Il y’ a 31 ans, le Réal, à la surprise générale, remportait la 29è édition de Dame coupe en battant 2-0 le Djoliba grâce à deux réalisations d’Adama Traoré et de Harouna Coulibaly. Une finale qui s’est déroulée sous les yeux du reporter de L’Essor, Gaoussou Drabo dont nous vous proposons l’excellent compte rendu.

La Coupe du Mali a son ironie et ses perversités. Elle ne les exerce pas toujours mais lorsqu’elle le fait, c’est d’habitude avec une cruauté fatale. Cette année, son ironie fut d’avoir éconduit successivement en demi-finale puis en finale ses deux prétendants les plus sérieux, ou du moins les plus attendus. Sa perversité fut d’avoir administré à l’un et à l’autre et cela à 72 heures d’intervalle la même cinglante leçon : le statut de favori se justifie sur le terrain non pas seulement avec du muscle et du souffle, mais peut-être surtout avec de la jugeote.

Le Stade malien en demi-finale et le Djoliba en finale sont tombés, frappés de la même balle, celle qu’ils se sont tiré sur eux-mêmes en mettant dans leurs crampons le plomb qui aurait dû équilibrer leur cervelle tactique. Ils n’auront donc pas tellement de regrets à nourrir s’ils étaient logiques avec eux-mêmes. Car les erreurs commises par les deux encadrements sont précisément celles que nous relevons à longueur de la saison dans les colonnes de L’Essor.

Sans que cela ne provoque le moindre frémissement d’auto critique et de remise en cause sur les bancs de touche. Alors sans vouloir tirer les ambulances, reconnaissons tout de même que l’élimination du Stade malien était méritée et la chute des Rouges, logique. Lorsqu’on monte sur le terrain armé de la seule conviction qu’on est le meilleur et lorsqu’on attend de l’adversaire qu’il vienne vous confirmer la bonne opinion que vous avez de vous-mêmes, il est tout à fait normal que l’aventure tourne pour vous à l’inattendu.

Affirmer que la victoire des Scorpions était prévisible pour cette 29è édition de la Coupe du Mali ressemblerait à une provocation gratuite. Pourtant qui connaît les poulains de Molo (feu Molobaly Coulibaly, ndlr) savait qu’ils risquaient de réussir un mauvais tour dans leur dernier grand match de la saison. Et pour s’en convaincre il suffisait de se rappeler leurs mauvaises sorties en quart et en demi-finale. Dimanche (le 6 août 1989, ndlr) contre les Communards, Malick Tandjogora et ses partenaires furent exécrables ne se tirant d’affaire que par K.O. acquis tardivement et par surprise sur un adversaire encore un peu «léger» du point de vue expérience. Or, les Scorpions ont la bizarre manie de bien conclure ce qu’ils commencent mal (et inversement).

Ayant atteint le fond de la médiocrité, ils s’étaient mis en position de remonter à la surface. En outre, les Réalistes sont habituellement mal à l’aise lorsqu’il leur faut assumer une position de favori (ce qui leur fut demandé dans les deux tours précédents la finale). Par contre le rôle d’empêcheur de tourner en rond leur convient à merveille. Troubler l’adversaire, l’obliger à guerroyer sur chaque centimètre carré du terrain, l’amener à douter en lançant des contres assassins, voilà la méthode que prirent Adama Traoré et les siens. Et voilà aussi ce qui leur était demandé en finale.

Le Djoliba, lui, était dans des dispositions d’esprit entièrement différentes. Les Rouges pouvaient légitimement estimer avoir fait le plus difficile en écartant le Stade malien de la finale et sans s’en rendre véritablement compte, les joueurs s’étaient psychologiquement décompressés avant la finale, réaction tout à fait normale après les dépenses physiques et nerveuses qu’avait exigées le duel contre le grand rival stadiste en demi-finale.

Le président de la République, le général Moussa Traoré salue les joueurs avant le coup d’envoi de la finale

En outre, sans ignorer la réputation «d’imprévisibilité» du Réal, les poulains de Kéké (Karounga Keïta, ndlr) tout comme la majorité de leurs supporters se disaient qu’à moins d’un miracle, il était douteux qu’en 72 heures les Scorpions puissent compenser toutes les carences étalées devant l’AS Firhoun. Le raisonnement tenu par les Djolibistes était logique en soi, mais il s’effondrait dès l’irruption d’un facteur nouveau : l’ouverture du score par les Réalistes.

Car comme on a pu le constater tout au long de la saison, le jeu offensif des Rouges manque singulièrement de variété et d’imagination. Avec un amalgame peu réussi de battants (Yacouba Diarra, Soumaïla Traoré et Samba Sow) et avec de techniciens inconstants (N’Faly Kanté, Drissa Kéita, Sangho Kamanguilé, Seyba Lamine Traoré, Amadou Bass) et avec aussi l’absence d’un «patron» confirmé, le Djoliba a bien du mal à s’organiser pour refaire lucidement un retard qu’il a concédé. La catastrophe pour les Rouges survint cinq minutes avant la pause.

Le stoppeur Ibrahim N’Diaye venait de bousculer irrégulièrement Abdoulaye Traoré sur le flanc droit et Sory Ibrahima Touré «Binké» se chargea de tirer le coup franc situé à peu près à 25 mètres en biais de la case de Mamadou Diarra. Binké travailla en finesse sa balle et cette dernière après un envol capricieux de «feuille morte» chuta brutalement à hauteur du premier poteau directement sur la tête d’Adama Traoré qui n’eut qu’à catapulter à bout portant dans la cage djolibiste.

Le portier et les défenseurs Rouges désemparés par la trajectoire ondoyante du cuir étaient demeurés sans réaction. Tout comme 20 minutes auparavant quand, sur un coup franc similaire, une balle pareillement travaillée par le même Binké avait été reprise pratiquement au même endroit par Abdoulaye Traoré qui avait trop croisé sa tête.

Adama Boxeur a ouvert le score pour le Réal d’une tête rageuse, peu avant la mi-temps

Le but tombait vraiment mal pour les Rouges. Non seulement il survenait juste avant la pause leur imposant ainsi de nouveaux plans de bataille pour la seconde mi-temps, mais en plus, il survenait contre le cours du jeu. En effet, depuis la 31è minute, les Djolibistes avaient haussé la cadence. Amadou Bass avait décoché deux têtes à bout portant dont l’une sera détournée en corner par le gardien Moussa Bagayoko (31è et 37è), alors que N’Faly Kanté avait vu son puissant centre-shoot repoussé devant la case par Moussa Keïta dit Dougoutigui (36è). S’y ajoute belle tête plongeante de Moussa Koné qui fit frissonner l’arrière garde noire et blanche. Contraints à la course-poursuite, les poulains de Kéké ratèrent dans les 20 premières minutes trois bonnes occasions de revenir à la marque.

Soumaïla Traoré expédia une tête lobée sur la transversale (47è) puis se fit tacler au dernier moment par Dougoutigui alors qu’une ouverture de Seyba Lamine Traoré lui avait aménagé un tête-à-tête avec le keeper Moussa Bagayoko (62è) et en fin reçut trop tard une passe en retrait de Yacouba Diarra qui avait réussi un époustouflant slalom dans les 18 mètres réalistes (66è).

Puis comme en première période, alors que le but djolibiste flottait de toute évidence dans l’air, ce fut le Réal qui marqua. Et comme dans toutes leurs finales disputées depuis 1984, les Rouges offraient un incroyable cadeau à leurs adversaires. Sur un long centre venu de la gauche, le stoppeur Ibrahim N’Diaye réussit à devancer Malick et remiser en retrait sur son gardien. La retro-passe était bien dirigée et pas très appuyée mais Mamadou Diarra qui aurait pu maîtriser le cuir sans aucun mal perdit, on ne sait pourquoi, son sang-froid. Il effectua un plongeon précipité et repoussa la balle pratiquement dans les pieds de Harouma Coulibaly. Lequel n’eut qu’à dévier dans les buts vides (70è).

À 2-0, avec 20 minutes à disputer et en misant sur la fébrilité défensive du Réal la cause n’était pas désespérée. Les Rouges avaient refait un retard identique contre le Stade malien dans la finale de 1985, mais le contexte psychologique était différent et la mimique d’une majorité de joueurs qui s’effondrèrent démonstrativement sur le gazon signait symboliquement la résignation des Djolibistes. Et ce qu’on retiendra des dernières minutes, ce fut moins le baroud d’honneur de Yacouba Diarra (remuant mais peu lucide) qui échoua sur une sortie de Moussa Bagayoko que l’expulsion à la 89è minute de Moussa Koné qui, malgré un carton jaune reçu en première période, se permit des remarques déplacées à l’endroit de l’arbitre Modibo N’Diaye.

Pourtant, le demi djolibiste avait été le meilleur joueur de la partie et avait renoué avec ses meilleures qualités d’antan. Mais à l’image de son team qui a manqué ses cinq rendez-vous en finale (et ce depuis 1984) il a craqué psychologiquement. Le Réal, lui, avait besoin de ce succès, car de «grand» bamakois il n’a aujourd’hui que le nom. Le club pratiquement privé des mécènes ne pouvant pas compter sur une part de recette aux guichets tire depuis de longs mois le diable par la queue.

Espérons pour lui que les trompettes de la gloire ramèneront certains bailleurs de fonds au bercail. En tous les cas, les Scorpions dans les limites de leur effectif actuel ont réussi un super-résultat et leur victoire fut essentiellement celle de la rage de vaincre. Du genre de celle qui habitait Malick Tandjigora et Adama Traoré qui se sont dépensés sans compter, alors que ni l’un, ni l’autre, ne respirent vraiment la grande forme. La coupe a un faible pour ce genre de prétendants pas très brillants peut-être, mais obstinés indéniablement.

Dimanche 6 août 1989 au stade Modibo Keïta
AS Réal-Djoliba : 2-0
Buts d’Adama Traoré (40è) et de Harouma Coulibaly (70è).
Arbitrage de Modibo N’Diaye.
Expulsion de Moussa Koné (89è).
AS Réal : Moussa Bagayoko, Malamine Touré, Moussa Keïta, Souleymane Sangaré, Fousseyni N’Diaye (puis Harouna Coulibaly), Elie Traoré, Adama Traoré, Sory Ibrahima Touré (puis Kalilou Wagué), Amadou Maïga, Malick Tandjigora, Abdoulaye Traoré. Entraîneur : Molobaly Coulibaly.
Djoliba AC : Mamadou Diarra, Oumar Sidibé (puis Samba Sow), Ibrahima N’Diaye, Fanyeri Diarra, Oumar Guindo, Moussa Koné, Amadou Bass, Seyba Lamine Traoré, Soumaïla Traoré, N’Faly Kanté, Yacouba Diarra.
Entraîneur : Karounga Keïta.

Source: Journal l’ Essor-Mali