A l’occasion du 26 mars, nous avons rencontré un des grands acteurs du Mouvement démocratique, le Pr Ali Nouhoum Diallo, connu pour ses prises de positions tranchées. Il en a encore donné la preuve à travers cette interview exclusive, dans laquelle il évoque le sens du 26 mars, ce que cette date peut encore représenter dans ce contexte d’après coup d’Etat, l’organisation des prochaines élections pour lesquelles il émet des réserves sur la faisabilité. Il termine par le foisonnement de candidatures à la présidentielle des jeunes loups aux dents longues.

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Aly Nouhoum Diallo

Le Prétoire : Professeur, que vous rappelle la date du 26 mars ? 
Ali Nouhoum Diallo : Le 26 mars est un jour à la fois de gloire et de douleur.  Gloire, parce qu’on voyait la fin d’une dictature, la mise hors d’état de nuire des commanditaires des assassinats dans les bagnes de Taoudéni, de Kidal, et les commanditaires des tortionnaires de Nioro, Dioïla, Yélimané, Bouressa, Tessalit et Ménaka où avaient été détenus beaucoup de nos camarades de l’ Us-Rda,  du Parti malien du travail, du premier Rpm (Regroupement des patriotes maliens) que dirigeait Ibrahima Ly, avec Mahamedoune Dicko et Samba Sidibé. Cette date me rappelle également les grands hommes, notamment Sirmathieu Samaké, Cheick Sadibou Cissé, Seydou Thiéro, Mani Djenepo, Bakary Traoré et la liste n’est pas exhaustive. Tous les grands hommes qui ont été arrêtés à l’occasion du tract qu’ils avaient lancé contre la farce électorale de 1974. Je suis en train de passer en revue tous ceux-là qui ont connu toutes ces prisons que je viens de nommer. C’était aussi le jour où l’espoir était né qu’il y aura un multipartisme intégral ici et maintenant. Donc, c’était ce jour de gloire.
Comme  jour de douleur, nous savions que ce jour est le produit réellement des efforts de ces hommes qui ont souffert. Je suis en train de penser au 26 mars, au petit matin, une balle dans la tête du fils du Professeur Bocar Sall qui, apprenant que Moussa Traoré est arrêté, saute sur ma moto en criant victoire. En ce moment, les résidus des forces de répression qui étaient encore dans la rue lui ont envoyé une balle dans la tête. Donc jour de gloire et jour de douleur.
Le 26 mars est pour moi l’ardeur d’une jeunesse, l’ardeur des moins jeunes, l’ardeur des plus âgées à finir avec une dictature au prix de leur vie.

De 26 mars à nos jours, quelle lecture faites-vous du bilan démocratique du Mali ? Pensez-vous que les forces démocratiques ont perdu leur foi ?
Je vois que si aujourd’hui nous avons pu commémorer le 26 mars en présence du président de la République et de tout son gouvernement, alors que l’année dernière, il n’y avait que les acteurs du 26 mars  qui se sont retrouvés au Monument des martyres pour déposer, eux seuls,  des fleurs, ça signifie que les forces démocratiques, qui ont contribué à l’avènement du pluralisme politique, sont encore vivantes et ont réussi à imposer qu’on n’oublie jamais ni le 17 mars, ni le 22 mars, ni le 26 mars. Parce que ma lecture est qu’en ayant réussi leur coup d’Etat le 21 mars et en ayant attendu le 22 pour qu’on parle du coup d’Etat du 22 mars, je soupçonne une volonté de vouloir effacer le vendredi noir. L’année dernière, le 22 mars, alors que les tirs étaient entendus dans toute la ville, alors que les policiers étaient en train de retirer aux honnêtes gens leurs voitures, nous étions quelques uns à nous être regroupés à Gabriel Touré pour faire notre marche funèbre. Il ne fallait pas qu’on puisse effacer le 22 mars, vendredi noir. Les forces démocratiques n’ont pas perdu leur foi. Car le Fdr, l’Apds, la coalition que dirige Me Moutaga Tall, ont imposé le retour à l’ordre constitutionnel en condamnant le coup d’Etat qui est un crime imprescriptible et malgré les agitations de quelques acteurs du 26 mars aussi, notamment le Mp22, la Copam, la Cstm.
Aussi, malgré  leur désir d’une transition dirigée par les criminels, les forces républicaines se sont battues pour le retour d’une vie constitutionnelle normale. Tout cela signifie que ces forces sont encore fortes et déterminées à préserver les acquis démocratiques du Mali. Ces forces aussi se sont mobilisées dès qu’il y a eu des hommes et des femmes qui ont cru qu’on pouvait terroriser les acteurs du 26 mars, en allant enlever nuitamment des journalistes. Et vous connaissez la suite. Et face à cette situation, les acteurs du 26 mars ont dit non. Et nous sommes étonnés que parmi les acteurs du 26 mars, il y ait des hommes et des femmes pour soutenir les commanditaires de ces enlèvements. Quand on dit que notre démocratie est de façade, finalement je n’y crois pas. Je crois qu’il y a des démocrates, des républicains qui n’admettront jamais le retour au passé. Malgré la présence de Yèrèwoloton et toutes sortes de loubards pour insulter jour et nuit, et qui sont payés par le Cnrdre, l’Assemblée nationale a tenu. Je crois que des forces sont nées le 26 mars, qui n’admettront plus de mourir et qui transmettront le flambeau.
Néanmoins, je suis loin de penser que tout est parfait. Le président Alpha Oumar Konaré a dit un jour aux acteurs du 26 mars, que si jamais un militaire me remplaçait et plus précisément, si le général Amadou Toumani Touré me succédait, ce serait un échec de la démocratie, un échec personnel. Donc je crois que les démocrates et les républicains doivent s’interroger sur la façon dont ils ont contribué ou n’ont pas contribué à cet échec prophétisé par Alpha Oumar Konaré. Comment les forces démocratiques ont accepté de préparer l’avènement de ATT bien qu’il soit le héros du 26 mars.  Att, pour moi, devrait rester héros du 26 mars. Il ne devait plus jamais revenir dans l’arène politique. Là aussi, c’est un échec qui signifie que notre démocratie mérite encore réflexion.

Matériellement, est-il possible d’organiser l’élection présidentielle selon le calendrier prévu par le gouvernement ? 
Je suis septique sur la faisabilité de ces élections d’ici le 31 juillet. Si le gouvernement, comme il l’a promis, réussit à faire ces élections dans les délais qu’il a fixés et que les résultats sont acceptés par l’assemble de la classe politique, et bien bravo ! Mais, je pense au nord qui n’est pas libéré définitivement, encore moins sécurisé ; les déplacés étant là ou ils sont aujourd’hui ; la sécurité n’étant pas très bien assurée au sud ; je ne sais pas si le financement de ces élections est encore un acquis ; le fichier électoral n’étant pas encore mis à la connaissance de la classe politique qui doit discuter et accepter les listes électorales qui doivent en découler. Autant d’éléments qu’exigent aujourd’hui des élections dignes de ce nom au Mali. Je suis septique que nous puissions faire ces élections. Sauf à vouloir les bâcler pour avoir coûte que coûte un Président et puis après attendre, comme en Guinée, deux ans avant d’élire une Assemblée nationale. Sincèrement, je ne pense pas qu’on puisse tenir ces élections. Je l’ai dit et je le répète. Des élections bâclées nous conduiraient encore à une crise plus grave que celle que nous avons connue. Je me réfère sur le cas de l’Afghanistan, de l’Irak, de la Palestine où l’opinion internationale a exigé des élections qui ont abouti à la partition du pays. Autant de choses qui font que les Maliens doivent redouter des élections bâclées.  Je conseille d’attendre mars 2014.

Quelle analyse faites-vous de la candidature des jeunes qui se lancent actuellement dans l’arène politique ? Pensez-vous qu’il serait temps que les jeunes prennent la relève afin qu’il puisse y avoir un changement ?
La jeunesse, pour moi, est capable du meilleur comme du pire. N’oublions jamais que la jeunesse a toujours été à l’assaut des dictatures. Mais ils doivent se poser la question de savoir s’ils ont un projet, une ambition pour le Mali. Est-ce que les projets que présentent les autres partis politiques, toutes sensibilités confondues, ils ne peuvent pas se retrouver dedans? Donc pour moi, c’est  une très mauvaise approche et qui me fait beaucoup peur. A un jeune qui était venu me voir pour me faire part de sa volonté de se porter candidat, j’avais dit de faire attention car ce qui risque de lui arriver, c’est ce qui est arrivé à Me Mountaga Tall, au Dr Choguel Kokala Maïga et ce qui surement va arriver à Moussa Mara, à Housseyni  Amion Guindo qui vont se présenter très jeunes. Un premier échec, si jamais il est suivi d’un deuxième et d’un troisième, fera dire aux électeurs «Ah lui encore» et il paraitra déjà comme un cheval de retour, alors qu’il est encore très jeune. Il faudra alors réfléchir à la structure de la société malienne.
Vous croyez que la société malienne va aller comme ça à l’aventure avec un jeune qui n’a pas de racines dans ce pays-là ? Nous avons soutenu la candidature d’Alpha Oumar Konaré, il avait 46 ans et nous n’avons jamais pensé lui discuter la place. Il faut que les partis politiques, eux-mêmes, forment leur jeunesse. Les jeunes aussi doivent savoir que quand ils sont militants et que c’est le Mali qui les préoccupe, et non nos personnes, je suis sûr que les adultes vont leur dire qu’il n’ ya aucune raison qu’ils ne soient pas candidats et nous autres, les anciens, nous l’aiderons. Si les jeunes se précipitent pour être candidats, ils courent deux risques. Premièrement, ils ne sont élus ni une première fois, ni une seconde fois et dès qu’ils vont se représenter, les gens vont dire, eux-encore ! Donc, les jeunes doivent beaucoup réfléchir et ils posent mal le problème.
Propos recueillis par
Ibrahim M.GUEYE