CONSULTATIONS. C’est l’effervescence à Conakry. Les militaires consultent partis politiques, acteurs économiques et société civile en vue de lancer le vaste chantier de la transition.

Il y a foule ce mardi devant le Palais du peuple de Conakry. C’est aujourd’hui que les militaires qui ont pris le pouvoir il y a dix jours ont ouvert pour quatre jours des consultations cruciales pour définir le contenu d’une transition censée ramener les civils à la tête du pays. Jusqu’à vendredi vont se succéder auprès des putschistes les chefs des partis, puis ceux des confessions religieuses, suivis par la société civile, les diplomates étrangers, les patrons des compagnies minières ou encore les syndicats d’ici à la fin de la semaine.

Avant l’ouverture des consultations en fin de matinée, des dizaines de représentants des partis politiques, qui ont appris cette convocation par les communiqués de la junte lus à la télévision nationale, se bousculaient pour passer une porte étroite gardée par des soldats.

Les forces vives se bousculent

Bien que seule une personne par parti ait été conviée, beaucoup sont venus à plusieurs, au risque d’être refoulés, avec parmi eux de nombreuses formations jusqu’alors inconnues. « Il faut stabiliser l’environnement politique et restaurer la confiance entre Guinéens », a déclaré à l’AFP Camara Lamine Singuila, porte-parole d’un de ces partis, Unité et la liberté pour le développement, qui dit être venu écouter mais aussi « avec des propositions ».

Plusieurs participants ont ensuite indiqué que le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, s’était montré « rassembleur » et à l’écoute lors de cette première rencontre. Il a rappelé les motivations du putsch du 5 septembre contre le président Alpha Condé, détenu depuis, mais n’a donné aucun détail, selon les participants sur la transition à venir, qui doit être confiée à un futur « gouvernement d’union nationale ».

« Lorsque nous avons reçu l’invitation, a dit l’opposant Cellou Dalein Diallo, on a pensé qu’il s’agissait d’une rencontre de prise de contact. Mais la rencontre a permis aux différents participants, à beaucoup d’entre eux, de s’exprimer après avoir écouté le président du CNRD. Dans son discours, il a dit qu’il souhaitait avoir la contribution de tous les acteurs politiques dans la construction de cette transition, dans la définition de ses missions et de ses termes » a-t-il dit à la sortie de la consultation. « On va retourner dans les états-majors et nos alliances respectives pour essayer de formuler par écrit notre vision, nos propositions, que nous allons soumettre aux nouvelles autorités. »

Ce coup d’Etat est selon le lieutenant-colonel Doumbouya le résultat de « l’échec de l’ensemble de la classe politique, militaire et autre de ce pays qui a trahi les valeurs de l’indépendance », a affirmé l’ex-Premier ministre Sidya Touré, un des dirigeants de l’opposition à Alpha Condé. « Inclusion, il a beaucoup insisté sur ce mot », a souligné M. Touré, qui l’a trouvé « très rassembleur ». « J’ai cru comprendre qu’il voulait associer un maximum de Guinéens à cette démarche », a-t-il ajouté, y voyant « un début qu’on peut accepter. ».

Un ex-ministre du président déchu, Papa Koly Kourouma, a également affirmé que le putschistes avaient jugé « les élites politiques et militaires responsable de tout ce qu’il s’est passé en Guinée depuis l’indépendance ». « C’était une prise de contact et il faut la prendre comme telle », a t-il expliqué, estimant que d’autres rencontres seraient nécessaires pour aboutir à des « propositions plus consistantes ».

Cette nouvelle phase cruciale, après les mesures de l’immédiat après-putsch, s’ouvre dans une complète incertitude sur les plans de la junte et sa faculté à surmonter une multitude d’obstacles majeurs, qu’il s’agisse du délabrement du système politique, de la multiplicité des intérêts particuliers, des possibles rancœurs ou encore d’une corruption réputée omniprésente.

Des gestes importants et des défis

Les forces spéciales commandées par le lieutenant-colonel Doumbouya ont déposé le 5 septembre Alpha Condé, aujourd’hui retenu captif, en quelques heures, au prix présumé d’une dizaine ou d’une vingtaine de morts. Sa chute a suscité des scènes de liesse chez des Guinéens exaspérés par la pauvreté, l’accaparement des revenus des vastes ressources minières, le clientélisme et la répression des libertés.

Alpha Condé, réélu pour un troisième mandat en octobre 2020 après des mois de contestation meurtrière, s’était enfermé dans un exercice de plus en plus solitaire et autoritaire d’une présidence à la légitimité abîmée, selon les analystes. La junte a dissous le gouvernement et les institutions, aboli la Constitution, remplacé ministres, gouverneurs et préfets par des administrateurs et des militaires. Elle a libéré des dizaines de prisonniers d’opinion, supprimé des barrages dressés dans les quartiers favorables à l’opposition, s’est engagée à réprimer les exactions des forces de sécurité et a nommé une générale gouverneure de Conakry. Elle a promis de se garder de toute « chasse aux sorcières » politique.

Forts d’une espèce d’état de grâce, les militaires ouvrent la concertation qu’ils ont promise dès le lendemain du putsch « pour décrire les grandes lignes de la transition », qu’un futur « gouvernement d’union nationale » sera chargé de conduire. Le lieutenant-colonel Doumbouya n’a rien dit jusqu’ici sur le possible contenu de cette transition, sa durée, le rôle que les militaires y joueraient, comment seraient organisées des élections et selon quelles règles. La junte a appelé lundi soir les Guinéens à n’accorder « aucun crédit » à de prétendus projets de « charte » de transition que feraient circuler des « individus mal intentionnés ». Elle a indiqué qu’une telle charte ne serait élaborée qu’à la fin de la concertation.

La communauté internationale, inquiète de la stabilité de la Guinée et d’une contagion des faits accomplis militaires, suit attentivement la concertation qui commence. En visite lundi à Conakry, le représentant de l’ONU pour l’Afrique de l’Ouest, Mahamat Saleh Annadif, a dit escompter une transition d’une « durée raisonnable », qu’il appartiendra aux Guinéens de déterminer. « Non, la durée (…) sera celle que décideront les Guinéens eux-mêmes », a-t-il dit au cours de cette visite d’une journée dédiée à la crise guinéenne. « Jusque-là, nous avons dit que nous voulons une durée raisonnable, mais la durée raisonnable dépend des Guinéens eux-mêmes », a-t-il ajouté. Il a rappelé que les Nations unies avaient condamné le putsch et réclamé la libération du président Condé. Mais elles ont aussi « manifesté leur intention d’accompagner la Guinée pour sortir de la crise », a-t-il dit. De quoi donner un peu d’air aux Guinéens.

Source: https://www.lepoint.fr/afrique