Après sa nomination au mois d’août 2019 comme « Instructeur Continental Élite » par la Confédération africaine de football (CAF), Mohamed Magassouba vient de rejoindre le cercle restreint des experts du football mondial. C’était lors d’une session organisée par la FIFA à Doha (Qatar) du 27 au 31 janvier 2020. A son retour au bercail, le sélectionneur national des Aigles du Mali s’est confié au Le Matin pour parler de cette consécration, du tirage des éliminatoires de la Coupe du monde « Qatar 2022 » (Zone Afrique) et des enseignements tirés des deux premières journées des éliminatoires de la CAN « Cameroun 2021 ». Interview !

 

Le Matin : Vous revenez de Doha. Quel était l’objet de votre séjour au Qatar ?

Mohamed Magassouba : Du 27 au 31 Janvier 2020, Doha a abrité un atelier des experts du football mondial. C’est une rencontre à laquelle la FIFA a convié les meilleurs experts du monde pour échanger sur le développement du football mondial. Les experts ont ainsi planché sur beaucoup de thématiques afin de trouver des réponses idoines. Ils se sont aussi prononcés sur des projets extrêmement importants pour l’avenir de notre discipline.

Vous avez tout de suite parlé de projets. Est-ce qu’il y a des initiatives particulières destinées au Mali voire à l’Afrique ?

Quand on parle aujourd’hui de développement de football, la cible est sans doute les pays les moins nantis. Les pays riches disposent non seulement d’infrastructures adéquates, mais aussi d’un environnement bien sain, c’est-à-dire d’un écosystème bien adéquat pour le développement de leur football ou pour son maintien au plus haut niveau.

Ce qui n’est pas le cas des pays moins nantis qui sont en crise d’infrastructures, en manque d’écosystème bien structuré pour être favorable au développement de la discipline… Autant de sujets qu’il fallait aborder et analyser sur les plans de la technique, du monitoring, du leadership… Bref en fonction des multiples dimensions du football… Les experts ont décortiqué ces questions afin de procéder à un diagnostic précis et baliser les pistes de solutions adéquates pour un développement harmonieux du foot à travers le monde.

-A l’issue de l’atelier de Doha, est-ce qu’une mission spécifique a été confiée à chaque expert ?

La mission est plus collective qu’individuelle. Au niveau de l’expertise technique, nous avons des missions spécifiques qui nous ont été confiées. Nous devons les accomplir dans la mesure du possible pour le plus grand bien du football. Sur le plan technique, la priorité est accordée à la formation de l’Homme. Il s’agit notamment des entraîneurs. Pour avoir de bons joueurs, il faut avoir des entraîneurs bien formés. D’où la nécessité de bien former les formateurs des entraîneurs. Il est aussi indispensable de procéder à des études, à l’analyse très approfondie des écosystèmes du football mondial afin d’y apporter des correctifs ou de les orienter vers des objectifs réalistes, réalisables pour l’essor du foot à l’échelle mondiale… C’est une mission globale à laquelle nous allons nous atteler pour le progrès de notre sport.

Quel peut-être l’impact de cette nouvelle tâche sur votre mission de sélectionneur national du Mali ?

A mon avis, c’est un avantage extrêmement important que d’être intégré dans la haute sphère du football mondial tout en tenant les rennes d’une Equipe Nationale. C’est un atout indéniable parce que cela permet d’être toujours au fait de l’évolution du football, d’avoir tous les outils nécessaires pour non seulement impacter positivement l’évolution du foot de votre pays, mais aussi de la discipline au niveau mondial. C’est une occasion unique voire exceptionnelle de figurer dans un tel prestigieux groupe tout en s’occupant d’une sélection nationale.

Justement, la Coupe du monde aura lieu en 2022 au Qatar. Le tirage au sort de la Zone Afrique a eu lieu le 21 janvier dernier et le Mali a hérité du groupe E avec l’Ouganda, le Kenya et le Rwanda. Quelle appréciation faites-vous de ce tirage pour le Mali ?

Je suis un technicien, donc un homme averti. Je ne peux donc pas parler en termes de tirage facile ou du Mali comme favori du groupe. Ce qui est le plus important à mes yeux, c’est de relever notre niveau de compétitivité. Je parlerai donc en termes d’adversité. Le Mali est tête de poule et nous devons tout faire pour respecter notre rang. C’est le principal défi à relever à mes yeux.

Et cela n’est pas possible sans un dur labeur. Il est donc indispensable de mettre fin maintenant à l’improvisation et d’avoir une structure harmonieuse pour accompagner les footballeurs et leur encadrement technique. Il nous faut aussi un espace harmonieux, c’est-à-dire de convivialité, de paix, d’amour de la patrie, de fraternité…

Cela doit aboutir à un esprit d’Equipe Nationale. Nous devons comprendre que le football ne peut pas être compétitif, performant dans un système trop hétéroclite car, psychologiquement, ce que pensent les autres peuvent aussi peser beaucoup sur nos résultats. Le foot obéit également aux facteurs d’hétérosuggestion, c’est-à-dire ce que les autres pensent de nous. Ainsi, si au lieu d’être positifs, nous voyons tout de façon négative, il sera difficile d’atteindre l’objectif commun, la performance souhaitée.

L’environnement peut booster le moral des joueurs comme il peut être aussi un obstacle les empêchant d’exprimer tout leur potentiel. C’est pour cela qu’on dit, en philosophie, l’individu est fonction de son milieu. Il faut dépasser les individus, les personnes pour voir la qualification à la Coupe du monde comme une affaire nationale. Si nous voulons aller au mondial, il nous faut être unis de cœur et d’esprit pour affronter ensemble les adversaires…

Ceux-ci ne peuvent pas continuer à venir jouer au Mali comme s’ils étaient chez eux. Cela ne peut pas continuer. Il nous faut changer cette mentalité si nous voulons aller à une Coupe du monde. Et cela dépend de nous Maliens avant tout. Il faut changer cet esprit pour que nous ayons le même objectif, la même vision pour aller de l’avant main dans la main, pour que le Mali aille en phase finale du mondial. Et nous prions pour que ce soit le cas.

 

Deux journées ont été déjà disputées au niveau des éliminatoires de la CAN « Cameroun 2021 ». Quels sont les principaux enseignements que vous avez tirés de ces journées pour les Aigles du Mali ?

Nous sommes dans un groupe difficile (Mali, Guinée, Tchad et Namibie), mais jouable même si nous ne devons pas minimiser nos adversaires. Nous avons fait un début difficile contre la Guinée à Bamako (2-2), avant de nous rattraper contre le Tchad à Ndjamena (2-0). Et Dieu merci, nous sommes coleaders du groupe avec la Guinée.

Mais, comme je l’ai toujours dit, le problème de notre football, c’est chez nous-mêmes. Et cela ne date malheureusement pas de maintenant. Le Mali a presque toujours été accroché sur ses propres installations. Et on n’a pas besoin d’un médecin ou d’un devin pour découvrir la cause. La principale raison, à mon humble avis, est le manque de cohésion nationale autour de l’Equipe Nationale !

Regardez le match contre le Sily : on a eu un penalty quand Adama Traoré a été déstabilisé dans la surface de réparation jusqu’à ce que son maillot se soit déchiré. Mais, l’arbitre n’a pas bronché. Ailleurs, le joueur fautif aurait été expulsé et un penalty aurait été sifflé en faveur du pays adverse. Mais, ça c’est ailleurs !

Ici personne n’a bronché et nous avons été contraints au match nul (2-2). Sans compter que, en première mi-temps, les Guinéens avaient seulement recours à la manière forte pour arrêter nos joueurs et sans coup férir. Sans doute que nos adversaires et les arbitres se disent qu’au Mali on peut se permettre tout sans aucune conséquence.

J’ai dit un jour dans l’une de mes interviews que « lorsque nous pensons que nous devons laisser tout l’effort de redressement ou de réussite sur la partie technique seulement, le Mali n’ira nulle part ». Les gens n’ont pas bien compris ce que j’ai voulu dire et mes propos ont fait l’objet de toutes les interprétations possibles. Il est pourtant clair qu’une Equipe Nationale ne repose pas sur les efforts des techniciens seulement ou des seuls joueurs. Elle doit reposer sur l’effort commun et unanime de tout le monde ; tous les patriotes doivent jouer leur partition dans sa performance !

C’est la condition sine qua non pour gagner à domicile, aller nous débrouiller à l’extérieur comme nous savons si bien le faire et espérer donc disputer une phase finale de Coupe du monde, finir les qualifications avant terme, remporter une CAN et nous faire respecter comme une grande nation de football !

Propos recueillis par Moussa Bolly

Le Matin