La politique étrangère de tout État ambitieux est organisée autour de la défense de ses intérêts. En d’autres termes, il s’agit d’assurer la protection des citoyens partout où ils se trouvent tout en assurant la défense du territoire national.

Cela impose une bonne coordination entre l’outil militaire et l’outil diplomatique. Il s’agit également de doter la nation de capacités économiques pouvant lui assurer sa prospérité sur le long terme. Ces engagements doivent être réalisés avec une grande détermination, car la scène internationale est non seulement « anarchique », car elle est aussi dominée par une logique de compétition perpétuelle entre États. La logique compétitive domine prioritairement les relations entre États voisins ce qui impose une grande vigilance.

A cet effet, il est important de rappeler que le Mali partage près de 7400 km de frontières avec ses sept voisins (Algérie, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Mauritanie, Niger, Sénégal). Cela impose au pays une posture hautement stratégique dans la perspective de défendre ses intérêts, surtout sur des territoires potentiellement riches en ressources agricoles et minières.

Définir l’intérêt national consiste donc à prendre en compte les capacités internes et externes d’un État à valoriser et à vulgariser ses atouts naturels et culturels, à établir un marché prospère, à protéger ses citoyens au sens large et à sanctuariser son territoire national.

Ce n’est donc pas fortuit si la politique étrangère relève en général du domaine du Chef de l’État qui en fixe le cap en fonction des intérêts vitaux de la nation. C’est pourquoi, le Premier discours de tout nouveau Président est analysé avec la plus grande attention, car il définit l’ambition de l’État au service du pays en fixant les priorités devant assurer la survie du pays et la prospérité de la nation.

Il s’agit fondamentalement de tracer la voie de l’avenir en se dotant non seulement de capacités internes, mais également de la liberté à pouvoir choisir ses alliés en fonction des objectifs sécuritaires et économiques tout en se tenant compte de l’histoire des relations internationales.

Le débat autour de l’intérêt national reste un sujet tabou dans la plupart des pays africains. Les décideurs du continent africain ont longtemps fermé les yeux sur les enjeux liés à l’intérêt national au profit de leurs intérêts personnel.

Il a été plusieurs fois rappelé que « les États n’ont pas d’amis mais des intérêts » ou encore « Interest governs the world ».

N’ayant parfois pas compris l’essence des relations internationales, de nombreux pays africains avancent en rang dispersé tout en continuant à croire aux discours d’amitié et d’aide. La doctrine de « l’aide aux pays pauvres » reste encore d’actualité et constitue une porte d’entrée à tous les abus dans le but de maintenir les États africains sous pression, voire sous domination.

Menace contre l’intérêt national

Lors du déclenchement de l’opération Serval au Mali en 2013, le Président Hollande avait lancé que « La France n’a aucun intérêt au Mali », tout en précisant qu’il s’agit d’une « aide ». Il a sciemment omis de se rappeler que dans l’intérêt, se trouve des intérêts et que tous les intérêts ne sont pas que financiers.

La France a des intérêts au Mali et cela est connu, d’ailleurs le discours présidentiel français aurait dû reconnaitre cela depuis fort longtemps, car la base de toute relation sincère passe par la reconnaissance de l’existence de son intérêt à intervenir ailleurs.

Dans cette situation, la préservation des institutions maliennes, donc des intérêts vitaux du Mali est présentée sous un angle uniquement bénéfique au Mali, or, la situation géographique du Mali en fait un acteur incontournable en matière de sécurité. Il est tout de même important de rappeler que l’extrême nord du Mali se trouve à moins de 4 heures de vol des premières côtes européennes.

L’intervention catastrophique de l’OTAN contre les intérêts libyens a mis en lumière l’extrême fragilité des équilibres dans le Sahel et en Europe.

Les intérêts vitaux de plusieurs États furent menacés à commencer par ceux du Mali, mais pas seulement, les pays européens ont dû immédiatement faire face à une vague d’immigration souvent portée par des réseaux de crime organisé.

Recommandations pour sauvegarder l’intérêt national

L’évolution des menaces transnationales exige une coopération franche entre États. Pour sortir du cercle vicieux de l’aide perpétuelle, les États africains doivent bannir l’idéologie qui encourage à demander systématiquement de l’aide.

La doctrine dominante devrait-être celle de la mise en avant des atouts locaux bénéfiques aux parties prenantes avec l’ambition d’arrêter les « aides ». Il faut également construire des forces de défense et de sécurité capables de prévenir ou d’agir contre les agressions.

La défense de l’intérêt national, exige de bâtir une base interne solide en orientant la majorité de la population vers l’estime du pays à travers une gouvernance exemplaire et productrice de résultats. Dans la défense de l’intérêt national la mission est double, il s’agit de susciter un esprit patriotique en interne dont la base est l’attente des résultats sécuritaires et économiques et en second lieu, il s’agit de mériter le respect sur la scène internationale à travers une politique étrangère cohérente et pragmatique dans toute sa globalité. Cela nécessite notamment, la prise en compte des acteurs de sa diaspora qui constitue d’abord un formidable réservoir de talents et de compétences, mais également, ils portent une partie des opportunités économiques et une partie de la sécurité.

De l’intérêt général à l’intérêt national

L’une des raisons d’être d’un État c’est sa capacité à mettre en valeur les avantages naturels pour le bien-être du peuple. Cette mission exige à la fois l’application des lois, le respect du droit et la valorisation de l’équité. Cette posture nécessite également la gestion rigoureuse des deniers publics, par l’étouffement de la corruption par une démarche prospective et une planification pertinente. Il s’agit donc d’inverser la tendance, en agissant en amont du problème.

Le contrôle exercé par les représentants du peuple, c’est-à-dire les députés, est un puissant rempart contre la dilapidation des ressources internes. Ce combat doit être porté par des convictions prouvées et affirmées.

Le Mali semble avoir commencé sa mue en faveur de la défense de l’intérêt national en s’appuyant sur la protection de l’intérêt général. Force est de constater qu’il s’agit d’un combat long surtout dans un climat dominé par une crise multidimensionnelle. Cela demande l’adhésion des populations et une bonne pédagogie des autorités.

Le pays dispose de grandes opportunités qui ne sont pas assez exploitées, le travail consiste désormais à booster la production locale afin d’installer un engagement national durable. L’adage qui dit que « l’or passe par le feu avant de briller » y trouve tout son sens. Toutes les nations connaissent des moments difficiles avant leur émergence, à condition que chaque citoyen prenne conscience des enjeux avec la ferme volonté d’agir positivement en faveur du pays. C’est là où le changement de mentalité est évoqué, le Président de la transition y fait régulièrement allusion dans ses discours. Cette volonté invite à défendre l’intérêt général pour porter l’intérêt national au-devant de la scène internationale, car l’un ne va pas sans l’autre.

Boubacar Salif Traoré, chef du Centre d’Etudes de Recherches et de Documentation de l’Ecole de Guerre du Mali

Source: Tjikan