Après les Assises nationales de la Refondation de 2021 pour sortir le Mali de la crise, voici la 2e création de la transition : la rédaction d’une nouvelle constitution.

 

« Il est créé, auprès du Président de la Transition, une commission de rédaction chargée d’élaborer un avant-projet de loi portant constitution de la République du Mali, dans le cadre de la Refondation de l’État », article 1er du décret N°2022-0342/PT-RM, du 10 juin 2022 portant création, mission, organisation et fonctionnement de la commission de rédaction de la nouvelle constitution (Journal officiel du Mali). Le pouvoir de transition sort l’artillerie lourde pour avancer sur l’arc des réformes. Goïta veut reprendre la main comme cela se susurre dans l’arrière cours du pouvoir.

Le pouvoir use

Il s’agit durant deux mois d’associer les forces vives : associatifs, politiques, économiques et experts. Voilà donc un aréopage qui devrait permettre à la transition d’écrire l’ensemble des lois fondamentales. Lesquelles lois régirons la forme de gouvernement et réguleront les droits politiques des Maliens. Certes, on peut jubiler de voir que sept mois après les Assises nationales de la Refondation (ANR), le Président de la Transition, le Colonel Assimi Goïta rassemble ses forces pour accomplir la « refondation » de l’Etat. Certes, les Maliens peuvent aussi se réjouir de voir que l’exécutif se mobilise pour les réunir autour d’une réforme au lieu de les abreuver tous les quatre matins de communiqués et de discours.

Cependant, ce nouveau projet de constitution dit quelque chose du contexte actuel difficile que traverse le régime de transition : blocus de Boni par la Katiba Serma depuis trois semaines, affaire des logements sociaux, etc. La pression des sanctions (Cedeao) sur l’économie nationale et l’impact économique de l’invasion russe en Ukraine finissent de briser l’élan de l’exécutif pour négocier le virage de la paix. La fatigue, la permanence des tensions sécuritaires obligent le pouvoir à lâcher du lest. Le doute gagne les esprits. Les Maliens croient de moins en moins à la volonté de l’exécutif à œuvrer pour un retour des civils au pouvoir. Mieux encore, les manifestations populaires de 2020, entraînant la chute d’IBK, n’ont pas servi de leçon à ses successeurs. Aujourd’hui, le degré de sincérité dans le narratif de l’exécutif décroît. Le pouvoir use. Et on se rassure comme on peut.

Réconcilier le peuple et le pouvoir 

D’une certaine façon, pour cette réforme (constitution), il va falloir retrouver les Maliens, réconcilier le peuple et le pouvoir. Toute tentative de passage en force engloutirait la réforme. Rappelons que les prédécesseurs de Goïta ont tous fini par renoncer à réviser la constitution de février 1992. Alpha Oumar Konaré, 1er Président du Mali démocratique, a abandonné son projet de révision constitutionnelle. La classe politique n’était pas encore prête pour modifier « sa » Constitution, un des bébés de la démocratie malienne.

À travers la révision constitutionnelle, les opposants de Konaré lui reprochaient de dissimuler un 3eme mandat. Ce qui ne s’est jamais vérifié. Son successeur, Amadou Toumani Touré l’a appris à ses dépens lorsqu’il voulait retoucher la même constitution pour plus d’égalité entre les Maliens. Les Maliens, mobilisés majoritairement par le Haut Conseil islamique du Mali, l’ont obligé à abandonner son projet de révision en 2009.

Le dernier Président, IBK, démocratiquement élu et chassé par le putsch de 2020, a renoncé à sa réforme de révision constitutionnelle en 2017 faute de compromis avec les Maliens. A la décharge d’IBK, les massacres à répétition ont miné son agenda des réformes. Le spectre de l’échec plane toujours sur les révisions constitutionnelles. Le sentiment général des Maliens est que ces tentatives de réforme constitutionnelle viennent d’en haut. Ceci dit, il y a une différence nette entre les projets de réforme constitutionnelle précédents et celui de la transition actuelle : c’est la rédaction d’une nouvelle constitution. Le pouvoir de transition, pour parer à tout risque de rejet de sa réforme, s’est engagé dans la rédaction d’une nouvelle constitution. La constitution de 1992 est sensible. Sa révision se confondrait avec les agitations. Le temps est court.

Encore un effort !

Néanmoins, la mise en place d’une commission de rédaction de l’avant-projet d’une nouvelle constitution inquiète pour deux raisons. La 1ere, ce projet informe que le pouvoir de transition ne s’est pas donné le temps de réfléchir sur la question. Or, dans l’article 2 de la Charte révisée de la transition (2022), les missions de l’actuelle transition sont notamment : « … l’adoption d’un pacte de stabilité sociale, les réformes politiques, institutionnelles, électorales et administratives, l’organisation des élections générales… ».

Pour l’instant, la révision de la charte n’a ni pénétré l’esprit de l’exécutif, ni saisi celui du Conseil national de Transition. En attendant, les Maliens soutiennent Assimi Goïta, non pas parce qu’il inspire confiance plus que ses prédécesseurs, mais parce qu’il peut être l’homme de la situation pour réconcilier les Maliens. C’est tout ! Une 2e raison, il est surprenant de voir que la transition mette à la poubelle la constitution de février 1992, symbole pour les Maliens de l’union de toute la société pour s’extraire des griffes du caporalisme et des dérives totalitaires. Quand bien même les Maliens trouvent que cette même constitution est un copier/coller de la constitution française de 1958.

Donc, la nôtre ne serait pas représentative des réalités socioculturelles et historiques du Mali. Mais, l’esprit de la refondation ne consisterait-il pas à établir un nouveau contrat social et politique entre les Maliens d’hier, d’aujourd’hui et de demain ? Enfin, le Mali n’est pas mort, mais il souffre d’inégalités et d’injustices dans la redistribution des richesses. Il souffre de l’inapplication des textes en bonne et due forme.

La mauvaise gouvernance, la corruption, le clanisme politique et communautaire et le terrorisme ont sclérosé l’esprit d’initiatives et d’anticipation. Inévitablement, le développement en pâtit. Donc, il ne s’agit pas de superposer les textes et les institutions, une approche jacobine de l’Etat, mais de s’inspirer de l’existant pour innover. Souhaitons que l’exécutif parle plus à l’intelligence des Maliens qu’à celle des rapaces, prêts à dépecer l’Etat. Encore un effort !

Espérons que cette commission pour rédiger l’avant-projet de la constitution ne soit pas une machine à broyer l’espoir des Maliens. Car, la corde est raide. En plus des aspects juridiques, elle devra s’inspirer aussi de l’évolution sociologique du Mali à l’intérieur comme à l’extérieur. Les enjeux de vivre ensemble, la question des croyances, des traditions et des valeurs républicaines doivent y figurer. Autrement, la future constitution devra incarner le citoyen malien de Kayes à Taoudéni. Il va falloir garder son sang-froid pour ensemencer les champs du Mali éternel à l’image de notre hymne national : « O Mali d’aujourd’hui, O Mali de demain. Les champs fleurissent d’espérance. Les cœurs vibrent de confiance ».

Comment œuvrer pour avoir des hommes capables de faire respecter les textes ?

Comment concilier justice et liberté ?

 

Mohamed Amara

Sociologue

Source : Mali Tribune