la main sur mon ventre, une vague de larmes déferle sur mes joues, tout mon corps est secoué par des sanglots étouffés. Il n’y a plus de doute : je suis belle et bien enceinte.

Le sentiment de soulagement que j’ai pu ressentir après coup a vite fait place à un sentiment de vide. Retourner en cours comme si rien ne s’était passé. Ne plus savoir quoi faire ou à qui parler. Ne pas avoir le droit de souffrir, puisque je l’avais choisi. Parfois viennent les larmes, une impression de vide, les insomnies, les cauchemars, les idées noires. La culpabilité, elle, est omniprésente. La réalité qu’on fuit nous rattrape toujours. J’ai refoulé mes sentiments, je les ai rejetés dans les tréfonds de mon être.

Aujourd’hui, je veux m’en libérer. J’écris pour extérioriser mes démons. J’écris pour toi, mais aussi pour moi, pour t’expliquer, pour m’exprimer et par-dessus tout pour m’excuser…

Petit ange,

Songe d’un amour inassouvie,

L’image de toi dans mes bras, tourne en boucle dans ma tête. Elle me chagrine autant qu’elle m’obsède.

Je te demande pardon, pardon de ne pas t’avoir accueilli joyeusement.

La main sur le ventre je ressens le vide que tu as laissé en moi.

Pardon de t’avoir arraché à mes entrailles. La sensation de la canule qui s’incruste en moi et t’absorbe de ta niche me hante.

Pardonne à ton père, ce lâche qui nous a abandonnés. Pardonne-lui, car moi je ne le peux pas. Pas encore. Pas tout de suite. Tu as été conçu dans un amour que je pensais sincère et éternel. Ma rancœur, aujourd’hui si vive, en  a éteint les flammes.

Pardonne-moi de ne pas avoir eu la force de te garder. J’étais jeune, tiraillée entre deux feux, complètement seule et terrifiée. A 20 ans, étudiante et sans emploi, je ne me voyais pas affronter ma famille. Je ne pouvais t’imposer à ta grand-mère, ni lire la déception sur son visage. Toute ma faute et tout notre poids lui seraient tombés dessus. je ne pouvais m’y résoudre.

Je n’ai pas su braver la peur de décevoir ma famille, de la chagriner, d’abandonner mes études, de faire face aux jugements et aux humiliations. J’étais pétrifiée d’affronter tout cela seule : je t’ai donc sacrifié.

J’aurais aimé être plus courageuse, plus indépendante, plus forte et me révolter contre l’ordre établi, contre les qu’en dira-t-on et t’assumer contre tout et contre tous. À la place, j’ai choisi de pas te donner la vie. Je m’en excuse. Je ne pouvais consulter mon cœur, à défaut j’ai écouté ma raison. Ce choix l’a brisé, moi qui le pensais déjà en mille morceaux. C’était peut-être égoïste, mais je ne pouvais te traîner dans la boue, je me devais de te protéger, d’assurer ta survie ici-bas et non pas te faire endurer une vie qui n’étais pas la tienne.

J’ai choisi de ne pas être mère plutôt que d’en être une mauvaise.

Rien n’est comparable à la douleur de ta perte et la souffrance que je m’inflige. Je t’ai fait sortir de mon corps mais dans mon cœur et mon esprit tu vivras éternellement, gravé dans ma chair et dans mon âme. Tu es parti avec une partie de moi et je sens encore le cordon.

A jamais tu vis en moi.

Source : benbere