(Agence Ecofin) – Le dialogue avec les groupes terroristes est-il devenu un « mal nécessaire » au point que le Mali, malgré l’opposition catégorique de son principal allié dans la lutte contre le terrorisme, la France, se lance dans ce processus, que le directeur de Timbuktu Institute (Niamey-Dakar) considère comme « lourd de risques et plein d’incertitudes, bien qu’il faille, tôt ou tard, trouver une alternative au tout-militaire qui bute encore sur bien des difficultés ».

Le gouvernement malien a récemment assumé l’ouverture d’un processus de dialogue avec deux chefs terroristes que sont Iyad Ag Aly du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et Amadoun Khouffa de la Katiba Macina. Ce dialogue s’ouvre dans un contexte difficile où les attaques se multiplient dans la zone des trois frontières du Liptako-Gourma mais aussi au Niger qui a, récemment, subi d’énormes pertes dans la garnison d’Inatés et à Chinégodar.

Dans un entretien avec Niamey et Les 2 jours, Bakary Sambe (photo), directeur de Timbuktu Institute, basé à Dakar et à Niamey, revient sur les difficultés des processus de dialogue avec des groupes terroristes dont l’issue est souvent « incertaine », selon lui.

Pour ce spécialiste des réseaux transnationaux dans le Sahel, citant l’expérience nigérienne en matière de solutions alternatives au tout-répressif, « les tentatives de réintégration d’anciens combattants de Boko Haram au Niger ont, certes, donné le ton sur la nécessité assumée d’alternatives au tout-répressif à travers leur installation au camp de Goudoumaria- région de Diffa – mais que les difficultés et les complexités d’une expérience de DDRR sans accord de paix avaient vite émergé notamment dans la gestion des rapports avec les communautés locales »

« Dans le cas particulier du Mali, le dialogue avec les groupes terroristes nécessitait forcément que l’on soldât, au préalable, les incompréhensions autour des dispositions de la résolution 2058 – qui faisait la différence entre groupes armés et autres terroristes et dans un contexte de mutations profondes de la violence et de l’extension des zones de conflits loin de l’épicentre malien », fait remarquer le coordonnateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique.

Il rappelle, dans le même sillage, qu’ « il y a aussi le problème de l’identification de médiateurs avec une posture de neutralité, mais aussi de légitimité aux yeux des groupes terroristes alors que le leadership politique local est discrédité pour sa gouvernance au moment où les partenaires internationaux sont, aussi, parties prenantes du conflit »

Mais pour Bakary Sambe, « bien que l’accord de Ouagadougou ait pu poser les bases d’un possible dialogue, il excluait, systématiquement, les groupes terroristes et le gouvernement de Bamako n’avait pas saisi, pour ce qui est du Centre du Mali, l’opportunité offerte, en son temps, par la main tendue d’intellectuels et de personnalités originaire de cette région dans le cadre d’un groupe appelé G8 à l’époque »

« Aujourd’hui, le dialogue est envisagé, après plusieurs volte-face des dirigeants maliens, dans un contexte où Iyad Ag Aly se positionne comme un interlocuteur légitime incontournable avec une certaine culture politique alors qu’Amadoun Khouffa n’a pas la même stature et pendant que son camp se fissure avec des dissidences qui risquent de rejoindre l’Etat islamique au Grand Sahara », selon Bakary Sambe.

S’interrogeant sur les issues incertaines d’un tel processus déjà perturbé par les récentes attaques de Koro et contre la gendarmerie de Sokolo dans le cercle de Niono (Région de Ségou) au centre-sud du Mali, le directeur de Timbuktu Institute, avertit que « l’un des principaux risques est qu’à l’issue du processus largement menacé aujourd’hui par plein d’incertitudes, Iyad Ag Aly en sorte renforcé sans souscrire à la paix et qu’Amadoun Khouffa soit délégitimé parce qu’il n’aura pas eu assez de marges de manœuvre pour positionner les revendications communautaires à l’origine de l’insurrection dans le Centre du Mali »

« Cette situation ferait non seulement retourner à un amer statu quo, mais provoquerait une inévitable ruée vers les rangs de l’Etat islamique au Grand Sahara alors que le principal gain escompté en lançant ce processus de dialogue était justement de couper les réseaux djihadistes transnationaux comme Al-Qaïda et l’EIGS de leurs couveuses locales », conclut Dr Bakary Sambe.

Propos recueillis par Babacar Cissé