Du mouvement pionnier où il était batteur dans la fanfare de Médina-Coura, Abdoulaye Touré s’est retrouvé projeté sur le terrain de basket-ball du Stade malien de Bamako par son ami Balla Guéye. Après un voyage en RDA, spécialement dans le Camp international des pionniers d’Althènehauf en 1968, il en a déduit que l’action des militaires, qui venaient de s’emparer du pouvoir au Mali, allait inévitablement mettre un coup d’arrêt aux activités du mouvement pionnier. Il fallait donc chercher une autre activité de jeunesse. C’est alors qu’il choisit le basket-ball. Le fait de tomber dans les mains d’un certain Amadou Daouda Sall a été une chance qu’il fallait saisir comme une balle au rebond. De 1968 à 1970, il passera, avec ses amis, toutes les vacances scolaires à faire du volley-ball le matin avec l’entraîneur Russe Vladimir et l’après-midi le basket-ball sous la houlette de l’entraîneur Amadou Daouda Sall. Cette double vocation lui a valu une sélection nationale, en même temps, dans les deux disciplines sportives. C’était à la faveur du tournoi de la Zone II, à Dakar en 1970. Abdoulaye Touré était l’un des maillons essentiels de l’équipe réserve du Stade malien qui, dans sa plénitude rivalisait avec l’équipe sénior, composée de Kandé Sy, Diakalidja Ouattara, Djamayiri Samaké, Mahamadou Samaké dit Sam, Thomas do Bruce, Abdoulaye Haïdara. Des joueurs dont le seul nom faisait trembler les travées de la salle des spectacles du stade Omnisports. Les aînés qui assistaient au match d’entraînement de fin de semaine, se rappellent encore de l’ambiance que suscitait cette initiative d’Amadou Daouda Sall, à soutenir les jeunes dans leur combat de défiance des aînés. C’est Abdoulaye Touré, l’un des fruits du technicien Sall, qui est notre héros de la semaine, pour la rubrique “Que sont-ils devenus ?”. Parti en France pour des études d’architecture, l’homme est aujourd’hui un grand professeur dans les grandes écoles françaises et maliennes. Quel a été son parcours ? Qu’est-ce qu’il retient de son ancien entraîneur Amadou Daouda Sall ? Quel est ce projet qu’il veut proposer à la Fédération malienne de basket-ball pour donner des nouvelles orientations à la discipline ? Comment il gère ses emplois du temps entre la France et le Mali ? Bref, l’ancien international du Stade malien de Bamako, en séjour au Mali pour ses cours annuels, a bien voulu nous entretenir sur tous ces sujets.

omme indiqué plus haut, Ablo intègre le Stade malien de Bamako par le canal de son ami Balla Guèye. A l’époque, la jeunesse tient encore ses repères et l’on peut compter sur elle. Après les B.a.-ba du basket-ball, le groupe du jeune Ablo rivalise avec l’équipe senior avec la ferme intention de la détrôner pour se retrouver au-devant de la scène.

Le technicien Amadou Daouda Sall savait évidemment que l’heure du groupe B n’était pas encore arrivée. Et il faisait de l’utilisation rationnelle de son effectif un secret pour défier n’importe quelle équipe sur le plan africain. Cette transition ne fut pas longue. Ablo, au bout de trois ans (1968- 1971) dans l’équipe réserviste, rejoint les seniors en compagnie de Balla Guèye, Abdramane Coulibaly dit Draba et Bertrand Ndiaye. Il participe à sa première Coupe d’Afrique des clubs champions la même année à Bangui (Centrafrique). Cette aventure l’aguerrit et fait de lui une pièce maîtresse des Blancs de Bamako. Durant sept ans, il demeure une vedette dans l’équipe nationale jusqu’à son départ en France. Son parcours ainsi détaillé illustre toutes ses qualités :

  1. Parcours en tant que joueur

Club

1968-1971 : Equipe B du Stade malien de Bamako

1971-1972 : Equipe A et B du Stade malien de Bamako

1972-1977 : Equipe A du Stade malien de Bamako

Coupe d’Afrique des clubs champions

1971 : Eliminatoire de la Coupe d’Afrique des clubs champions entre le Stade malien de Bamako et l’ASPTT de Lomé à Lomé

1971 : Eliminatoire de la Coupe d’Afrique des clubs champions entre le Stade malien de Bamako et l’ASPTT de Lomé à Bamako

1971 : Participation du Stade malien à la phase finale de la Coupe d’Afrique des clubs champions à Bangui

1974 : Eliminatoire de la Coupe d’Afrique des clubs champions entre le Stade malien de Bamako et l’équipe d’Air Afrique d’Abidjan à Bamako

1974 : Eliminatoire de la Coupe d’Afrique des clubs champions entre le Stade malien de Bamako et l’équipe d’Air Afrique d’Abidjan à Abidjan

1974-1975 : Participation du Stade malien de Bamako à la phase finale de la Coupe d’Afrique des clubs champions au Caire

  1. Equipe nationale du Mali

Novembre-décembre 1971 : Stage de préparation, en Chine, du 6e Championnat d’Afrique de basket-ball masculin

25 décembre 1971 au 2 janvier 1972 : 6e Championnat d’Afrique de basket-ball masculin à Dakar

5 au 15 avril 1974 : 6e Championnat d’Afrique de basket-ball masculin à Bangui

Tournoi de la Zone II de basket-ball en Mauritanie

Tournoi de basket-ball en Tunisie

  1. Palmarès

1968 à 1971 : Champion du Mali dans l’équipe B du Stade malien de Bamako

1971 à 1977 : Champion du Mali dans l’équipe A du Stade malien de Bamako

1971 : 2e de la Coupe d’Afrique des clubs champions à Bangui

1972 : 3e du 6e Championnat d’Afrique de basket-ball masculin à Dakar

1973 : Demi-finaliste de la Coupe d’Afrique des clubs champions au Caire

1974 : 6e au 7e Championnat d’Afrique de basket-ball masculin à Bangui.

Admis au baccalauréat en 1976, il manque de peu de s’inscrire à l’Unité pédagogique d’architecture de Rouen et rentre à l’Ecole nationale d’ingénieurs (ENI) option construction civile. L’année suivante, il s’envole pour la France où il décroche six ans plus tard son diplôme d’architecte. Au lieu de rentrer au pays, Ablo préfère travailler dans des bureaux d’études en architecture et urbanisme en France. Parce qu’il veut se faire un peu d’argent pour approfondir ses connaissances à travers le diplôme d’études approfondies (obtenu en 1995) et son doctorat en 2002 à l’Université de Paris-Sorbonne, Paris IV.

Parallèlement à ses études d’architecture, Ablo suit des formations dans le domaine du basket-ball. Ainsi il est diplômé de :

–  1er degré d’entraîneur de basket-ball, 1981, France

–  2ème  degré d’entraîneur de basket-ball, 1986, France

– Brevet d’état d’éducateur sportif de 2e degré, option basket-ball, 2012, France

– Brevet national de secouriste, direction de la sécurité civile, 1985, France

– Attestation de formation aux premier secours, Croix-Rouge, 2004, France

– Attestation de formation équipier de première intervention, 2017, France.

Un riche cursus qui lui a permis d’assumer les fonctions de :

–   Superviseur et analyste pour le compte de la FMBB lors de l’Afrobasket Dames, Bamako, 2009. Le rapport qu’il a fourni sur les équipes du Sénégal et de l’Angola lui a valu une félicitation du staff technique de notre équipe nationale ;

– Directeur technique de la section de basket du Stade malien de Bamako (2013-2016) ;

– Entraîneur des U 16, U17, U18 Filles et garçons du Centre de formation en basket-ball de Faladié, Commune VI, Bamako (2013-2016).

Notre rencontre avec l’ancien international du Stade malien de Bamako a été pour nous une occasion de parler de deux choses : d’abord la personne du technicien Amadou Daouda Sall, et cette fameuse finale de Coupe d’Afrique des clubs champions que le Stade a perdue dans les dernières secondes. Que s’était-il passé ? Ablo raconte : “Avant de parler de cette finale, il faut quand même rappeler qu’au départ du tournoi, compte tenu de la taille des joueurs et de l’âge, les journalistes et autres observateurs avaient classé notre équipe en dernière position. Après nos victoires contre le Yaoundé Université club et le Zam?lek du Caire, les observateurs ont commencé à nous porter plus de considération. Le Stade malien est arrivé en finale contre la Reed Star de Bangui. Deux arbitres Congolais, choisis la veille, sont arrivés le jour du match dans la capitale centrafricaine. Dès le début du match, nous avons senti l’hostilité du public à notre encontre. A la mi-temps l’équipe locale menait de 10 points. La deuxième mi-temps, nous avons remonté le score et à 20 secondes de la fin du match, le Red Star avait un point d’avance sur nous, mais nous avions le ballon. Un shoot de notre meneur qui a rebondi sur le cerceau est récupéré en dehors de la raquette par Djamayiri Samaké qui marquera le panier. L’un des arbitres accorda le panier et l’autre le refusa. Cette situation créa la confusion au niveau de la table de marque. Si le panier est accordé c’est le Stade qui gagne le match et du coup la Coupe, si le panier est refusé c’est le Red Star qui remporte la Coupe d’Afrique des clubs champions. Finalement sous la menace du public et des autorités du pays hôte, notre panier est refusé et la fin du match a été sifflée sur cette décision injuste des arbitres. Finalement le Stade a perdu. Lors de cette finale nous avons été victimes d’un véritable ‘holdup’ de la part des arbitres congolais, désignés une journée avant la finale et arrivés le matin à Bangui. Le lendemain du match, nous avons rencontré les deux arbitres, qui étaient logés dans le même hôtel que nous. Ils nous ont avoué la pression terrible qui les a obligés à refuser le dernier panier de notre équipe. Voilà l’histoire de cette déception inoubliable pour notre génération”.

Pour parler de l’un des rares pionniers du basket-ball malien, un homme qui aura consacré une bonne partie de sa vie à la discipline, Amadou Daouda Sall, Abdoulaye Touré dit Ablo ne manque pas de mots pour le magnifier. Il le définit comme le maître, l’éducateur, le grand-frère, l’entraîneur, le technicien de haut niveau, le tacticien hors pair, l’éducateur sportif. Selon lui, Amadou Daouda Sall avait le basket dans le sang. Voilà un homme qui avait la bonne pédagogie pour doper le cœur de ses joueurs dans les moments difficiles. Parce que son intelligence lui permettait de déceler dès le premier quart temps les failles de l’adversaire, pour l’assommer par ses systèmes, qui changeaient en fonction de l’évolution du jeu. Sa stratégie de faux et de vrais entraînements constituait sa dernière carte pour prendre à contre-pied tous les pronostiqueurs à l’approche des grandes compétitions. Bref, Ablo est formel : le décès de Sall a été une perte énorme pour le basket-ball malien.

Le renouveau du basket-malien clé en main

Depuis quelques années la vie de l’ancien international du Stade malien est partagée entre la France et le Mali parce qu’il enseigne dans les grandes universités des deux pays. D’ailleurs nous avons profité de son séjour de six mois à Bamako, pour l’inviter dans la rubrique “Que sont-ils devenus ?” Aujourd’hui l’homme, pour qui le basket-ball est une passion a un ambitieux projet pour la Fédération malienne de Basketball. Lequel ? Ablo le détaille : “De 2016 à 2019, je me suis attelé à la rédaction de 4 documents pour le renouveau du basket-ball malien

– Document I : Le basket-ball au Mali. Les propositions de solutions appropriées pour le renouveau.

Toutes activités humaines demandent à s’améliorer, sans cesse, afin de s’adapter aux conditions du moment. Le sport de haut niveau n’échappe pas à cette règle. Depuis près d’une vingtaine d’années le basket-ball au Mali n’a cessé d’évoluer, cependant il reste des choses à faire si nous voulons que toutes nos équipes, toutes catégories confondues, atteignent le sommet continental et y restent d’une manière durable. Il est nécessaire de créer, sous la responsabilité du président de Fédération malienne de basket-ball une direction générale, avec un directeur général, spécialiste de la gestion administrative et financière d’entreprise et de regrouper et classer tous les documents de FMBB dans un annuaire accessible à tous en un clic sur Internet…

– Document II : Le rapport sur le déroulement du tournoi de qualification pour la Coupe du monde de basket-ball masculin, Fiba-Afrique, Chine 2019. Pourquoi et comment l’équipe du Mali ne s’est pas qualifiée ? Proposition de solutions appropriées pour les prochaines échéances (Eliminatoires de la Coupe du monde et Afrobasket) ;

Ce document porte sur une analyse critique constructible sur le comportement de nos joueurs et de l’équipe lors des 12 matches de l’éliminatoire de la Coupe du monde. Les données statistiques de la Fiba, sur les joueurs et les équipes, sont des mines d’informations au service des équipes, encore faut-il savoir les exploiter. Ce sont ces données statistiques que j’ai utilisées pour élaborer ce travail.

Dans ce rapport j’ai analysé les circonstances de la non qualification de l’Equipe nationale senior hommes du Mali. J’ai comparé certains nombres de données de notre équipe par rapport aux cinq équipes qui se sont qualifiées à savoir le Nigeria, la Tunisie, l’Angola, le Sénégal et la Côte d’Ivoire. J’ai également analysé les 12 matches, minute par minute, de notre équipe, déceler nos échecs et nos insuffisances afin de faire des propositions concrètes pour les prochaines compétitions Afrobasket 2021 et les éliminatoires de la Coupe monde Fiba, 2023.

– Document III :

Pour un développement durable de notre sport et pour atteindre les objectifs, il est nécessaire de définir les cadres et mettre en place certaines structures clés, c’est l’objet de cette étude.

Les nouvelles structures à mettre en place sont au nombre de 3 à savoir ;

. La Cité du basket (Ciba). C’est un complexe sportif de haut niveau réservé au basket-ball. Elle sera installée à Kabala ;

. Le Centre national de basket-ball (CNBB), sera une structure fédérale de formation et de perfectionnement de haut niveau. Le CNBB comprendra 4 centres à savoir : le Centre d’entraînement et de formation fédéral (CEFF), le Centre de préparation physique (CPP), le Centre médical fédéral (CMF), le Centre de formation et de perfectionnement des entraîneurs, des arbitres, des OTM et des statisticiens (CFP) ;

. Le Musée du basket-ball. Chercher et récupérer les anciennes médailles, diplômes, coupes gagnées par nos joueurs et équipes et les regrouper au sein d’un musée est un devoir de mémoire. La mémoire du basket-ball malien à travers les années.

Le CNBB sera installé au sein de la Cité du basket ball. Tandis que le Musée du basket-ball prendra place au niveau de la Salle Salimata Maïga à Hamdallaye ACI.

– Document IV : Les nouveaux programmes de détection et de formation des talents.

La détection et la formation des talents sont à la base du renouvellement efficace des joueurs et des équipes. Les programmes mis en place doivent tenir compte des objectifs fixés à savoir aucun potentiel talent d’une génération ne doit échapper aux structures fédérales, ou des centres ou des clubs. Chercher, regrouper et former les futurs talents dès le bas âge, faire une large publicité autour de la détection.

A la question de savoir si ce projet détermine son ambition pour la Fédération, Ablo répond sans ambages qu’il n’est pas intéressé par la Fédération. Il veut juste aider son pays. D’ailleurs son emploi et ses activités ne lui permettent pas d’avoir de telles ambitions.

Agé aujourd’hui de 65 ans, Abdoulaye Touré est marié, et sa vie est partagée entre le Mali et la France. Dans la vie, il n’aime que le basket-ball, il déteste la non reconnaissance de la valeur humaine.

O. Roger

Source: Aujourdhui-Mali