Dans un article intitulé « Crise au pays Dogon : L’appel à la paix de Youssouf Toloba ! », paru le 17 janvier 2020, le journal  Le Pays  rapporte des propos prêtés à Youssouf Toloba, le responsable suprême des miliciens « donso » du mouvement Dan Na Ambassagou sur la situation sécuritaire dans la zone exondée de la Région de Mopti. Les propos de M Y Toloba, certainement  destinés à la communauté nationale et singulièrement à  ses co-pays peulhs, méritent attention, considération et réponse. C’est pourquoi, en tant que  peulh et compatriote du « Pays Dogon », je partage ici avec tous les maliens et surtout avec mes frères dogons ce qu’inspirent à de nombreux maliens ces propos frappés en partie du sceau de la sagesse.

La première et la plus frappante  remarque est l’affirmation « La paix n’a pas de prix ». Selon le journal ‘Le Pays’, « C’est ce message que le premier responsable de la branche armée de Dana Ambassagou a fait passer dans son message vocal adressé aux populations du pays dogon». Pour notre part, nous dirons que c’est vraiment malheureux  que Dan Na Ambassagou et ses leaders ne se rendent compte que seulement, maintenant, après tant d’années d’atrocités inutiles, que « la paix n’a pas de prix ». Ce principe si véridique est pourtant connu depuis toujours. Alors, pourquoi l’avoir jusqu’ici ignoré et privilégié l’épreuve de force contre ceux qui n’en disposaient pas et qui n’ont rien fait de répréhensible ? Certes, on dit qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire. Mais la question demeure quand même  de savoir qu’est-ce qui a bien pu changer entre temps, pour vous ramener enfin vers cette inspiration lumineuse.  L’état calamiteux de notre zone ?  Le volume du sang de nos frères qui ne cesse de couler ? L’impasse constatable sur tous les plans ? Ou bien entre autres raisons, c’est le fait de se rendre, enfin,  compte que  celui qui vous arme pour tuer votre frère, quelles que soient les raisons, n’est véritablement pas votre ami. S’il est capable de vous conseiller et  de vous soutenir dans la trahison, il n’hésiterait pas à vous faire subir le même sort si l’occasion se présentait. Si tel était le motif  du début de votre changement d’approche, c’est tant mieux. Si non, pensez-y.

« Je lance un appel pressant à mes frères peuls, qu’ils viennent à nous pour que nous travaillions ensemble. S’ils sont en difficulté, qu’ils nous le disent. Nous sommes là pour tout le monde, toutes les communautés », aurait rassuré M Toloba. Ce que nous pouvons dire en ce qui concerne cet  appel,  c’est que pour nous, les peulhs et certainement pour vous aussi, comme pour tout le monde d’ailleurs, les actes sont plus éloquents que les paroles. En effet, si en 2015 et 2016, quand les services secrets de l’Etat vous entreprenaient assidûment  pour mettre en place le mouvement et la milice Dan Na Ambassagou, si vous aviez eu la sagesse de dire à vos inspirateurs, commanditaires de services, ceux  qui vous ont remis entre les mains le récépissé, les armes et munitions,  l’argumentaire fallacieux, le soutien politique et technique,   que  vous ne viviez pas seuls sur le territoire et qu’il était nécessaire que les autres aussi, notamment les peuhls qui n’ont rien à voir avec le djihadisme soient associés à l’entreprise  pour pouvoir parler  et agir au nom de toutes les populations  qui habitent le « Pays Dogon »,  et que toutes les populations soient  associées à la lutte contre le djihadisme qui est une cause nationale, nous n’en serions pas là  aujourd’hui, M Toloba ! Il n’y aurait pas eu de milices ethniques ni de conflits interethniques et notre terroir commun aurait pu au moins limiter, si non s’épargner  la  cruelle destruction qu’il continue de subir. Mais, la « pression »  des cercles politico- sécuritaires qui vous ont entrepris, la fausse assurance qu’avec l’appui de ces forces, votre intervention sera de courte durée et  sans graves conséquences et que la victoire va être facile et rapide contre des populations civiles minoritaires, désarmées et non préparées pour la guerre.  Toute cette situation, sans oublier le venin du mépris et  de la haine gratuite envers les peulhs artificiellement  préparé et inoculé  à la plupart de vos militants, ainsi que l’occasion de profiter de rapines de guerres, ont dû vous  aveugler, vous et votre mouvement et vous ont incliné à accepter le pacte du diable. Aussi,  vous avez préféré tourner le dos à ceux que vous appelez aujourd’hui vos « frères peulhs ». Il y a si peu de temps encore, au lieu de les protéger vous vous acharniez à les détruire  férocement, systématiquement et  méthodiquement avec l’appui multiforme, mais soigneusement, pensait-on, tenu secret de vos puissants inspirateurs et  protecteurs. Grâce à Dieu vous  tous, vous n’avez pas totalement réussi dans cette perfide et criminelle entreprise. Aussi, vous comprendrez, certainement que les peulhs attendent  de vous des actes concrets  pour  les convaincre que vous et votre mouvement vous avez  véritablement changé et  que maintenant vous êtes là pour « tout le monde ». Si non, par vos multiples actes  et en plusieurs endroits, vous les avez déjà convaincus du contraire. On peut douter, qu’aujourd’hui, vos paroles seulement suffisent  à les faire changer d’avis. Alors, démontrez  par des actes concrets aux sceptiques, vous le savez bien, qui sont nombreux, qu’ils ont  vraiment tort.  Et attendez la suite. Certainement que vous ne serez pas déçus.

Toujours, selon ‘Le Pays’ Toloba aurait affirmé « que la principale mission de Dana Ambassagou, c’est de sécuriser, auprès de l’armée malienne, les populations du pays dogon.  Nous allons continuer à appuyer les FAMA pour la sécurité des populations et leurs biens », aurait-il précisé. Voilà de bonnes paroles et de bonnes intentions, mais le socle est malheureusement faux et illégal. Si nous sommes dans un Etat de droit organisé, les missions  des uns et des autres, de toutes les structures,  sont  organisées et dévolues par des textes règlementaires. Aucune fraction de la population ne peut de son propre chef s’octroyer à sa convenance des missions. Le rôle de défense de l’Etat et des citoyens appartient exclusivement à l’Etat à travers ses forces de défense et de sécurité. Mais même elles, les FDS, étant sujet du droit, au risque de sortir de la légalité, elles ne peuvent pas agir  à leur guise. Aussi ce serait  étonnant et illégal qu’elles acceptent le service que vous leur proposez.   C’est encore récent dans les mémoires, comment toute la nation a été témoin des pratiques criminelles des « donso » de Dan Na Ambassagou.  Les fumées des différents pogroms ne se sont même pas encore totalement dissipées. Des  enquêtes pour poursuites judiciaires sont toujours en cours. N’est-ce pas ce même mouvement, Dan na Ambassagou qui s’est disqualifié par ses actes et qui a amené l’Etat à lui « retirer » le récépissé  et  à s’engager à plusieurs reprises à le désarmer avec toutes les milices? Dans ces conditions, il est incompréhensible que l’Etat, à moins de tromper son propre peuple, ce qui est grave et illégal, que l’Etat  continue de lui confier, ou même de tolérer  cette mission d’appui à l’armée pour la protection  des populations. C’est vrai que dans cette partie du pays, l’Etat n’est pas à une contradiction près. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui,  la milice  Dan Na Ambassagou doit savoir qu’elle agit illégalement. Même si c’est pour « aider » l’armée qui est régie par les textes de la République. Des questions attendent des réponses, comme : Pourquoi l’armée se fait-elle aider en catimini par la milice Dan Na Ambassagou ?  Pourquoi n’assume-t-elle pas publiquement cette aide ? Est-ce par ce que ce serait illégal et immoral ? D’autre part, demandons-nous, dogons et peulhs, les premiers concernés par ce qui se passe chez nous,  honnêtement qu’est-ce que l’intervention de Dan Na Ambassagou a résolu positivement par rapport  à la situation de crise de notre zone ? Qu’est-ce que dogons et peulhs ont obtenu ? La paix ? La tranquillité ? Le développement ? Qu’est-ce que les deux communautés ont perdu ? N’est-il pas temps de réévaluer sainement et calmement la situation ? Les réponses objectives à ces questionnements permettront  à tout le monde et spécifiquement aux militants et sympathisants  de Dan na Ambassagou de se positionner  correctement pour l’avenir.

Si nous avions notre mot à dire sur cet aspect, nous aurions suggéré  aux militants de Dan Na Ambassagou d’exiger de l’Etat qu’il s’assume pleinement et qu’il assume correctement sa mission et que eux, militants de Dan Na Ambassagou, qu’ils renoncent à une mission qui n’est pas la leur, pour laquelle ils ne sont pas préparés et qui  peut servir de couverture à diverses forces négatives  pour agir illégalement en leur nom et à leur insu.  Comme cela, ils couperaient définitivement  l’herbe sous les pieds de toutes sortes de bandits et les « mauvaises personnes ne pourront plus les infiltrer ». Et ils aideraient l’Etat  à se sortir du bourbier dans lequel il  s’est  retrouvé, par sa propre faute, enfoncé.

La dernière doléance de M Toloba serait selon toujours ‘Le pays’ : « Ce que nous demandons à la population, c’est d’avoir confiance en l’armée malienne et aux chasseurs ». C’est peut être possible et  facile  à faire pour les dogons de la zone.  Quant aux peulhs, ils n’ont aucune raison  d’avoir « confiance en l’armée malienne et aux chasseurs ».  Le syndrome de Stockholm n’est pas une maladie peulhe.  Les peulhs comme tous les autres peuples jugent et se positionnent sur la base du vécu et des actes concrètement posés.  Pourquoi est-ce que les peulhs de la région de Mopti devraient avoir confiance et soutenir l’armée malienne ? Par ce que c’est l’armée malienne ? Est-ce que c’est suffisant ? Au vu de la situation sur le terrain, ce n’est certainement pas le cas. La confiance et le soutien ne se décrètent pas. Ils  se méritent. L’armée malienne et les chasseurs de Dan na Ambassagou les ont-ils mérités ?  Jugez-en vous-même.

Du début du conflit au centre, jusqu’à ce jour, les actes posés par l’armée malienne et Dan Na Ambassagou n’ont contribué qu’à les éloigner davantage de la communauté peule de la zone.

Tout d’abord au démarrage du conflit en 2015, les peulhs sont les seuls à ne pas avoir eu le droit de choisir leur camp. L’Etat, à travers  ses services de propagande alimentés par la SE leur a attribué d’office le camp ennemi d’Amadou Kouffa, créant et développant autour d’eux l’amalgame, la suspicion, la haine et par finir la violence et la guerre.  Pourquoi ? Maintenant on le sait, c’était pour préparer le terrain  et justifier l’avènement des différentes  milices  ethniques « dozos ». On connaît aujourd’hui  la suite et les conséquences de cette posture.  Ce sont des abominables crimes et la déstructuration de la communauté  peulhe du Centre du Mali Les peulhs doivent-ils oublier et pardonner  au régime d’IBK-SBM ce traitement injuste et illégal, ainsi que les souffrances indicibles endurées,  sans débats, sans demandes de comptes, comme si de rien n’était ?

Ensuite, les Forces de Défense et de Sécurité maliennes , toutes branches confondues, c’est de notoriété publique,  se sont  largement servies de cette situation d’amalgames et de suspicions pour, tout ce temps, multiplier des  extorsions, des exactions, des humiliations et de cruelles tortures contre de paisibles citoyens maliens, accusés sans preuves, donc à tort, d’être des terroristes, uniquement parce qu’ils sont peulhs.  Est-il nécessaire de rappeler les nombreuses « bavures » des FAMA contre les mêmes populations civiles peulhes, dans plus de 07 endroits différents en l’espace de 02 ans ? Tous ces faits sont réels et documentés. Quelles sont les suites qui ont été données aux  crimes et actions illégales signalées  par les victimes, les organisations de la société civiles, les Nations Unies  travers les enquêtes de la MINUSMA sur le terrain? Est-ce, honnêtement, là,  des faits qui militent en faveur de la confiance et de la coopération  des populations peulhes avec  les forces de défense et de sécurité maliennes ?

Et puis, en ce qui concerne l’armée, disons-nous clairement la vérité. Si une armée nationale est réduite à quémander la  confiance et la coopération de sa population, c’est qu’en réalité, nonobstant le discours officiel de circonstance, elle  n’est vraiment  ni nationale, ni républicaine, ni professionnelle. Ceci dit, il faut souligner que c’est  à l’armée et surtout à ses éléments  de faire des efforts pour être plus justes,  plus respectueux de toutes les populations, d’avoir plus d’empathie pour tout  le monde et de se départir de la cupidité maladive des maliens qui n’épargne pas ses éléments et  qui expose à tous les vices malgré le port de la tenue. La population peulhe ne demande qu’à se reconnaître dans l’armée malienne et à la soutenir , mais les pratiques actuelles  de celle-ci ne le lui permettent pas. Ce n’est pas sa faute, à elle seule.

La milice Dan Na Ambassagou sait plus que quiconque tout ce qu’elle a fait pour éloigner d’elle et du « Pays Dogon » les membres de la communauté peulhe.  Ce que elle a été capable de faire comme cruauté à l’endroit de la communauté peulhe est indicible et est sans précédent dans les annales de l’histoire de la zone. Si, elle est  vraiment  sincère  et est animée de bonne foi, c’est à elle de poser des actes  encore sans précédents pour ramener vers elle ceux qu’elle a chassé et a impitoyablement voulu faire disparaitre. Comme tous les humains, les peulhs jugent sur pièce. Il n’y a pas de raisons pour qu’ils fassent autrement.

Posons-nous la question de savoir, est-ce par hasard, si les peulhs de la zone, en milieu rural et urbain, à  la simple vue des soldats de l’armée régulière ou des miliciens ‘dozos’, fuient et se cachent ? C’est ce que leur commande leur instinct de survie qui voit en ceux-ci, non sans raisons,  des dangers pour leur vie. Ce sont les expériences douloureuses vécues qui conditionnent ce comportement.  Pour que cela change, il faut que le comportement des FDS  à leur égard change fondamentalement et  réellement. Il est nécessaire que l’Etat lui- même embouche un autre discours et aie un autre comportement vis à vis des peulhs.   Si non, dans les conditions actuelles, la demande  de Y.  Toloba pour que les peulhes aient confiance aux FAMA et aux miliciens de Dan Na Ambassagou, n’a aucune chance d’être entendue et suivie.

Mais, en tout état de cause,  pour notre part, il importe de remarquer,  que par cet appel  à la paix,  qu’il soit  sincère ou pas,  une brèche est  peut-être ouverte. Pour la toute première fois  à notre connaissance, un dirigeant de Dan na Ambassagou reconnait  explicitement que les peulhs aussi font partie de ce qu’ils appellent « Pays Dogon » et qu’il faut compter avec eux. Aussi, nous pensons que si, la communauté peulhe  sait s’y prendre et qu’elle s’organise bien, elle pourrait prendre Dan Na Ambassagou et ses dirigeants au mot et contribuer à pacifier la zone avant d’aller  à la véritable paix.  En tenant compte de tout ce qui précède,  elle pourrait demander à Dan Na Ambassagou de mieux expliciter sa position et ses conditions.  Elle pourrait  également, proposer ses conditions   à elle,  pour tourner cette sombre et sanglante  page de notre histoire commune, tout en refusant qu’elle soit  effacée ou déchirée par la consécration de l’impunité.  Ainsi, elle peut signifier à  Dan na Ambassagou qu’elle n’est pas opposée au principe de la paix et de la coopération de tous les habitants de la zone, maïs qu’elle avait des préalables et des  attentes   qu’il est nécessaire de satisfaire.

En conclusion, nous pensons qu’il est important  pour toutes les parties, d’avoir en mémoire que c’est notre terroir, notre zone de vie, nous dogons et peulhs qui est détruit ; ce sont nos enfants  et nos parents qui meurent injustement et  tous les jours sans savoir pourquoi. C’est nous qui perdons sur tous les plans, pas obligatoirement les autres. N’attendons pas de ceux qui nous  ont amenés  à nous entretuer, qu’ils nous poussent allègrement à faire la paix. Nous devons prendre  nous-mêmes notre destin et le destin de notre terroir en main. Si nous nous engageons  sincèrement sur ce chemin,  même avec les obstacles prévisibles, nous ne manquerons  pas de réussir.

 

Bamako le 25 janvier 2020

Dr Bouréima Gnalibouly DICKO,

Directeur de Recherche,

Professeur d’Université en retraite   à Bamako