La fermeture de l’aéroport d’Abidjan pendant plusieurs heures, samedi soir, a suscité des réactions d’incompréhension des usagers. Nous avons pu reconstituer le fil des évènements qui auraient pu avoir une issue dramatique.  

En début de soirée, la tour de contrôle de l’aéroport international Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan est saisie d’un problème avec son train d’atterrissage avant, par le vol d’Air Côte d’Ivoire en provenance de Korhogo et Bouaké. Les échanges entre l’équipage et la tour de contrôle – auxquels j’ai pu avoir accès grâce à mes sources – permettent de cerner le profil de l’aéronef. Il s’agit d’un DASH-8 à hélices du constructeur canadien Bombardier. Immatriculé TU TSK, l’aéronef a été acquis par Air Côte d’Ivoire en 2014, autrement dit, un avion quasi-neuf. Il y avait dix-sept passagers à bord au moment de l’incident.

L’excellent comportement des pilotes

En ce samedi de fête de tabaski, deux hommes sont dans le cockpit de l’avion en difficulté, avec un ciel nuageux sur l’aéroport d’Abidjan. Selon mes informations, le Commandant Deloyer, un pilote avec plus de 20 années d’expérience, tient le manche. Il a comme co-pilote Drissa Koné, qui fait partie de la trentaine de premiers pilotes formés par Air Côte d’Ivoire. Ces deux hommes sont de véritables héros, car d’après un expert ivoirien avec qui je me suis entretenu, « ce genre d’incident peut se terminer de façon dramatique si les pilotes ne font pas preuve de sang-froid en prenant les bonnes décisions au bon moment ».

Il ressort des premiers éléments que les deux pilotes ont respecté tout le protocole en pareille circonstance. Dès qu’ils ont constaté que le train d’atterrissage avant ne fonctionnait pas et que la roue avant restait emprisonnée dans sa loge, ils ont tenté de l’ouvrir manuellement afin de libérer la roue. Peine perdue. Après deux tentatives d’atterrissage infructueuses, et en accord avec la tour de contrôle, décision est prise d’effectuer un atterrissage d’urgence, l’avion ne pouvant demeurer indéfiniment dans les airs, avec le risque de ne plus disposer de fuel. A ce moment-là, toutes les dispositions sont prises sur le tarmac, et l’aéroport passe en mode alerte. Les équipes de pompiers sont positionnées tout le long de la piste, prêt à intervenir, et le SAMU est sur place pour la prise en charge médicale.

Finalement, il y aura plus de peur que de mal. Les pilotes ont fait preuve de beaucoup de sang-froid en réussissant – dans des conditions très compliquées – à poser l’avion avec tant de souplesse qu’on n’enregistre aucun décès ou blessé. Mieux, l’appareil lui-même n’a subi que des dommages très mineurs. Selon un spécialiste qui a examiné l’aéronef après qu’il a été dégagé de la piste, « il devrait à nouveau voler dans moins d’une semaine après des réparations, plus précisément au niveau du train d’atterrissage ».

De la responsabilité d’Air Côte d’Ivoire

D’après mes sources à la compagnie nationale ivoirienne, « tous les niveaux de communication ont été respectés en temps opportun ». A la question de savoir comment on explique le communiqué tardif d’Air Côte d’Ivoire alors que les réseaux sociaux étaient envahis depuis presque deux heures par ce qui relevait de la rumeur, mon interlocuteur explique cela par le fait que « des passagers du vol concerné ont, à partir de leurs téléphones portables, informé de l’incident sans détails, alors qu’une institution sérieuse ne peut communiquer qu’une fois qu’elle dispose d’informations permettant de répondre à toutes les interrogations. Et c’est ce que nous avons fait ». Ma source ajoute que « les passagers de tous les autres vols ont été informés, à temps, des retards consécutifs à cet incident, même si on ne pouvait pas être précis sur la durée des retards, puisqu’on ne pouvait présager de la durée des opérations pour dégager la piste et la rendre à nouveau opérationnelle ».

La fermeture de l’aéroport était-elle justifiée ?

Les manœuvres de l’atterrissage d’urgence ont immobilisé l’avion en pleine piste, entraînant la fermeture de la piste d’atterrissage. Ipso facto, c’est toutes les opérations d’atterrissage et de décollage à l’aéroport d’Abidjan qui ont été interrompues, les vols programmés pour atterrir à Abidjan déroutés vers Accra ou Lomé. Et cela a duré au moins trois heures.

J’ai découvert dans mon investigation que l’ancien directeur de l’aéroport d’Abidjan, un Français, avait signé un contrat au milieu des années 2000 avec l’entreprise Bolloré, chargée de dégager la piste en cas d’encombrement par un avion. Mais samedi soir, la grosse grue de Bolloré est arrivée sur les lieux deux heures après l’appel des dirigeants de l’aéroport. A ce moment-là, le général Abdoulaye Coulibaly, président d’AERIA, l’entreprise concessionnaire de l’aéroport d’Abidjan, avec l’ensemble des responsables présents, avait presque terminé l’opération de dégagement de la piste. Le contrat avec Bolloré n’a donc pas fonctionné, puisque la piste a été dégagée avec les propres moyens d’AERIA.

A la faveur de l’incident de samedi, on découvre que l’aéroport d’Abidjan ne dispose que d’une seule piste dont le blocage pour quelque raison entraîne immédiatement l’arrêt de tous les vols. J’ai vérifié et, exception faite de l’Afrique du Sud, aucun pays en Afrique subsaharienne ne dispose d’un aéroport avec plus d’une piste, encore appelé taxiway, dans le jargon aéronautique.

En réalité, Abidjan s’est dotée d’un deuxième taxiway depuis l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara. Construite pour un coût de 18 milliards F.CFA, cette piste parallèle a été conçue comme solution pour pallier à l’indisponibilité momentanée de la piste principale. Selon un très haut cadre d’AERIA (Aéroport International d’Abidjan), « ce taxiway n’est pas balisé pour des atterrissages et décollages nocturnes, les 90% du trafic de l’aéroport d’Abidjan étant concentrés en journée ». Abidjan ne peut-elle pas électrifier cette seconde piste ? « Le coût exorbitant n’en vaut pas la peine pour un incident nocturne comme celui du samedi qui ne risque pas de se reproduire plus d’une fois tous les vingt ans » estime l’expert.

Même les plus grands aéroports au monde ont souvent été bloqués pendant plus d’une heure à la suite d’incidents, relativise le spécialiste en aviation civile avec qui je me suis entretenu.

D’après mes sources, Air Côte d’Ivoire tout comme AERIA ont mis en place des commissions d’enquêtes qui permettront d’en savoir plus sur l’incident du samedi et d’en tirer toutes les leçons.

Ce qui est vrai, est vrai !

 

Source: lenqueteurdetermine