Le continent africain à raflé trois des plus prestigieux prix littéraires de l’année 2021. Le sénégalais Mohamed Mbougar Sarr a remporté, à seulement 31 ans, le 3 novembre dernier, le prix Goncourt avec son roman « La plus secrète mémoire des hommes ».

La première fois qu’un écrivain d’Afrique subsaharienne gagne le plus prestigieux prix littéraire francophone.

L’équivalent anglophone du Goncourt, le « Booker Prize », a été décroché par le Sud-africain, Damon Galgut au même moment que le Sénégalais. Quand le Nobel de littérature 2021 est revenu au Tanzanien Abdulrazak Gurnah, le 7 octobre dernier.

2021 s’est révélée en année prolifique pour la littérature africaine. Ces plumes peu connues, pour certaines, ont fait souffler un vent de fraîcheur sur la littérature du continent.

Le Sénégalais, Mohamed Mbougar Sarr raconte dans un croustillant récit les aventures du personnage Diegane Latyr Faye. Son œuvre a la particularité d’être inspirée de l’histoire de l’écrivain Yambo Ouologuem.

Damon Galgut, lui, dépeint l’histoire d’une famille de fermiers blancs dans l’Afrique du Sud postapartheid. Pendant que Abdulrazak Gurnah, 72 ans, s’attaque de façon originale à la question migratoire, en racontant la vie des réfugiés dans ses récits. Lui-même, réfugié et le Tanzanien a été obligé de quitter son pays plutôt.

Pour le Dr. Karim Fakoro Sountoura, Enseignant-chercheur à l’université des lettres et des sciences humaines de Bamako (ULSHB), cette visibilité nouvelle des œuvres littéraires africaines tient en partie à l’inclusivité culturelle. Ce phénomène moderne, selon le chercheur, donne désormais aux auteurs du continent d’avoir droit à une attention et une audience nouvelle des maisons d’édition occidentale.

« La découverte des valeurs et de l’imaginaire de l’Afrique pousse de plus en plus de lecteurs dans le monde à s’intéresser sérieusement à nos productions littéraires. La littérature n’a de valeurs que celles que l’auteur donne à son œuvre, qui elle-même, est née d’un contexte social, culturel et historique que le reste du monde découvre entre ses lignes », explique le chercheur.

Karim Sountoura voit également dans ce succès des écrivains du continent l’intérêt que la jeunesse africaine porte désormais à l’écriture. « Ce n’est pas une tendance générale, mais il est évident qu’il y a une émergence rapide de jeunes auteurs doués qui veulent partager leurs expériences et leur imaginaire pour raconter leur Afrique, loin des sempiternels clichés ayant construit certaines littératures évoquant notre continent », souligne l’universitaire, citant notamment en exemple le cas Diary Sow. La jeune écrivaine sénégalaise, étudiante en France qui a défrayé la chronique lors de sa fugue très médiatisée.

« Ces prix attribués sont une prise en compte par le monde de la littérature du talent de nos auteurs et de leur invitation à rencontrer une autre Afrique », poursuit l’enseignant à la Faculté des lettres, langues et sciences du langage (FLSL), qui ajoute : « Les feux de la littérature n’occultent plus l’Afrique, bien au contraire, ils cherchent à se poser sur le berceau de l’humanité pour qu’il se raconte au lieu d’être raconté par d’autres cultures».

Et Karim Sountoura de défendre que de la littérature militante voire politique, les auteurs s’acheminent vers une écriture intimiste, personnelle qui refuse de cantonner les thématiques littéraires aux grands débats sociétaux, politiques et historiques.

« Ces nouveaux auteurs, surtout les jeunes, veulent partager des émotions et des sentiments au lieu de dénoncer tout ce qui dysfonctionne dans nos sociétés. Pour eux, il y a plus important que les problèmes politiques, il y a l’homme, sa solitude et sa souffrance », analyse l’Enseignement-chercheur.

Pour l’universitaire, ce tournant de la littérature africaine dépassionne les questions anciennes que l’on peut traiter par ricochet à travers les sentiments humains. « C’est ce travail que le nouveau prix Nobel Abdulrarak Gurnah a réussi à faire, partir de la souffrance de l’homme pour évoquer son problème », explique Karim Sountoura. Il estime que les décennies prochaines nous édifieront mieux sur la tendance intimiste que semble avoir prise la littérature de notre continent.

Cependant, pour voir une répercussion de ces distinctions de sur les productions littéraires africaines, le chercheur pense qu’il faudra patienter encore pour mesurer les effets. « Il est trop tôt pour se prononcer sur l’impact ou les effets que pourrait avoir cette valorisation nouvelle de la littérature africaine », dit-il.

Restant tout de même optimiste, il signale que « ces reconnaissances agiront comme un puissant leitmotiv amenant vers l’écriture de plus en plus de jeunes ou même d’autres catégories d’âge de personnes ayant besoin de partager leur vision du monde ou d’expérimenter les vertus cathartiques de la plume ». Pour le spécialiste, le meilleur reste encore à venir pour les productions littéraires du continent.

M. TOURÉ

Source : L’ESSOR