De la Côte d’Ivoire à Reims en passant par le Mali, découvrez le riche parcours d’El Bilal Touré, auteur de trois buts avec les Champenois en 2020. Un Aigle en mission pour sa famille à la détermination sans faille.

 

Nous venons à peine de basculer en 2020. Les repas de Noël digérés, voilà que les différentes équipes du Stade de Reims regagnent le centre de vie Raymond-Kopa pour préparer les premières échéances de la nouvelle année. Engagée dans le groupe A en National 2, la réserve rémoise foule les terrains sans non plus y aller à reculons, l’hiver n’étant pas aussi strict que la Champagne a pu connaître parfois. Mais pour un petit nouveau, la découverte du froid va être une vraie épreuve. Transféré officiellement la veille en provenance du Mali, El Bilal Touré, 18 ans, se transforme en glaçon. Franck Chalençon, le coach de l’équipe B marnaise raconte : «Je l’ai retrouvé tétanisé dans le vestiaire parce qu’il n’arrivait pas à retirer ses chaussures. Il avait les mains gelées. Les pieds gelés. Il a fallu l’aider. Au début, il a souffert. C’est la première fois qu’il venait jouer en hiver, avec des séances dans le froid, sur des terrains gras. Il découvrait, mais il s’est vite adapté. Il disait “Ça va aller coach, ça va”. Pour lui tout allait bien !»

Un père inconnu

C’est que quelques semaines plus tôt, El Bilal Touré était encore au Mali, chez lui. Son histoire débute pourtant en Côte d’Ivoire. Le petit Touré naît à Adjamé, non loin d’Abidjan. Une enfance pas vraiment simple, où il ne connaît pas son père et où sa mère, commerçante, n’est pas toujours présente. «Il a grandi avec son grand-père et sa grand-mère, détaille Seran Diabaté, son agent. Je suis allé les voir. Et depuis tout jeune, dès ses 9 ans, El Bilal était très attentionné pour eux. Il allait chercher de l’eau qui aidait la famille à se laver. Il a toujours été au service. C’est un enfant modèle.» Pensionnaire d’un centre de quartier, l’académie Louré, El Bilal Touré va être repéré par Alain Tiémélé, appelé “Charlton”, entraîneur à Ivoire académie. «Lors d’un match amical, à l’échauffement, c’est El Bilal, en tant que capitaine, qui entraînait son gardien. Je le voyais envoyer de longs ballons pied gauche, pied droit avec précision. Ça m’a interpellé.» Tiémélé explique alors à son adjoint qu’il faut le surveiller. Touré marque même un penalty pendant cette rencontre. Derrière, alors que l’ASEC Abidjan l’accueille déjà pour des entraînements, sans toutefois se décider véritablement à l’accueillir. Tiémélé en profite. «Au bout du premier jour, les autres joueurs m’ont dit qu’il nous ferait vraiment du bien.» L’accord est ficelé. A 13 ans, s’il demande l’avis à son oncle, El Bilal Touré est déjà le décideur.
«Il n’y a pas un match où il n’a pas marqué !»
“Charlton” rejoint ensuite l’Afrique football élite (AFE) à Bamako, et il ne lâche pas le jeune Touré, qui détient la double nationalité (ivoirienne et malienne). A 15 ans, sa maman, très proche, déménage au Mali pour accompagner les rêves de son fils. Direction l’AFE où Touré reste trois ans. «Il était encore tout frêle à son arrivée, se rappelle Diomansy Kamara, ancien joueur du Red Star, West Bromwich, Fulham ou du Celtic, entre autres, et l’un des dirigeants de l’AFE. On lançait notre projet, on commençait en troisième division. On l’a recruté et on a senti dès le début qu’il avait quelque chose de particulier. Je me souviens d’un premier match amical. On avait gagné 6-1, il avait marqué cinq buts. C’était extraordinaire.» Touré aide l’AFE à monter en deuxième division et entre dans les radars de la sélection malienne. Convoqué en U17, il connaît un premier échec. «Au début, avec le Mali, c’était un peu difficile pour lui, reconnaît Babou Fofana, coéquipier en sélection U20, devenu proche. Il n’avait pas pu avoir sa chance, il n’était pas dans les plans de l’entraîneur. Puis il a été convoqué chez les U20, et là, c’était parti. Il est devenu le titulaire du coach.» Le coach, c’est Mamoutou Kané, qui devient très vite fan du garçon et qu’on appelle même le papa d’El Bilal au pays. «Je l’ai pris l’année dernière. Premier match : deux buts. Deuxième match : deux buts, sourit Kané. Il n’y a pas un match où il n’a pas marqué ! Je me suis accroché à lui.»
Dans la très jeune carrière d’El Bilal Touré, tout va s’accélérer au Niger, il y a un peu plus d’un an, lors de la Coupe d’Afrique des Nations U20. S’il n’a que 17 ans, Touré est emmené par Mamoutou Kané, qui doit faire face à certaines critiques pour ce choix. Il ne lâche pas sa confiance envers son joueur. Le Mali remporte la compétition. Sans marquer, El Bilal Touré transforme ses tirs au but en demie et en finale. Pour terminer dans le onze type de la compétition ! Tout ça alors que le garçon n’était pas à 100% de ses moyens pendant cette CAN, étant en effet blessé.

Naples, l’Ajax, Monaco… et Reims

Chez certains observateurs, on est impressionné par le jeu dos au but de Touré, une certaine capacité à orienter, du sang froid et un caractère déjà bien affirmé. Sur sa lancée, El Bilal Touré fait partie de la liste de Mamoutou Kané pour la Coupe du monde U20. Seulement voilà, Touré ne se rendra jamais en Pologne, pays organisateur, faute de visa, notamment : «Il a eu un petit problème, regrette Kané. Ils n’ont pas pu le faire sortir. Sa maman était malade. C’était très difficile pour lui. Il a pleuré au téléphone. Je lui ai dit : “Tu sais que je t’aime parce que tu es un bosseur. Tu peux aller au-delà de tout ça El Bilal”.»
Des larmes qu’il doit très vite mettre de côté. Son départ en Europe est proche. Naples, l’Ajax, le Red Bull Salzbourg, Monaco… Beaucoup sont au courant des qualités du Malien. Reims est aussi sur le coup. «C’est un dossier qu’on suit depuis plus d’un an et demi», avoue Mathieu Lacour, directeur-général du club champenois. Et un dossier qui va prendre de l’épaisseur avec l’arrivée de Yannick Menu au poste de directeur du centre de formation l’été dernier. Alors à Monaco, ce dernier avait repéré El Bilal Touré depuis un moment et s’était même rendu sur place, en Afrique. Avouant en interne qu’il avait rarement vu un tel potentiel. «On a croisé nos ressentis et on a validé», affirme Lacour
«On voyait qu’il avait quelque chose de différent. On a fait tous les tests athlétiques. Ils se sont révélés très intéressants. Il était sur le podium sur quasiment chacun de ces tests. On s’était dit que c’était un athlète.»
Au début de l’été 2019, El Bilal Touré se rend quelques jours dans la Marne, histoire que les actes viennent confirmer les observations des recruteurs rémois. Vingt minutes suffiront à convaincre Franck Chalençon. «On voyait qu’il avait quelque chose de différent, confirme-t-il. On a fait tous les tests athlétiques. Ils se sont révélés très intéressants. Il était sur le podium sur quasiment chacun de ces tests. On s’était dit que c’était un athlète. Sur le plan technique, il confirmait, sur les déplacements… On a terminé par un match de préparation, il a marqué un but, a fait une passe décisive. Tout ce qu’il nous avait montré lors des séances d’entraînement, il la confirmé sur le terrain. On a tout de suite validé.» Mais n’ayant 18 ans que quelques mois plus tard, El Bilal Touré ne peut signer d’ores et déjà avec Reims. En janvier dernier, à l’ouverture du mercato, le transfert est rendu officiel. «Il était sur les radars de tous les grands clubs européens capables de mettre plus d’argent que nous, que ce soit sur le salaire ou sur le transfert, se félicite Mathieu Lacour. Mais les relations avec l’académie, la culture française et francophone, la proximité de Paris, notre projet avec les jeunes joueurs qui peuvent jouer et la possibilité de connaître un club étape : tout ça mis dans un shaker fait que ça s’est imposé.»
Avec donc un petit temps d’adaptation pour supporter le froid comme s’en souvient Moïse Sakava, jeune milieu de terrain de la réserve : «C’était un peu difficile, mais on lui a dit que ça allait encore cette année, il n’avait pas beaucoup neigé. Il faisait froid, il s’en plaignanit un peu, mais ce n’était pas non plus un obstacle. Quand tu vient de l’Afrique, c’est difficile, mais quand tu as le soutien des encadrants, des coéquipiers… Le Stade de Reims est une famille donc ça a pu être plus facile.» Derrière, Touré foule très vite les terrains français. Le 11 janvier, sur la pelouse de Sainte-Geneviève-des-Bois, la réserve du Stade de Reims est malmenée (1-4). 72e minute : alors que les Champenois réduisent la marque sur penalty, El Bilal Touré est lancé. «Il n’avait qu’une petite semaine avec le groupe, détaille encore Franck Chalençon. Il est entré, il a donné une passe décisive et a mis un but (4-4). Le week-end d’après, je le mets titulaire (face à Saint-Maur Lusitanos, 1-0), c’est lui qui marque. Ensuite, je ne l’ai plus revu !»

«Il n’était pas programmé pour jouer si rapidement»

Car chez les pros, ça bouge : Rémi Oudin est transféré à Bordeaux, Hyun-Jun Suk part à Troyes, Boulaye Dia se blesse, Arbër Zeneli est toujours sur le flanc… Bref, les solutions se font bien maigres en attaque. David Guion appelle El Bilal Touré avec l’équipe première : «Il n’était pas programmé pour jouer si rapidement, veut bien reconnaître le coach rémois. L’idée était de l’intégrer au début de la prochaine saison. On voulait qu’il fasse six mois d’adaptation. Mais c’est un garçon que j’avais envie de voir avec nous à l’entraînement.»
A Bétheny, sur les terrains d’entraînement, avec les Alaixys Romao, Xavier Chavalerin ou Hassane Kamara, le jeune Touré fait vite bonne impression. «Je me souviens de son premier entraînement, rembobine Yunis Abdelhamid, taulier du vestiaire. On l’a vu venir faire des jeux réduits avec nous. On a vu un bon comportement face au but, avec beaucoup d’envie. La première image qu’on a eu a été très, très positive. Il y avait de l’insousciance, de la fougue, de la détermination.» Le succès est nettement moins éclatant lors du bizutage, passage obligé de tout nouveau dans un groupe. Pas vraiment bon au micro pour pousser la chansonnette, El Bilal Touré compense cela par une danse sur une musique malienne. «C’est un très très bon danseur, promet Diomansy Kamara. Il aime le show, il met de l’animation. Il a de la personnalité.»

La demande qui a tout changé

Qu’importe, c’est surtout sur le terrain que Reims compte sur lui. Et il n’a besoin de que 38 minutes pour ouvrir son compteur en Ligue 1. A Angers, Touré est propulsé titulaire. Alors que les Rémois sont menés, ils bénéficient d’un penalty. Avec un Yunis Abdelhamid chargé de le transformer. «J’ai pris la balle et je le vois arriver vers moi, sourit le Marocain. Il me le demande. Je vois qu’il a envie, qu’il est déterminé. Sur le coup, la première réaction que j’ai eu, c’est que ça m’a plu. Je n’ai pas trouvé ça choquant ou irrespectueux. J’ai vraiment aimé son attitude. Quand on voit un petit qui a du potentiel et qui cherche à prendre ses responsabilités… Ça m’a fait plaisir et j’ai cru en lui, je n’ai pas hésité. D’autres pourraient dire qu’il était jeune, qu’il ne fallait pas lui laisser.» Si l’appel à la VAR dure de longues minutes, le Malien ne se déconcentre pas et se met même à jongler dans la surface de réparation en attendant la décision définitive. Une fois le penalty accordé, la course d’élan, sûre, à la Neymar, un des joueurs qu’il admire, permet à Reims d’égaliser. Avec une victoire finale 4-1.
Quelques jours après, lors de Reims-Nice, Mathieu Cafaro et Kaj Sierhuis rejoignent l’infirmerie. Touré est définitivement inclus au groupe. Il a depuis inscrit deux nouveaux buts face à Brest et à Rennes, pour deux victoires rémoises.

Pas encore dans le vestiaire des pros

Mais attention, David Guion et le SDR ne veulent pas aller trop vite. «La première étape, explique le technicien, c’est de se faire accepter par un groupe. Et j’ai tout de suite vu que l’équipe l’avait très bien adopté. Mais, comme d’habitude avec les jeunes, je ne leur donne pas tout tout de suite. Aujourd’hui, il n’est pas dans le vestiaire (des pros). Il va encore attendre un peu. Il faut qu’il comprenne qu’il y a encore des choses à aller chercher.» Pour un David Guion qui tente aussi de conserver la certaine fraîcheur de son joueur. «Je ne veux pas trop lui en mettre plein la tête parce qu’il y a plein de choses nouvelles qui lui arrivent. Je ne veux pas le polluer avec plein d’informations. J’y vais par petites touches.» Encadré par son compatriote Moussa Doumbia, El Bilal Touré arrivera sans problème, un jour, à avoir son casier dans le vestiaire des “grands”, avec son numéro dans le dos. «Son caractère est assez calme, acquiesce Abdelhamid. On ne l’entend pas beaucoup. Il est assez discret, très respectueux, motivé. Et il a envie de travailler. Il fait ce qu’on attend de lui sur le terrain sans hésitation, sans appréhension.»
«Son premier achat, ça n’a pas été des jeans, des fringues, ça a été un vélo d’appartement, des coussins de prévention, du matériel de récupération… Ça montre la mentalité du garçon.»
C’est qu’El Bilal Touré est arrivé dans la Marne en mission : «Il sait où il veut aller et est prêt à mettre tous les moyens qu’il peut pour y arriver, admet Franck Chalençon. Il sait pourquoi il est là. Il a tout de suite demandé au kiné, au préparateur physique de le conseiller. Car son premier achat, ça n’a pas été des jeans, des fringues, ça a été un vélo d’appartement, des coussins de prévention, du matériel de récupération… Ça montre la mentalité du garçon.» «El Bilal, c’est un travailleur, continue Diomansy Kamara. Le matin, il se réveille, il fait des pompes, des abdos. C’est un perfectionniste.»

Un modèle nommé Cristiano Ronaldo

A Reims, si on a été surpris de l’avancée physique de Touré, on est aussi curieux de voir ce garçon au regard qui fait dire que rien de l’arrêtera. «Son modèle, c’est Cristiano Ronaldo, lance Seran Diabaté. Il s’en inspire. Il a vite appris, notamment par rapport à l’alimentation. Il est déjà très professionnel. Quand il y a entraînement à 9h45, il est là à 8 heures.» David Guion ne peut qu’apprécier : «C’est un passionné. Quand on le voit arriver sur le terrain, il a les yeux qui brillent. Il touche le ballon, on n’a même pas commencé l’entraînement qu’il jongle, il s’amuse», relate Guion, avant de lâcher au sujet du caractère de son numéro 34 : «Je suis convaincu qu’il se nourrit de buts et de stats.» En interne, on ne serait pas étonné de voir ce joueur valoir un jour 40 millions d’euros sur le marché des transferts. «Il a une grosse personnalité, un gros ego, mais il est à la fois à l’écoute, analyse Mathieu Lacour. Ce qui m’interpelle, c’est cette volonté de réussir. Il a une détermination que j’ai rarement vu chez un joueur. Une détermination, à mon sens, sans faille. C’est un garçon qui n’a pas beaucoup de limites et qui peut aller à un très haut niveau.» «Il mérite. Il a eu sa chance, il la saisie, à lui de ne pas la lâcher, promet Yunis Abdelhamid. Comme certains joueurs l’ont déjà dit, on ne peut pas leur parler d’âge !»
Pas de quoi, encore, comparer El Bilal Touré à Kylian Mbappé, à qui Abdelhamid fait référence, mais le Malien, en progressant, rêvera aussi d’un destin pour son propre pays. «Il veut être un grand attaquant au Mali, conclut Mamoutou Kané. Un Kanouté, un Eto’o au Cameroun, un Drogba en Côte d’Ivoire.» La mission ne fait que commencer.
France Football