Paix à l’âme de tous ceux ou celles qui nous ont quittés. Que la terre leur soit légère et que Dieu leur accorde le paradis. Cela dit, j’ai entendu des choses après le décès de l’ex-président qui m’ont sidéré. En ma qualité d’ancien ministre du président défunt, en qualité de contrôleur d’Etat qui était rattaché à la présidence et de Ministre de tutelle des Sociétés et Entreprises d’Etat pendant deux (02) années – (de 1980 à 1982), je suis en mesure de témoigner partiellement et objectivement de ce qu’est l’homme qui nous a quitté.

J’ai entendu sur des radios des louanges adressés à l’ex-président. Je ne conteste pas les opinions des autres mais une opinion n’est pas un fait. J’ai adressé par le journal ‘’Le Malien’’ une lettre ouverte à l’ex-président. Je m’attendais qu’il réagisse à mes écrits, rien de cela ne s’est produit. Ce silence peut avoir deux causes : soit qu’il ait considéré avec mépris ce que j’ai écrit le concernant, soit qu’il ait manqué d’arguments pour me contredire.

Les évènements de novembre 1968 menés par le Comité Militaire de Libération Nationale (CMLN) renversèrent notre regretté Président Modibo KEÏTA. Ce dernier et l’Armée malienne de l’époque mirent fin, avant 1968, à la rébellion du nord, ce qui entraina la paix au Mali. De cette date jusqu’en 2020, l’ex-président et le CMLN n’y sont rien dans la résolution de la première rébellion du nord. En 1978, le Contrôle d’Etat m’avait chargé de vérifier l’utilisation des fonds de la sécheresse dont était chargé de gérer l’un des inculpés militaires détenus dans les locaux du Camp du Génie militaire. De ce fait, je fus membre de la commission nationale qui était chargée de cette affaire. Cette commission siégeait tous les jours à partir de 09 h dans la salle de réunion du Génie à la base militaire. Avant chaque réunion, je discutais avec les deux principaux détenus qui furent membres influents de l’ex-CMLN. Lors d’une causerie avec les deux, l’un des deux principaux détenus, paix à leurs âmes, n’a cessé de verser des larmes en disant sans toi, s’adressant à l’autre détenu, nous ne serions pas là. Si je suis là aujourd’hui, c’est toi qui en est le responsable. Lors de notre dernière réunion du CMLN, nous avions décidé à la majorité de mettre fin définitivement aux pouvoirs de l’ex-président. C’est toi qui m’a prié de le pardonner et de le laisser en liberté, ce dont j’acceptasse. C’est ainsi que les choses se sont passées. Si je mens, dit-le moi. Le codétenu a dit que tu as raison car je pensais qu’il allait démissionner de lui-même étant donné qu’il avait perdu notre confiance. L’autre lui a dit, en versant des larmes, tu vois où tu nous a menés, on n’en sortira pas. Effectivement, ils n’en sont pas sortis. Lors de leurs détentions au bagne de Taoudénit, le défunt, l’un des prisonniers, qui avait sauvé l’ex-président lors de la réunion du CMLN, a écrit à l’ex-président pour lui demander pardon et le prier d’épargner leurs vies. Quelques temps après cette lettre, un Adjudant-chef, aujourd’hui décédé, qui m’a fait la confidence et qui m’avait pris en amitié lorsque nous étions membres de la commission nationale d’enquêtes en 1978 m’a détaillé les conditions des décès des deux principaux détenus précités qui étaient au bagne de Taoudénit. Un peloton de militaires dirigé par un Adjudant-chef s’est rendu en mission à Taoudénit en vue d’exécuter les deux principaux détenus dont j’ai cités ci-dessus. Ils les ont fait exploiter le sel gemme de 05h à 00 h sans eau et sans nourriture. Quand ils sont revenus au bagne, ils se sont plaints de la maltraitance. C’est lors de leurs plaintes que le chef de peloton les a étranglés à mort. Comment peut-on comprendre que l’on condamne des gens à mort dont l’un vous a sauvé la vie, et les faire tuer dans pareilles conditions. La question s’adresse à tous et à toutes qui disent que l’ex-président était humain et qu’il était un homme de pardon.

L’ex-président a fait 23 ans de pouvoirs de 1968 à 1991 dont treize (13) ans de pouvoirs absolus de 1978 à 1991. Pendant ces années, quel a été son bilan. En ma qualité de ministre à l’époque, je n’en connais pas. J’ai quitté le gouvernement suite à un désaccord sur la gestion des Sociétés d’Etat. J’étais pour la rigueur de la gestion et le maintien de cette richesse économique et sociale ; ce qui ne plaisait pas aux pouvoirs de l’époque. Ainsi, après mon départ du gouvernement, on a commencé à liquider et privatiser notre richesse économique et sociale, vingt-cinq (25) sociétés d’Etat industrielles et commerciales liquidées et quelques unes privatisées qui n’ont pas résistées à l’économie de marché imposée au Mali par les Institutions de Breton Wood et la France. Il s’en est suivi la liquidation du Franc Malien (FM), héritage de la première République. Le pays a perdu ainsi les instruments de son désenclavement (Air-Mali et la RCFM) et sa souveraineté monétaire. Si on avait ces instruments d’indépendance à ce jour, on ne serait pas soumis aux ultimatums de la CEDEAO.

En 1991, lors du renversement de l’ex-président, combien de morts ont été dénombrés. Je laisse la réponse à ceux et celles qui font les louanges du disparu. Le Carré des Martyrs est là. Ce Carré des martyrs n’existe pas selon eux. Ces morts ne comptent pas. Tous ces morts sont dus à l’entêtement du défunt qui a refusé d’entendre les voix du peuple malien. Et ce faire preuve d’humanisme et de pardon quand on fait tuer des dizaines de pauvres pour se maintenir au pouvoir. A ceux ou celles qui font les louanges du disparu de répondre à ces questions.

Je ne cherche pas de polémiques mais uniquement la vérité des faits, ce qui n’est pas incompatible en souhaitant paix et repos éternel à l’âme du défunt. Que Dieu ait pitié de lui. Que Dieu ait pitié de tous les morts. Chacune et chacun attend son tour. Que ce tour arrive le plus tard possible en nous trouvant dans la bonne voie. La fin n’efface pas le passé.

 

Dr Tiécoro DIAKITE

Docteur en Economie du Développement (Paris I)

Diplômé Expertise Comptable (Paris) 

Diplômé en Droit des Affaires (Paris I)

Ancien Ministre  

 Ancien Expert principal du BIT

Lauréat International AWARD 2008

 Chevalier de l’Ordre National du Mali

Source: Le Malien