La Minusma parle d’exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées et d’actes de torture – des accusations « ne s’appuyant sur aucune preuve tangible », répond la junte.

Le nombre de morts civiles et de violations des droits imputables à l’armée malienne soutenue par des militaires étrangers a connu une « hausse exponentielle » au premier trimestre de 2022, a indiqué, lundi 30 mai, la mission de l’ONU (Minusma) dans le pays. La junte au pouvoir depuis août 2020 dans ce pays en proie à la propagation djihadiste et aux violences de toutes sortes a réfuté ces affirmations.

Si les groupes djihadistes affiliés à Al-Qaïda ou à l’organisation Etat islamique (EI) sont restés les principaux auteurs des violences contre les civils, la Minusma a dénombré 320 violations imputables aux forces de sécurité, appuyées « à certaines occasions par des éléments militaires étrangers », au cours des trois premiers mois de l’année, contre 31 le trimestre précédent. Sur ces 320, 248 se sont traduites par la mort de civils, dit la Minusma dans une note trimestrielle. Elle parle d’« exécutions extrajudiciaires », de disparitions forcées et d’actes de torture.

 

Il n’appartient pas à la Minusma de dire l’origine des « éléments étrangers », a déclaré en visioconférence Guillaume Ngefa, son directeur de la division des droits humains, malgré le soupçon pesant sur l’organisation de sécurité privée russe Wagner.

« Multiples obstructions »

La junte s’est détournée ces derniers mois de la France et de ses partenaires européens, et tournée vers la Russie. Les Européens ont annoncé en février leur retrait militaire du Mali en invoquant le recours des colonels au Groupe Wagner, malgré les agissements controversés de celui-ci, ainsi que les « multiples obstructions » de la part des autorités maliennes à leur action après des années d’engagement. La junte parle quant à elle de coopération renforcée d’Etat à Etat avec la Russie.

M. Ngefa a précisé que les décomptes « n’incluent pas les événements de Moura », qui font toujours l’objet d’une enquête malgré le refus opposé jusqu’à présent par la junte à un déplacement des experts de l’ONU sur place. Cette localité du centre du pays a été le théâtre, fin mars, de ce que Human Rights Watch décrit comme le massacre de 300 civils par des soldats maliens associés à des combattants étrangers, peut-être russes. L’armée malienne dément et revendique l’élimination de plus de 200 djihadistes.

 

La Minusma détaille une série de cas, comme la mort d’au moins 21 civils sommairement exécutés selon elle par les forces maliennes et 18 autres portés disparus le 31 décembre dans la région de Nara. La Minusma écrit que « la majorité des victimes de ces violations étaient membres de la communauté peule ». Celle-ci est volontiers considérée par une partie des Maliens comme une source de recrues pour les djihadistes.

La Minusma a soumis la note aux autorités de Bamako avant sa publication. Dans un mémorandum de réponse consulté par l’AFP, les Affaires étrangères maliennes fustigent des « allégations […] très souvent tendancieuses, non recoupées » et ne « s’appuyant sur aucune preuve tangible ». Elles visent à « discréditer » les forces maliennes, assurent-elles. Les Affaires étrangères répètent à plusieurs reprises qu’un strict respect des droits humains est pris en compte dans la formation des soldats et la préparation des opérations.

« Expansion » djihadiste

Répondant à chaque cas exposé par la Minusma, elles objectent plusieurs fois que les autorités ont ouvert leur propre enquête et que le propos de la mission repose sur des documents « montés de toutes pièces ». Dans le cas de Nara, elles arguent qu’une « franche couche de la population […] est acquise à la cause des terroristes » et « serait même en mesure d’inventer des histoires en vue de ternir l’image de l’armée ». Le mémorandum reproche à la Minusma d’ignorer les « progrès remarquables » accomplis pour protéger les droits humains et améliorer la sécurité. La junte revendique régulièrement de pousser les djihadistes à la « débandade ».

 

La note de la Minusma dresse un tableau beaucoup plus sombre. Le nombre de personnes tuées par toutes les parties (groupes armés islamistes ou autres, milices et groupes d’autodéfense, forces de défense) a plus que quadruplé d’un trimestre à l’autre, passant de 128 à 543, dit la Minusma. L’ONU est « très préoccupée » devant la situation sécuritaire générale et la dégradation observée selon elle dans le centre, dans la zone dite « des trois frontières » (avec le Burkina Faso et le Niger) et dans le nord, a déclaré Daniela Kroslak, représentante spéciale adjointe du secrétaire général des Nations unies.

La Minusma rapporte une intensification des attaques des groupes djihadistes, un renforcement de leur présence dans le centre et dans le nord et une « expansion inquiétante » vers le sud. La Minusma déplore par ailleurs un « rétrécissement continu de l’espace civique et du débat démocratique et la restriction dans l’exercice des libertés publiques ».

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Le Monde avec AFP