Sa folle aventure à Benevento. Le racisme en Italie et dans le foot. Son envie de revenir jouer en France avant la fin de sa carrière. L’attaquant malien qui évolue aujourd’hui en Iran s’est confié la semaine dernière à l’Hebdomadaire français, France football

France Football : Revenons sur votre aventure à Benevento. Vous êtes prêté six mois chez le dernier de Serie A en janvier 2018. Vous inscrivez huit buts en onze matches de championnat, dont un doublé face à la Juventus. Qu’en gardez-vous ?
Cheick Tidiane Diabaté : C’est vrai que c’était incroyable. J’ai passé un moment exceptionnel. Quand je marque (en Iran), on m’envoie des messages, ils prennent des nouvelles et de temps en temps je regarde comment ça se passe là-bas. Je suis très content d’avoir joué en Italie. J’ai eu ce que je voulais : le respect, la considération. Mon meilleur souvenir ? Là, je suis en train de parler avec vous, mais je vois l’image du stade, de comment les gens criaient quand on marquait. Comment les gens étaient très contents de me voir sur le terrain. C’est incroyable. Quand je suis arrivé là-bas, je n’ai quasiment pas joué pendant un mois (ndlr : Arrivé le 13 janvier, il ne joue son premier match que le 18 février. Jusqu’à la fin du mois de mars, il ne dispute que 35 minutes de Serie A). Mon premier match, c’était contre une équipe (Crotone) où on gagnait 2-1. Il restait dix minutes. L’entraîneur (ndlr : Roberto De Zerbi) voulait faire entrer un défenseur. Avant qu’il entre, l’équipe adverse marque. 2-2. Et, là, le coach se retourne. Il me regarde. Ça faisait un mois que j’étais bien à l’entraînement mais il ne me faisait pas jouer. Il vient vers moi (Il sourit.). Il me demande si je peux accepter de jouer (Il rit.). Ça m’a fait bizarre parce qu’il s’est senti gêné. Je lui ai dit : »Mais bien sûr que je joue, je suis là pour jouer au foot. » Il me répond : « Ok, ok, il faut que tu joues. » Je rentre, je marque, on gagne. Et, ensuite, pendant trois-quatre matches, il ne me faisait pas jouer. Je suis allé le voir et j’ai dit : « Mais coach, qu’est-ce qu’il se passe ? Je ne peux pas dire que vous ne me respectez pas en tant qu’être humain, mais sur le plan sportif, vous ne me respectez pas ! » Il a été choqué parce qu’il ne m’avait jamais vu énervé. Il m’a regardé et m’a dit : « Comment ça je te manque de respect ? » J’ai dit : « Faites moi jouer. Ça fait quatre matches que vous ne gagnez pas. Faites-moi jouer. Avec moi, vous ne pouvez pas perdre tous ces matches, ce n’est pas possible ! Vous allez voir. » Il me dit : « Cheick, le prochain match, tu vas jouer. » J’étais tellement motivé, j’ai tellement travaillé en salle du lundi jusqu’au jeudi. Et le jeudi… je me suis fait mal au dos (Il sourit.). Je suis allé le voir et je lui ai dit que je ne pouvais pas jouer. C’était pour un match à l’extérieur. Mais le match d’après, à domicile, il m’a fait jouer, et à partir de là, c’était parti. Après les matches, il m’achetait un petit truc, comme un gâteau, tellement il était content de moi. Quand il venait me voir, il me disait : « Toi, quand tu parles, tu fais. » C’était incroyable. Je n’avais jamais imaginé ça. «Je ne savais pas que les gens pouvaient m’aimer jusqu’à ce point-là»

France Football : Tout ça était donc un malentendu, au début…

CTD : Il y avait un autre attaquant. Il devait donc jouer. Mais quand il est blessé ou pas en forme, on doit me donner ma chance ! Il jouait, ça ne se passait pas très bien… C’est ça que je ne comprenais pas. Je lui ai dit : « Si vous ne voulez pas de moi, pourquoi vous m’avez fait venir ? C’est n’importe quoi. » Au début, je pensais que c’est lui qui voulait que je vienne, et à force de discuter, j’ai compris que ce n’était pas lui à la base. Il m’a dit : « Mais Cheick, quand tu es venu, on t’a dit que tu allais jouer ? Le président t’a dit ça ? » J’ai dit non, mais que je ne comprenais pas pourquoi des joueurs arrivés après moi avaient eu leur chance et pas moi. En tout cas, j’ai bien aimé le football italien, les entraînements. Je ne savais pas que les gens pouvaient m’aimer jusqu’à ce point-là. Je suis parti juste pour jouer, pour essayer de prendre du plaisir et aider l’équipe. Même quand j’allais à Naples, les gens venaient vers moi : « Merci pour tout ce que tu fais, on est content. »

France Football : L’Italie est malheureusement confrontée à des problèmes de racisme. Y avez-vous fait face ?

CTD : Non, mais avant de signer mon contrat, c’est vrai qu’ils (ndlr : Les dirigeants de Benevento) m’ont dit : « Cheick, il y a des villes où tu peux sentir le racisme. » Même les Italiens savent qu’il y a des endroits où les gens sont très, très racistes. Vu que je n’avais jamais connu ce genre de choses, ça ne m’a pas choqué. J’ai une autre mentalité. Parfois, je me demande si c’est du racisme. Ça fait très mal, ça énerve. Mais quand des supporters font des cris de singe vers un joueur, ils ont besoin de faire quelque chose pour t’énerver pour que tu joues mal. Parfois, c’est ce que je me dis. Malgré tout, je sais que ça fait mal. Quand on se sent traité différemment, ça fait mal. C’est triste. Mais pour moi, ça ne veut pas dire que tous les gens qui font ça sont racistes. Ils veulent que leur équipe gagne et ils trouvent une solution…

France Football : Mais ce n’est pas la bonne…

CTD : Oui, bien sûr. Ce n’est pas la bonne. On est tous des êtres humains et parfois on se dit : « Mais pourquoi ? » Moi, ce qui peut m’énerver si on me fait ce genre de choses, c’est plutôt par rapport aux enfants. Les adultes se comportent mal et, en grandissant, ces enfants qui voient ça feront comme eux. C’est à nous de bien se comporter pour que les enfants puissent se respecter dans le futur.

France Football : Vous reverra-t-on un jour en France ?

CTD : Quoiqu’il arrive, j’aimerais bien terminer ma carrière en Europe. Ça peut être en France. Je ne sais pas dans quelle équipe, je ne sais pas à quel niveau. Sincèrement, je me dis que ce n’est pas joli quand même de dire que Cheick Diabaté a terminé sa carrière en Iran. Je ne veux pas ça. Mais bien sûr que j’aimerais revenir en France. En France, je me sens bien partout où je vais.

France Football : Il y a quelques années, vous nous disiez : « L’Afrique est ma maison, la France est mon pays. »

CTD : Mon pays, c’est le monde. J’ai peut-être une mentalité un peu bizarre. Partout où les êtres humains se retrouvent, ça me correspond. Quand j’étais petit, j’étais Malien. Quand j’ai grandi, j’ai compris que lorsqu’on est Malien, on est Africain. Et quand on est Africain, on est tous des êtres humains. Dans ma tête, je suis Africain, Européen, Asiatique. Je suis juste un être humain, c’est tout.

Source : France football

Source: Journal L’Essor-Mali