Dans un accès de colère rentrée, Macron a annoncé la couleur du futur de Barkhane au Sahel, en marge du Sommet de l’OTAN. Mais il faut croire que même lorsque le président français veut bien faire, il le fait mal. Convoquer les cinq chefs d’Etat du G5 Sahel à Pau sous la forme d’un ultimatum, est au mieux de la maladresse, au pire du mépris culturel doublé de condescendance politique. C’est tout ce que les Africains, jeunes ou vieux, ne supportent plus parce que ça pue la FrançAfrique dont Macron lui-même avait instruit le procès à la fameuse conférence à l’université de Ouagadougou. Mais à la première difficulté, le jeune président retrouve le ton comminatoire à la Jacques Foccart, allergique à la critique qui, même injuste, fait partie du débat public surtout entre de supposés “amis”.

Macron peut se rassurer : à Pau, ses interlocuteurs lui donneront tous les mandats qu’il veut, à genoux ou à plat ventre selon son désir ! Après cela, aurait-on fait un pas de plus dans la dissipation des malentendus qui se nourrissent du mensonge, de la mauvaise foi côté français et du complotisme le plus délirant côté Africains. Une nouvelle vision de la relation France-Afrique devrait avoir à cœur de convaincre des populations qui s’interrogent et accusent même “un allié venu à leur secours”!

En lieu et place, on convoque leurs chefs d’Etat pour les soumettre à une génuflexion qui va davantage les déconsidérer aux yeux des opinions publiques et ôter toute force politique au mandat qu’ils auront donné à la France et à la Force Barkhane. Les bénéficiaires de l’engagement militaire français n’ont pas toujours été hostiles à Barkhane, au contraire ils ont célébré le Pays de Marianne avec drapelets et tambours au passage de François Hollande dont des enfants Maliens portent le nom en symbole de reconnaissance.  Six ans après et des résultats en demi-teinte de l’opération, les partenaires ne se regardent plus avec les yeux de Chimène. Les troupes étrangères, notamment les forces françaises, ne méritent pas sans doute pas le procès en sorcellerie qui leur est fait dans certains milieux tout comme il est insupportable de ne voir dans  les opinions sahéliennes que la manifestation de l’ingratitude. En revanche, les politiques des deux côtés ont beaucoup de choses à se reprocher!
Emmanuel Macron aurait sonné le glas de la FrançAfrique s’il avait eu le courage de pointer la responsabilité de la France sous Nicolas Sarkozy dans le désordre au Sahel après la guerre stupide en Libye qui a dramatiquement fait basculer une région déjà bien fragile. C’est le même Sarkozy, aidé de son suppllétif Blaise Compaoré, qui a couvé l’alliance entre le MNLA-Ansare Dîne de Iyad et le MUJAO dans leur conquête des régions du Nord. Les Maliens se souviennent encore que c’est sur les antennes de France 24, la vitrine de l’audiovisuel extérieur français, que “l’indépendance de l’Azawad a été proclamée” le 25 mai 2012 sans effaroucher aucun officiel de l’Hexagone. Lorsque le MNLA et ses alliés djihadistes se brouillent sur la gestion politique des régions contrôlées, le premier se fait militairement exploser par les seconds, ce sont à nouveau les forces spéciales françaises, à partir du Burkina Faso, qui sont venues exfiltrer Bilal Ag Chérir le chef du MNLA.
Le président Macron aurait pu aussi s’interroger sur le choix de la France de Hollande de sanctuariser Kidal aux premières heures de l’opération Serval dans une démarche jamais expliquée aux Maliens.

Emmanuel Macron, en personne, n’a pas résisté à la tentation de féliciter le candidat IBK pour sa réélection avant que la Cour constitutionnelle du Mali ait proclamé les résultats définitifs, témoignant ainsi d’un immense respect pour notre démocratie et nos institutions. Ça se passait comme ça en Françafrique: Paris s’empresse de valider l’élection de son candidat pour couper court à toute contestation. De cela, les Maliens et les Africains n’en veulent plus!
On peut aligner d’autres actes ou déclarations incompréhensibles, comme cette insupportable pression sur le Mali pour l’application de l’accord d’Alger  au moment où le Centre brûlait, troublant ainsi dans l’esprit des Maliens, le sens des priorités de la communauté internationale dans notre pays! Il n’est pas jusqu’à la dernière outrecuidance du Chef du Bureau de la MINUSMA (de nationalité française) à Kidal souhaitant la bienvenue  aux chers invités et membres des délégations venues du Mali” au Congrès des séparatistes du MNLA pour jeter un voile de suspicion sur les intentions réelles de la France sur le maintien de l’unité du Mali. Tous ces éléments, qui alimentent la frustration et la colère chez nous, ne sont pas de la fiction, pardi !

Pour faire juste mesure, la France paie aussi le prix de l’impopularité abyssale de certains de ses alliés à la tête des Etats du Sahel. Au Mali, principale cible du courroux macronien, le pouvoir a vu en Barkhane et les troupes étrangères en général, un bouclier protecteur pour gouverner un pays en crise comme dans un contexte de normalité, sans le moindre souci des urgences. Résultat des courses : la situation sécuritaire s’est dramatiquement dégradée, les divisions politiques se sont cristallisées et les conditions de vie des populations en constante détérioration. Cette ambiance délétère crée une “GiletJaunisation” des esprits propice à l’amalgame de griefs légitimes et de fantasmes. Mais la réponse ne sera jamais de faire courber un peu plus l’échine des chefs d’Etat à l’issue d’une rencontre dictée par l’énervement même si on peut comprendre, en partie, les états d’âme du chef de l’Etat français. Son pays joue son rang de puissance au Sahel. Les résultats à ce jour sont mitigés. Emmanuel Macron peine à convaincre les Européens de s’aligner sous la bannière française même si leur engagement pour le Sahel ne fait pas de doute. Dans le même temps, Paris se brouille avec l’OTAN, réservoir potentiel de forces. Sans oublier les petits soucis de politique intérieure.

Au final, tout le monde est mécontent! Les Sahéliens contre la France et la France contre nos dirigeants ou certains d’entre eux. C’est pourtant le moment de calmer ses nerfs, surtout pour le jeune président Macron qui doit voir dans les défis actuels l’occasion de conduire la relation Afrique-France à l’âge adulte, ce qui exclut l’admonestation paternelle. Les Maliens doivent en premier lieu demander des comptes à leurs dirigeants mais la France n’a pas non plus à jouer à la vierge effarouchée. Un peu de quand même…

                                   Sambou Diarra

Source: L’Aube