Plusieurs pays du Sahel et la France encouragent Alger à envoyer des casques bleus chez son voisin du sud dans le cadre de la Minusma. Les autorités y réfléchissement sérieusement même si aucune décision n’est arrêtée

Le ministre algérien des Affaires étrangères, Sabri Boukadoum, a ouvert lundi à Alger en présence de son homologue malien, Zeyni Moulaye, les travaux de la 16e session du comité bilatéral stratégique entre les deux pays. Les délégations ont abordé les mesures susceptibles d’accélérer la mise en œuvre de l’accord de paix et de réconciliation du Mali, issu d’une médiation algérienne, et de favoriser la coopération économique.
Pour la première fois de son histoire, l’Algérie pourrait envoyer des unités combattantes au nord du Mali, sous bannière onusienne. Aucune décision finale n’est encore arrêtée à Alger. Mais les autorités y réfléchissement sérieusement. Les soldats de l’Armée nationale populaire (ANP) pourraient intégrer la Mission des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma). L’information a été confirmée à l’Opinion par un haut cadre du pays. Plusieurs pays de la région et la France encouragent Alger à franchir le pas. Et théoriquement, plus rien n’empêche le président Abdelmadjid Tebboune de lancer une opération extérieure depuis l’adoption de la nouvelle constitution.
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A Alger, la doctrine militaire de la fin des années 1970 a évolué en raison de la défaillance des Etats en Libye et au Mali. Les dernières interventions extérieures de l’ANP ont eu lieu, au côté de l’armée égyptienne, lors des guerres de 1967 et de 1973 contre les forces israéliennes. Depuis, l’ANP s’est contenté de réaliser des opérations humanitaires et de fournir quelques officiers à l’Onu pour participer à des opérations d’observation de cessez-le-feu et de logistique en Angola, au Cambodge, en Haïti, en Ethiopie/Erythrée, au Burundi, en RD Congo et dorénavant au Mali.
L’Algérie a donc déjà un pied au sein de la Minusma. L’envoi d’un contingent de soldats de l’ANP ne pourra se faire que dans le cadre du maintien de la paix et après approbation du parlement. Dans la pratique, l’Algérie, comme d’autres puissances étrangères, réalisent déjà des opérations clandestines.
Confiance. Mais la voie privilégiée pour régler les crises est celle du politique. Le chef de la diplomatie, Sabri Boukadoum, a présidé, le 11 février à Kidal au Mali, le comité de suivi de l’accord de paix intermalien d’Alger (CSA). L’Onu a salué une réunion qui a permis de restaurer la confiance entre les parties signataires du texte. Jean-Yves Le Drian, le patron du Quai d’Orsay, n’a pas manqué de féliciter son homologue algérien, croisé à Niamey à l’occasion de l’investiture du nouveau président du Niger, Mohamed Bazoum.
Ce dernier pourrait s’impliquer politiquement au côté d’Alger pour aider à la résolution de la crise au nord du Mali. Il appartient à la tribu arabe des Ouled Slimane et compte dans son premier cercle de nombreux Touaregs. Fin connaisseur du Sahel, Mohamed Bazoum jouit d’un important réseau régional. Il a invité à son investiture une délégation de chefs du Nord Mali qu’il a ensuite reçus en audience. Il leur a confié que sa priorité numéro 1 était la résolution du conflit intermalien.
« On compte sur l’Algérie pour désenclaver les régions désertiques, ce qui permettra de promouvoir une alternative à l’enrôlement des jeunes dans les groupes armés »
« La situation du Mali a un impact direct sur la sécurité intérieure de notre pays, a-t-il justifié lors de son investiture, devant le président de la transition malienne, Bah N’Daw. C’est pourquoi notre agenda diplomatique sera centré sur le Mali. » Le président du Niger prévoit de recevoir rapidement à Niamey le vice-président de la transition malienne en charge des questions de défense et de sécurité, Assimi Goïta. Il appelle les autorités à davantage s’approprier le processus de pacification pour retrouver la souveraineté sur la région septentrionale. Le Mali devrait aussi être au cœur de ses entretiens lors de ses prochains déplacements à Alger et à N’Djamena.
« Pays facilitateurs ». « Il va falloir du temps pour régler la question malienne, confie un ex-ministre du Niger. Les Touaregs sont intégrés au Niger et vivent en osmose avec d’autres communautés. Au Mali, ils sont concentrés au nord et ont moins de contacts avec les populations du sud comme les Bambaras qui nourrissent de la méfiance à leur égard. On compte sur l’Algérie pour désenclaver les régions désertiques, ce qui permettra de promouvoir une alternative à l’enrôlement des jeunes dans les groupes armés. »
Un axe Alger-Niamey pourrait donc se dégager pour la résolution politique de ce conflit. En attendant, les 1 200 soldats tchadiens mis à la disposition de la force du G5 par le président Idriss Déby sont chargés de nettoyer la zone des trois frontières (Mali, Burkina, Niger) de ses terroristes.
« Tant que le gouvernement malien ne s’impliquera pas davantage politiquement, les pays facilitateurs de la paix ne pourront rien faire, explique un cadre touareg du nord du Mali. Il faut mettre en œuvre la régionalisation en impliquant fortement les populations de l’Azawad. Si Bamako ne fait rien, cela entraînera la résurgence du conflit ou le séparatisme. »
Alors ministre des Affaires étrangères de l’Algérie, Ramtane Lamamra avait prévenu les représentants de l’Etat malien, peu enclin à faire des concessions, dans le huis clos de la négociation de l’accord d’Alger, en 2015 : « Ce qui a mené à l’indépendance du Soudan du Sud, c’est la mauvaise foi des autorités de Khartoum. »

Source : L’Opinion