Amira Abdel-Halim, experte des affaires africaines au CEPS d’Al-Ahram, revient sur les défis sécuritaires au Sahel après le départ définitif de la force Barkhane et le retrait du Mali du G5. Entretien.

Al-Ahram Hebdo Le Burkina Faso, ainsi que d’autres pays du Sahel, témoignent d’une recrudescence d’attaques terroristes dont la dernière a causé la mort de 79 personnes et la fuite des milliers d’autres. Comment donc voyez-vous cette vague de violence ?

Dr Amira Abdel-Halim : Dans la région du Sahel, il y a des pays où les groupes terroristes sont enracinés, comme le Mali et le Nigeria, et les voisins de ces pays qui subissent la violence de ces groupes. Le Burkina Faso fait partie de cette deuxième catégorie, mais il est touché par l’insécurité que subit le Mali. De plus, la zone Liptako Gourma, à cheval entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger, est une région très dangereuse qui abrite des réseaux de crime organisé et des groupes armés non étatiques, ce qui a aggravé la situation sécuritaire et a doublé la menace sur la sécurité du pays. En outre, le Burkina Faso cherche à renforcer ses capacités militaires, et c’est pourquoi, les attaques terroristes ciblent dans leur majorité les forces de sécurité.  

— C’est en pleine crise sécuritaire dans la région que la France s’est retirée du Mali. Comment expliquer ce retrait ?

— Il faut d’abord noter que ces trois dernières années, les groupes djihadistes ont intensifié leurs attaques contre la force française Barkhane, causant des pertes parmi ses rangs, ce qui a suscité, à l’intérieur de la France, une fronde contre cette intervention. Le président français, Emmanuel Macron, a donc pris la décision de retirer les troupes françaises pour ne pas perdre des milliers de voix à la récente élection présidentielle, surtout que son adversaire était une candidate de l’extrême droite, qui refuse toute intervention extérieure. C’est la première raison. La deuxième, c’est la relation tendue entre la junte au pouvoir au Mali et à Paris.

— Et quel sera l’impact de ce retrait alors sur le Mali et sur la région ?

 

— Le Mali était au coeur du dispositif antiterroriste français et européen au Sahel, la force Barkhane a pu affaiblir les groupes extrémistes au nord du pays et a pu remporter des victoires militaires majeures au Sahel, surtout ces dernières années, avec la mort du fondateur d’Al-Qaëda au Maghreb islamique (Aqmi), Abdelmalek Droukbal, en juin 2020, puis celle du fondateur de Daech au Grand Sahara en septembre 2021. Suite à son retrait, la France a arrêté toute sorte de coopération militaire avec le Mali. Ce qui aura de lourdes conséquences sur la situation sécuritaire. Mais si la France s’est retirée des principaux bastions des groupes armés au Mali comme Tombouctou et Kidal, elle n’a pas levé ses mains de toute la région. N’oublions pas que Paris y a des intérêts. La France a donc réorganisé sa présence en la renforçant au Niger voisin, qui héberge déjà une base aérienne française et 800 militaires. Pour Paris, le Niger est un pays qui jouit d’un pouvoir démocratique contrairement au Mali.

— Mais l’insécurité grandit dans la région …

— C’est vrai. Car si la France a marqué des points, notamment en tuant des chefs terroristes, ces groupes possèdent une structure organisationnelle et des remplaçants à ces chefs. De plus, les opérations de lutte antiterroriste ont exaspéré le sentiment de haine de la population contre cette intervention. A cela s’ajoutent une situation économique désastreuse, ainsi que les conséquences du changement climatique, dont la sécheresse, qui ont privé des milliers de pêcheurs et d’agriculteurs de gagne-pain. Autant de facteurs qui facilitent le recrutement de nouveaux membres dans ces groupes.

— Pour combler le vide sécuritaire, Bamako a eu recours à la Russie via le groupe Wagner. Est-ce une option qui se tient ?

— On ne peut pas comparer la capacité d’un pays comme la France dans la lutte antiterroriste à une compagnie de mercenaires. L’expérience de la France est longue, neuf ans d’intervention militaire, depuis l’opération Serval lancée en 2012 jusqu’à Barkhane. Mais le Mali s’est vu obligé de chercher une alternative à la France, qui a dévoilé son intention de se retirer du Mali dès 2020. Le pouvoir malien n’avait pas d’autres choix que le groupe Wagner, déjà présent dans d’autres pays africains où il a eu quelques réussites.

— Les autorités de transition au Mali ont aussi décidé de se retirer du G5 Sahel, l’organisation régionale de lutte antiterroriste. Quelle est la conséquence de ce retrait ?

— Bamako a, en effet, annoncé le 15 mai son retrait du G5 Sahel pour protester contre le refus qui lui était opposé d’assurer la présidence tournante de l’organisation en février dernier, comme prévu, à cause du contexte politique malien : transition depuis le coup d’Etat militaire d’août 2020 et négociations toujours en cours avec la CEDEAO pour un retour à l’ordre constitutionnel. Ce retrait constitue un coup dur à cette organisation régionale lancée en 2014 et regroupant le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Tchad et la Mauritanie, afin de combattre les groupes djihadistes présents dans le Sahel. Pour certains, le retrait du Mali signe de facto la mort du G5 Sahel.

— Alors autant de bouleversements, y a-t-il une issue à toutes ces crises qui frappent la région ?

— Je le répète : la solution militaire à elle seule n’aboutit jamais à une éradication du terrorisme. Même cette solution a besoin de nouvelles stratégies. Le fait de tuer des chefs ne résoudra pas le problème, au contraire, les groupes intensifient leurs attaques pour se venger, et de plus, ils peuvent gagner la sympathie des peuples. Pourquoi, par exemple, on ne tente pas d’entamer des négociations avec les groupes les moins violents. L’Algérie avait déjà eu recours à ouvrir un dialogue avec les groupes islamistes, afin de rétablir la paix. En outre, il faut chercher les causes qui ont fait que ces groupes existent : parallèlement à la lutte antiterroriste, il faut lutter contre la pauvreté, la famine, l’analphabétisme, il faut trouver des sources de revenu pour des milliers de pêcheurs et d’agriculteurs qui ont perdu leur gagne-pain à cause du changement climatique. Il faut un véritable développement économique, éducatif et sanitaire, et avant tout, on doit laisser les Africains résoudre leurs problèmes à leur manière tout en donnant un rôle aux organisations régionales.

Source: Al-Ahram Hebdo