Placé sous mandat de dépôt à la Maison centrale d’arrêt de Bamako, le Commandant de la Force spéciale antiterroriste Oumar Samaké, n’aura finalement attendu que peu de temps avant d’être libéré sous la pression du syndicat national de la police. Cet évènement qui s’est déroulé le vendredi 03 septembre a aussitôt suscité de fortes réactions, de condamnation et d’indignation. Il est inconcevable que la police républicaine s’en donne à une manifestation de rue pour exiger la libération d’un des leurs alors que l’affaire est encore en justice. Cet épiphénomène n’est en réalité que la manifestation d’un malaise profond relatif à la déliquescence de l’Etat, à son incapacité à assoir l’autorité et la justice. Bref, face à la faillite de l’Etat il n’est pas surprenant que le risque de désordre l’emporte sur le devoir républicain de maintien de l’ordre.  Cela dit, au-delà de l’indignation, il importe de se poser les bonnes questions : Pourquoi les policiers ont-ils réagit de la sorte ? Quel état d’esprit les a poussés dans la rue ?

L’expression d’une somme de colères incontrôlées…

D’après les propos d’un manifestant sur place, « il fallait faire cette démonstration des forces ».  Est-ce la vocation de la police de faire une démonstration de force face à la justice ? S’il est impossible de répondre à cette question par l’affirmatif, il apparait néanmoins évident qu’elle renferme des non-dits. C’est d’ailleurs ce qui ressort des propos du Commissaire Siméon Keita, Secrétaire général du Syndicat national de la police. Pour lui, la réaction des policiers n’est que l’expression d’un sentiment d’abandon. En outre, on se souvient qu’il y a quelques mois de cela, les policiers et les gardes ont failli tomber dans un affrontement général suite à la publication d’une vidéo où l’on voyait des gardes s’en prendre violemment à un policier. Des injures et insultes qui ont suscité l’indignation de nombreux citoyens. Il a fallu improviser une rencontre entre les représentants et syndicats des deux corps pour apaiser les esprits et calmer la situation.  Par ailleurs, La mort du jeune Abdoulaye KEITA, succombé sous les balles d’un policier à Bamako il y a moins de deux mois, avait remis sur table la question des bavures policières au Mali. C’est surtout pendant les manifestations populaires que l’on constate le plus souvent des bavures policières. On se souvient des massacres des 10, 11 et 12 Aout 2020 lors des mouvements de contestation du M5-RFP où une dizaine de citoyens auraient trouvé la mort suite à l’intervention des agents de la FORSAT. Interpellés par les citoyens et par la justice après chaque bavure, les policiers dénoncent ce qu’ils considèrent être une véritable « chasse-à-l ‘homme »  à leur endroit. L’arrestation du Commandant Oumar Samaké n’a été qu’un prétexte et surtout l’occasion pour exprimer un ras-le-bol qui devenait de plus en plus insupportable pour les policiers.

Le risque d’un effet domino demeure probable…

La sécurité judiciaire est ce qui garantit à tous l’exercice plein et entier de nos droits et libertés. L’indépendance de la justice est la condition première de l’Etat de droit et l’un des facteurs indispensables de l’autorité de l’Etat. Pourtant, les conditions dans lesquelles le chef de la FORSAT fut extrait de la Maison d’arrêt central de Bamako le vendredi dernier, prouvent à suffisance que la justice malienne est bien malade de ses insuffisances. La perception que la justice malienne est une justice à géométrie variable et sélective dans ses interpellations, est l’élément psychologique explicatif de l’irruption des policiers dans la rue. Notons que la police, et particulièrement la FORSAT, est une force d’exécution qui reçoit des ordres des pouvoirs supérieurs hiérarchique. A ce titre, la FORSAT n’a pas de pouvoir de décision mais reçoit plutôt des instructions. Ce qui laisse planer le doute sur la sincérité du juge qui aurait dû s’en prendre directement aux autorités politiques de l’époque (notamment le Premier Ministre et le Ministre de la sécurité), plutôt que de placer sous mandat un Commandant de police qui n’a fait que son travail d’exécution des ordres qu’il recevaient au moment des faits. Quoi qu’il en soit, en dehors des motifs qui peuvent être légitimes ou pas, il y a lieu de noter que les évènements du vendredi dernier pourraient avoir un effet domino dans le futur. Il faudra s’attendre à une forte mobilisation de toute autre corporation dans un futur proche pour tordre la main de la justice ou exiger d’elle la libération d’un membre. Ce serait alors la fin de la liberté, la loi du plus fort et l’instrumentalisation la plus dangereuse du pouvoir judiciaire : de la rectification au déluge ? Wait and see…

Ballan D., Politologue et Khalid D., Economiste.

Source: Bamakonews