Pour marquer la fête des Travailleurs, le 1er mai, il est bon de jeter un regard sur la plus vieille centrale syndicale du pays. De la période coloniale à nos jours, l’Union nationale des travailleurs du Mali-Untm (l’appellation a évolué au fil de l’histoire) a été dirigée par onze patrons dont neuf sous la République du Mali et sous les statuts variables de secrétaire général, président ou intérimaire. Ainsi, la vie du syndicalisme malien est intimement liée à ces hommes qui ont eu des fortunes diverses en terme de bilan d’activité. Qui sont-ils ? Quel est leur parcours ?

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L’histoire du syndicalisme malien est passionnante, surtout si elle vous est contée par un homme du sérail, à l’image de Hamed Sidibé, ancien de l’Untm à la retraite, formateur à la Bourse du travail. L’homme maîtrise parfaitement l’évolution du syndicalisme au Mali comme ces figures de proue qui ont dirigé la centrale des travailleurs maliens. On en dénombre une dizaine de l’indépendance à nos jours.

Abdoulaye Diallo, un Guinéen, Commis des PTT fut le tout premier secrétaire général d’une Centrale syndicale qui a concerné des travailleurs du Mali. C’était d’avril 1946 au référendum de 1958. Diallo était vice-président de la Fédération syndicale mondiale (Fsm) et membre de l’Ugetan (Union générale des travailleurs d’Afrique noire) créée en 1956 pour que les travailleurs s’opposent à la Loi Cadre.

Mamadi Famadi Sissoko prend le relais en février 1959, quand Diallo a regagné définitivement sa Guinée natale pour y devenir le secrétaire général de l’Union syndicale des travailleurs du Soudan (Usts). Après la proclamation de la République du Soudan en avril 1959, l’Usts devient Unts (Union nationale des travailleurs du Soudan).

En juillet 1963, trios ans après l’indépendance du Mali, l’Unts devient l’Untm (Union nationale des travailleurs du Mali) avec toujours le même secrétaire général.

La principale œuvre de Mamadi Famadi Sissoko se situe au congrès extraordinaire du 22 septembre 1960 qui a proclamé la République du Mali à cause de la farouche rivalité qu’il y avait entre les cadres de l’Usts et ceux du parti Us-Rda.

Dans un discours qui a marqué les esprits, il a formulé des propositions qui ont toutes été avalisées: le syndicat accepte la suprématie du parti à condition qu’il y ait convergence de vue sur la construction nationale, notamment l’option socialiste ; la réalisation de l’unité africaine ; la fin de la présence des troupes étrangères sur le territoire malien, notamment les bases françaises ; et la création d’une armée malienne.

En 1963, dans une lettre circulaire du président Modibo Kéïta, l’Etat s’engage à reconnaître officiellement le rôle du syndicat dans la lutte contre la domination coloniale et dans la construction nationale.

Cependant, on relève aussi des dérives sous l’ère de Mamadi Famadi Sissoko. Tout d’abord, il a accepté que l’on divise les salaires par deux pour prendre en compte les Maliens rentrés du Sénégal après l’éclatement de la Fédération du Mali. Ensuite, avec les jeunes de l’Us-Rda, il lance la révolution active qui a conduit à tous les déboires connus sous le régime du président Modibo Kéïta.Quand celui-ci fut renversé le 19 novembre 1968, Mamadi Famadi Sissoko fut arrêté.

En 1969, le Cmln (Comité militaire de libération nationale) met en place le Comité de coordination provisoire (Ccp) présidé par Bougouri Diarra. Il avait pour mission d’expurger le syndicalisme de la politique. Dans cette œuvre de réforme, le nouveau patron du syndicalisme malien a été à l’aile gauche des jeunes de Modibo Kéïta. Si bien qu’au congrès de 1970, il a été renversé.

Soumana Mamadou Maïga fut élu secrétaire général. Mais pas pour longtemps. Car, conformément aux recommandations du congrès, le nouveau bureau demande le retour des militaires dans les casernes, le retour du pays à une vie constitutionnelle normale et le renforcement des sociétés et entreprises d’Etat. Tiécoro Bagayoko, alors directeur de la sûreté, les met aux arrêts et dissout le bureau, la même année.

Le Cmln met en place la Ccsm (Commission consultative des syndicats du Mali) présidée par Seydou Diallo. Celui-ci parvient à refonder le syndicalisme comme l’ont voulu les militaires. Mais, à la surprise générale, en 1971, il est suspendu de ses fonctions, sans motif. Et remplacé par son adjoint Mamadou Kane qui assure l’intérim et conduit l’Untm au congrès de 1974. Coup de théâtre lors de ce 3è congrès : c’est Seydou Diallo qui fut élu secrétaire général pour barrer la route aux candidats du Cmln. Diallo avait pour adjoint Bakary Karembé.

Seydou Diallo a eu le mérite de parvenir à réunifier la grande famille syndicale éclatée à son arrivée en 12 syndicats de l’Untm divisés en deux tendances, avec 6 de chaque côté. C’est aussi lui qui a introduit dans la lutte syndicale le principe de la participation responsable.

Mais Seydou Diallo n’était pas au bout de ses peines. Avec la mort suspecte de Modibo Kéita en 1977, ses camarades n’ont pas apprécié sa faible détermination à suivre les mouvements de protestation. Le bureau le suspend et Bakary Karembé assure l’intérim jusqu’au 4è congrès.

Ce congrès de 1978 élit justement Bakary Karembé comme secrétaire général. Il a continué la participation responsable de Seydou Diallo, tout en gardant l’identité et l’autonomie d’action de la Centrale. Ce faisant, il a dû logiquement renoncer à certains privilèges tels qu’avoir des députés travailleurs à l’Assemblée nationale et des ministres dans le gouvernement.

Mais la participation responsable de Karembé a plus profité à l’Etat qu’aux travailleurs. Car, de 1978 à 1991, il y a eu une seule fois l’augmentation des salaires de 3 000 francs. Plusieurs autres dérives sont à mettre au passif des mandats de Bakary Karembé. Pendant tout son règne, les travailleurs ont été confrontés à des retards de salaires, souvent jusqu’à 6 mois.

Et puis, c’est sous son ère que les Programmes d’ajustement structurel (PAS) ont vu le jour, avec leur corollaire de compression et de chômage. Faudra aussi ajouter l’instauration du Concours d’entrée à la Fonction publique en 1983. Mais aussi la dévaluation du Fcfa en 1984 et sa conséquence de division des salaires par deux.

Enfin, les avancements dans la Fonction publique ont été faits sans incidences sur les salaires. Tout cela a entraîné une sorte de révolte intérieure. Bakary Karembé n’était plus écouté par ses camarades, surtout par le Snec qui l’a d’ailleurs obligé à aller à un conseil central extraordinaire pour se déterminer par rapport à l’ouverture démocratique. C’était les 8 et 9 mai 1990. Le conseil a décidé de l’ouverture démocratique pluraliste. Ceci a conduit à la chute du général Moussa Traoré le 26 mars 1991. Et Bakary Karembé a décidé de se retirer de la scène.

En 1992, le 7è congrès élit par acclamation une liste proposée par Karembé. En tête de liste figurait Issa dit Issé Doucouré comme secrétaire général. Son adjoint: Hamadoun Amion Guindo. Tous les deux prétendaient au fauteuil.

Guindo fait l’indiscipliné en refusant que son syndicat (Syndicat national de commerce-assurances et banques, Syncab) suive le mot d’ordre de grève d’août 1993 sur la revendication de 5% d’augmentation des salaires. Il est suspendu pour 3 mois.

En 1994, Issé est suspendu pour faute grave. Son adjoint, Hamadoun Amion Guindo assure l’intérim jusqu’au congrès d’août 1996 qui consacre la partition de l’Untm, avec deux bureaux: l’un dirigé par Issé et l’autre par Hamadoun. Hamed Sidibé, alors secrétaire à l’éducation de l’Untm et secrétaire général adjoint du Snec, crée le Forum des syndicats nationaux (qui comprenait 9 syndicats et demi sur 12) pour servir d’interlocuteur auprès de l’Etat. D’ailleurs le Forum obtient 5% d’augmentation des salaires cette année-là. En août 1997, le Forum convoque un congrès unitaire. Hamadoun Amion Guindo refuse d’y prendre part avec son syndicat, alors même qu’il était tout désigné pour monter au trône, Issé Doucouré ayant déjà annoncé son retrait. Siaka Diakité fut élu secrétaire général. Sa période se caractérise par une recrudescence du syndicalisme revendicatif. Siaka est allé sur la base de l’application stricte du Pacte social (instauré par ATT et Soumana Sako sous la Transition). Ce pacte dit que chaque année, en fonction des performances économiques de l’Etat, l’on procédera à des ajustements de salaires conséquents.

En 1999, Siaka Diakité a même eu 7% d’augmentation avec Ibrahim Boubacar Kéïta, Premier ministre à l’époque. A son arrivée au pouvoir comme président élu, Amadou Toumani Touré accorde d’emblée 30% d’augmentation des salaires. Le secrétaire général a pu corriger les couacs qui ont émaillé l’application de cet acquis.

Siaka a ensuite transformé le syndicalisme revendicatif en syndicalisme de développement : 200 ha à l’Office du Niger pour des activités génératrices de revenus, amélioration de la productivité dans les services, etc…L’époque de Siaka Diakité, c’est aussi le syndicalisme œuvrant au dialogue social. Avec l’Etat a été créé en 2008 le Pacte pour la solidarité, la croissance et le développement (Pscd). L’application de ce pacte a permis à Siaka Diakité d’avoir une dernière augmentation de 5% en 2009 et autant en 2010.

Il a enfin amené l’Etat à concevoir une nouvelle grille indiciaire, faisant par exemple passer la catégorie A de l’indice 750 à l’indice 900. Mission accomplie !

En mars 2013, Yacouba Katilé prend les commandes de l’Untm. L’inspecteur des douanes travaille dans la foulée de Siaka Diakité : dialogue social, revendications, amélioration des conditions de vie et de travail, augmentation des salaires. A l’arrivée d’IBK, il a pu décrocher 20% après une grève en août 2014 et une menace de grève illimitée en octobre 2014.

Katilé a aussi pu décrocher l’augmentation des allocations familiales de 150% (de 1 500 Fcfa à 3 000 Fcfa ou 4 000 Fcfa selon la couche) ; l’augmentation du Smig (d’un peu plus de 1 800 Fcfa à 40 000 Fcfa), la diminution de 80% de l’ITS en janvier 2017; la revalorisation des salaires des employés de Sukala.                          

   La Rédaction*

Par Aujourd’hui-Mali