Après les 72 heures de grève observées les 18, 19 et 20 novembre 2020, par la plus grande centrale syndicale du pays, le patron de l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM), Yacouba KATILE, dans un entretien accordé à notre confrère Blo-Info, fait le bilan, revient sur raisons de cet arrêt de travail ainsi que les causes de l’échec des négociations avec le Gouvernement avant d’annoncer qu’un nouveau préavis sera déposé en ce début de semaine après une évaluation de la situation.

 

Monsieur KATILE, quels étaient les points de revendications qui n’ont pas été satisfaits et qui vous ont poussé à la grève ?
KATILE : Je l’ai déjà expliqué dans les interviews. À partir du mercredi à 00h, avec le Gouvernement, faute d’entente finalement, nous sommes partis en grève. Et lorsqu’on quittait la table de négociations, c’était le lundi. À la veille, pensant qu’on allait peut-être reprendre, nous avons dit qu’il y ait accord ou pas, nous allions nous retirer pour faire face à la gestion de notre mot d’ordre de grève. C’est ce que nous avons mis en exécution exactement. C’est à partir de midi que nous avons reçu la convocation du Gouvernement pour nous dire de revenir à partir de 15 heures sur les différents points à l’ordre du jour. Ce qui a fait que le mardi, à partir de midi, nous nous sommes retirés. On ne pouvait plus revenir autour de la table de négociations, et la grève était consommée.
L’UNTM n’est contre personne. Nous n’avons jamais voulu nous prononcer par rapport à la situation des autres. Nous nous sommes toujours abstenus d’intervenir dans la situation des gens. Mais, ce qu’il faut retenir, c’est qu’il y a souvent des éléments de comparaison. Alors, il se trouve que le Mali est dans une situation où certains pensent que le moment n’est pas opportun. Dans tous les cas, nous reviendrons par rapport à ça.
Mais les points saillants qu’il faut retenir, c’est qu’au-delà de ce que je viens de dire, il y a la situation des compressées, et des partants volontaires.
Lorsqu’on est intervenu entre temps, il y a eu le coup d’État. Au niveau des structures privées, il y a ce qu’on appelle les bureaux de placement qui constituent l’un des obstacles majeurs pour les meilleures conditions de vie et de travail de l’ensemble des travailleurs du secteur concerné. Lorsqu’on te prend pour six mois, le contrat prend fin, tu vas, tu reviens pour six mois, le contrat prend fin. Tout ça pour ne pas payer. En te prenant dans le cadre d’un contrat à durée déterminée, tu auras ta pension future. Pour ne pas payer tout ça, il y a des techniques qui sont mis en place pour mettre les travailleurs dans une précarité. Ce qui n’est pas juste, ce n’est pas bon. Et à beaucoup de niveaux au Mali, ça existe. Nous avons dit qu’il faut qu’on revoie autrement. C’est un élément important.
En dehors de ça, dans le cadre de l’emploi des jeunes, nous avons conclu avec le Gouvernement, en 2019, qu’il était prévu que 8600 emplois devraient être créés. Ils demandaient qu’on attende pour voir si les besoins de certaines structures ont été satisfaits. Malheureusement, il n’y a pas eu une réunion d’évaluation pour faire le point. Ce qui est sûr, c’est qu’on est en deçà de ce qui était attendu.
Il y a certains qui vous reprochent le fait d’attendre cette période de transition pour déclencher une grève. Que répondez-vous ?
KATILE : Je crois qu’il y a une ignorance quelque part. Les gens ne s’intéressent à certaines choses que lorsqu’elles sont en face d’eux. Ceux qui disent que nous n’avons pas grevé pendant le temps de IBK, c’est parce qu’ils ne suivent pas l’actualité. Ils n’ont rien compris. Qu’ils vérifient, l’UNTM ne pouvait pas obtenir l’augmentation des allocations familiales sans passer par l’effet de la grève.
Et, l’augmentation de la valeur indiciaire ? C’est encore à la suite de la grève que nous l’avons obtenue et c’est fait au temps de IBK. La baisse de l’impôt au niveau de l’ITS, c’est encore sous IBK, et c’est à la suite de grève que nous l’avons obtenu.
Nous avons eu, en son temps, par rapport à la cherté de la vie, mis une commission en place, qui de façon temporaire est en train de voir, si le prix des denrées de première nécessité augmente, il y a des réunions de cette commission pour voir là où ça ne va pas (si c’est la faute du Gouvernement) pour intervenir afin que le Gouvernement réagisse et qu’on puisse revenir à un prix raisonnable. L’UNTM est encore là. Elle est là pour tout le monde.
Le minimum qu’il faut pour se nourrir, se vêtir à 28 000 FCFA pour certains, et à certains niveaux, c’était à 31 000 F CFA. Mais, c’est avec moi. Si ce n’était pas la grève au temps de IBK, cela n’allait pas se faire…
Donc, ceux qui disent que nous n’avons pas grevé au temps d’IBK, c’est parce qu’ils n’ont pas suivi l’actualité. Ils ne maitrisent rien. Quand on n’est pas au courant de quelque chose, il faut s’abstenir de parler.

D’autres pensent que pendant la lutte menée par le M5, pratiquement toutes les autres Centrales ont participé et vous n’avez pas voulu suivre. Est-ce que vous avez une réponse à cela ?
KATILE : La réponse est très simple. Vous l’avez, en 1991 ! L’UNTM, avant la révolution au Mali, en 1990, à travers un conseil central de l’UNTM, a été décidé, dans une des résolutions, que le Mali aille au multipartisme, au changement du régime. L’UNTM était la pièce maitresse du soulèvement. Après la Révolution, quelle a été la rançon de l’UNTM ? En réalité, c’est la trahison et tout ce qui s’en suit.
Je me rappelle bien, la première action qui a été posée, c’est qu’il y avait la TIECOF. Une loi qui a été prise pour supprimer la retenue du TIECOF. Ça, ç’a été une rançon.
Quelqu’un qui s’est battu, qui a tout fait pour que le multipartisme soit, la liberté syndicale soit, la liberté d’expression soit ; voilà ce qui a été fait. Le fond de la lutte, c’était quoi, mener vraiment la lutte pour qu’il y ait le multipartisme, pour que les gens puissent s’exprimer, la liberté d’expression. Au niveau syndical, le respect de la liberté syndicale.
Ce qu’il faut retenir après tout ça, c’est qu’on s’est battu pour le multipartisme et la démocratie. Et la règle de la démocratie, c’est l’alternance, à travers les urnes. Après, c’est une révolution insurrectionnelle qui veut qu’on renverse les choses. En tant que républicains et démocrates, nous avons dit que nous n’allons pas suivre ça. Surtout qu’il n’y avait aucun élément d’appréciation de celui qui est là, et celui qui viendra, voilà ce qu’il doit faire, voilà ce qui a été décidé à ce niveau. On dit seulement qu’il y a la mauvaise gouvernance.
L’UNTM avait déjà tiré la sonnette d’alarme sur cette question avant aujourd’hui. C’est l’UNTM qui avait demandé à ce qu’on aille à une conférence nationale souveraine. Qu’il faut faire une grande concertation pour que les Maliens s’expriment. Partout où ça ne va pas, qu’on puisse vraiment faire la part des choses et proposer des solutions communes. L’UNTM avait dit en son temps que sous la coupe du président de la République et certaines personnalités qu’on peut considérer comme neutres, qu’on pouvait vraiment se servir pour mener ce dialogue national inclusif.
Ce qu’il avait retenu comme thème, le dialogue national politique, nous avons dit que cela est réducteur. Il faut aller au-delà, et l’UNTM a proposé un dialogue national inclusif. En ce moment, tout le monde sera là, tout le monde aura le temps de s’exprimer et de proposer par la suite. Après plusieurs débats, c’est le dialogue national inclusif qui a été retenu, que l’UNTM avait demandé, depuis 5 ans au paravent. Donc, voilà la réalité des choses.
Si on pense que l’UNTM n’a pas rejoint l’autre camp parce que nous avons estimé que nous n’avons pas vraiment quelques choses à gagner dans ça. Ce que nous craignions à l’époque, c’était le saut dans l’inconnu, et nous sommes dans ça. Aujourd’hui, qui ne se plaint pas ? Voilà la réalité des choses. Le temps nous donne raison. Voilà pourquoi nous ne sommes pas partis.

Monsieur le secrétaire général, pensez-vous que cette période transitoire était le bon moment pour aller en grève ?
KATILE : Évidemment que oui ! Je crois qu’il n’y a pas de période choisie pour aller en grève. Dans tous les cas, l’appréciation viendra des responsables syndicaux au nom du principe de la liberté syndicale. C’est aux acteurs à l’interne de décider de leur action à mener. On n’a pas à diriger de l’extérieur la vision des acteurs à ce niveau. Pourvu qu’on soit conforme aux principes conventionnels internationaux, aussi bien qu’au niveau du droit national. Et à ce niveau, quelqu’un peut-il me dire que voilà un texte qui dit qu’au Mali, à tel moment, il ne doit pas y avoir de grève ?
La grève dépend certainement des acteurs qui pour une raison ou une autre décident d’aller ou de ne pas aller. Et nous avons apprécié dans ce sens. On a estimé qu’il faut aller. Dans la mesure où on pense que ce n’est pas le moment, ce que nous nous demandons, on est en train de le donner à d’autres. Pourquoi pas nous autres aussi ?
Il faut une sorte d’équité à ce niveau. D’autres sont en grève, depuis combien de temps ? Ça, c’est une réalité. Il n’y a pas un moment plus opportun pour nous syndicalistes d’aller en grève plus que ce moment-ci.
Si on avait, depuis le début du mouvement, décidé de mettre tout en veilleuse, jusqu’à la fin de la transition, ça a été fait dans le passé. Mais dans le plus grand respect, on a appelé les responsables syndicaux, de vive voix, à discuter, échanger, poser le problème. Sur cette base, les gens ont estimé qu’il fallait attendre jusqu’à ce que ce moment passe. Ça n’a pas été le cas, cette fois-ci. Pendant que certains pensaient à cela, on a vu que l’autorité qui était arrivée se précipitait à gérer certains cas. Si tu vois gérer déjà un cas, deux cas, vous êtes vraiment tenue de gérer les autres cas. Voilà la raison qui fait que nous avons estimé qu’il faut aller en grève. On a donné à certains, il faut donner à nous autres.

Parlant des autres, nous avons vu sur la toile que certains de vos camarades syndicalistes, notamment les deux syndicats de la magistrature ont fait une lettre conjointe, témoignant de leur mécontentement par rapport à certains de vos revendications. Quel commentaire faites-vous de ce communiqué conjoint des syndicats de la magistrature ?
KATILE : Je n’ai pas un grand commentaire à faire. Je veux dire tout simplement que nos camarades comprennent que nous devons faire beaucoup attention, que le pouvoir ne se serve pas de nous pour obtenir ce qu’il veut. Cela est extrêmement important.
Lorsqu’on ne cherche pas la solution au problème, on veut passer par d’autres manières, mettre les syndicalistes eux-mêmes en conflit et profiter de la situation. Je crois que c’est ce qu’il faut prendre vraiment en considération.
Si nous avons eu vraiment à parler de la magistrature et de l’enseignement, c’est par rapport à des éléments de comparaison. Sinon, ce pas parce que l’UNTM est contre ce que les magistrats ou les enseignants ont. Loin s’en faut. Les constats qu’ils doivent faire, c’est que la magistrature a grevé pendant longtemps, un mois, deux mois, jusqu’à la fin. Ils n’ont jamais vu l’UNTM s’exprimer un jour sur la question. Pourtant, on voyait les choses, on avait notre vision, on avait notre façon de comprendre les choses. Mais on ne s’est jamais exprimé. Parce que, cela constitue une entrave à la liberté syndicale. Parce que, pendant que l’autre est en train d’agir, vous vous de poser des actes qui sont de nature à décourager les militants ou à faire perdre les militants. C’est une sorte d’entrave à la liberté syndicale. Au plan conventionnel, cela est une réalité. Ce qui fait que nous n’avons jamais voulu nous exprimer pendant ces temps sur ce qui se passe au niveau d’autres syndicats dans le cadre de la gestion de leur grève.
Qu’ils comprennent que l’UNTM n’a rien contre les magistrats et les enseignants. Mais, si on a eu à parler un moment, c’est par rapport à ces éléments de comparaison. Forcément, il faut partir d’un postulat pour pouvoir poser certains problèmes. Ça s’arrête là. Mais, encore une fois, que nos camardes de ce côté comprennent que nous devons faire beaucoup attention. Le pouvoir se cherchant, va mettre tout en œuvre, parce qu’ils ont les moyens, pour chercher à mettre les travailleurs dos à dos pour profiter de cette situation.
L’UNTM a la sympathie de l’ensemble des travailleurs. Que ça soit les magistrats, les administrateurs civils ou d’autres, à tous les niveaux, ils ont vraiment notre solidarité. Nous n’avons jamais posé de problème à ce niveau. Personne ne peut apporter une preuve quelconque.
Ce qu’on dit souvent, que l’UNTM a eu à dire ça dans les salles de négociations, ceci ou cela. Ce ne sont pas des éléments sincères, ce n’est pas correct, ce n’est pas la réalité. Qu’on comprenne qu’on cherche tous les moyens pour mettre dos à dos les syndicats pour se frotter les mains ! Je crois que ça ne sera pas le cas. L’UNTM n’a rien contre qui que ce soit.
Après 72 heures de grève, quel bilan faites-vous ?
KATILE : C’est un bilan positif pour ne pas vous dire que nous avons réussi à 100%. Ce matin déjà, j’ai fait le tour des structures, on a pris les éléments d’appréciation. Partout où il y a un syndicat affilié de l’UNTM, le mot d’ordre a été observé. Ce qu’il faut retenir, c’est que dans certains services, nous ne sommes pas les seuls syndicats. Il y a d’autres syndicats, même si c’est des syndicats minoritaires. S’il s’agit d’une personne ou de deux personnes qui décident de ne pas nous suivre, c’est leur droit. S’ils nous suivent également, c’est un plus.
Si nous allons à 100%, le plus c’est d’autres syndicats qui ne sont pas affiliés à l’UNTM, mais qui nous ont suivi compte tenu de la justesse et de l’opportunité de nos revendications et la légitimité de notre lutte. Voilà ce qui fait qu’à certains niveaux, les gens disent qu’il y a eu plus de 100%. Ça veut dire que d’autres nous ont suivi et qui ne sont même pas des affiliés de l’UNTM.
Par contre, ce qui ont décidé de ne pas nous suivre à certains niveaux et qui nous sont affiliés, également, c’est leur droit. Et nous n’avons pas à tenir compte de ces situations lorsque nous devons nous exprimer en termes de pourcentage sur le suivi de notre grève sur l’ensemble du territoire. Donc, nous dirons que nous avons été très satisfaits, la grève a été suivie à 100%.
Peut-on s’attendre dans les jours à venir à notre préavis si le Gouvernement ne donne pas une suite favorable à vos revendications ?
Naturellement, c’est ça. L’UNTM a toujours agi de cette manière. Si vous avez fait le constat, avec IBK, il eut deux grandes grèves. Mais, à chaque fois, pour qu’on puisse s’entendre, il faut qu’un second préavis soit déposé, que les gens puissent revenir à la raison. Qu’on puisse discuter sérieusement, sincèrement, et faire des propositions concrètes et sincères. À chaque fois, la première fois, on est souvent dans le test. Est-ce qu’ils ont encore des capacités de mobilisation, est-ce qu’ils sont suivis ? Et c’est lorsqu’on va en grève que l’on comprend qu’on voit qu’effectivement qu’ils ont la capacité de mobilisation, ils sont suivis. On se dit, faisons attention pour accepter de revenir discuter sérieusement avec ces gens pour ne pas créer un problème.
Cette fois-ci également, ç’a été la même chose. Lorsqu’on a 15 jours pour discuter des préoccupations qu’on a eu à poser, on attend jusqu’à deux ou trois jours du déclenchement de la grève pour agir, ça veut dire qu’en réalité, on n’a pas pris les choses au sérieux. Lorsqu’on a commencé encore, lorsqu’à un moment donné, il y a des propos qui nous parviennent, toutes choses qui sont de nature à interpréter, c’est une façon de nous inciter à la grève. C’est un test.
Je crois que le test a été fait, chacun doit tirer la leçon de ça. Naturellement, un second préavis sera déposé dès la semaine prochaine, entre le lundi et le mardi, le temps de faire une rencontre d’évaluation de la situation dès lundi. Pour le reste, on va suivre.

Quel est votre mot de la fin ?
Je tiens à remercier nos camarades. Nos militantes et militants, à travers le pays, que ça soit à Bamako, dans les régions, dans les cercles, les communes, ils ont suivi le mot d’ordre de grève de l’UNTM. Nous ne pouvons que les remercier, les félicités de la réussite de la grève. Qu’ils tiennent encore à serrer la ceinture, on n’a pas fini.
Un autre préavis sera déposé et les mêmes dispositions seront prises pour réussir au cas où nous ne parvenons pas à avoir un accord avec le Gouvernement. C’est ça, nous allons vraiment nous assumer conformément aux textes, en suivant la légalité, en suivant la règlementation.

Source : INFO-MATIN