La junte militaire du Mali a mis fin à la coopération et rompu les accords militaires avec la France et la force Takuba de l’Union européenne, plusieurs mois après que les nations occidentales ont annoncé un retrait coordonné du pays.

Les militaires au pouvoir leur reprochent notamment des “atteintes flagrantes” à la souveraineté nationale.

La France estime que la dénonciation de l’accord militaire par le Mali est “injustifiée”.

Sur quoi portent ces accords de défense militaire ?

Le 1er août 2014, l’opération militaire baptisée Barkhane, lancée par la France avec la collaboration de cinq pays du Sahel (le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad), remplaçait l’opération Serval lancée le 11 janvier 2013 pour stopper la progression des groupes rebelles armés du nord vers la capitale du Mali et soutenir les troupes maliennes. .

Cette opération a démarré avec 3 000 soldats français engagés sur le terrain pour faire du “contre-terrorisme”.

Les accords sont intervenus pour donner un cadre juridique à l’intervention militaire des forces françaises “Barkhane” et européennes “Takuba ” dans le cadre de la lutte contre le terrorisme au Mali.

Le 10 janvier 2013, le président de la transition de l’époque, Dioncounda Traoré, appelait la France à l’aide face à l’avancée des groupes armés du Nord.

“La France est intervenu au Mali à la mi-janvier 2013 à la demande des autorités maliennes sur la base d’une simple lettre. Après il a fallu mettre ça dans un cadre juridique qui permettait au Mali de formaliser cette demande d’appui mais également à la France de protéger et d’encadrer cette intervention. Donc c’est le fond juridique de l’intervention militaire française, et puis européenne”, a déclaré à BBC Afrique Baba Dakono, chercheur à l’Observatoire Citoyen sur la Gouvernance et la Sécurité.

Les troupes françaises sont présentes au Mali depuis 2013, peu après le déclenchement d’une insurrection islamiste dans le nord du pays.

Les accords ont été revus pour intégrer en 2014 la dimension Barkhane, et en 2020 pour prendre en charge la question de Takuba, a précisé l’expert.

Le porte-parole du gouvernement, le colonel Abdoulaye Maiga, a déclaré sur la chaîne de télévision publique ORTM TV que “Le gouvernement de la République du Mali a décidé de dénoncer avec “effet immédiat” l’accord des 7 et 8 mars 2013 déterminant le statut du détachement français qui s’applique aux forces Barkhane et le protocole additionnel des 6 au 10 mars 2020 déterminant le statut du détachement non français de la force Takuba conformément à la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités dont les articles prévoient les modalités de dénonciation d’un accord lorsqu’elles ne sont pas expressément déterminées dans l’accord”.

En revanche, il reste difficile d’obtenir des informations détaillants tous les points de ce traité.

La Direction de l’information et des relations publiques des armées (Dirpa) du Mali n’a pas souhaité s’exprimer sur la question.

Pourquoi rompre ces accords après près de 10 ans de collaboration ?

Les relations entre les deux pays ont commencé à se détériorer après la prise du pouvoir par les militaires en 2020. La France a retiré des milliers de soldats qui faisaient partie d’une opération anti-djihadiste de dix ans.

Pour de nombreux observateurs, cette décision des autorités maliennes était attendue.

 

Selon Baba Dakono, “c’est une sorte d’épilogue des tensions qui avaient commencées avec les Maliens qui reprochaient à la France le fait d’voir unilatéralement suspendu les opérations militaires conjointes en juin 2021.

Lors de son adresse télévisée, le colonel Abdoulaye Maïga a notifié que les relations entre Bamako et Paris se sont considérablement détériorées en raison d’un certain nombre de “violations” commises par la France.

Il a cité en exemple la décision “unilatérale” de la France de retirer ses forces Barkhane en février et a réitéré les accusations selon lesquelles les forces françaises ont violé à plusieurs reprises l’espace aérien du Mali.

La ministre française Mme Parly a prévenu à l’époque que “nous ne pourrons pas cohabiter avec des mercenaires”, faisant référence à la société militaire privée russe, Wagner.

 

Elle a ensuite accusé le Premier ministre malien d'”hypocrisie, de mauvaise foi et d’indécence” après avoir déclaré que son administration n’avait pas été consultée sur le retrait de la mission française, l’opération Barkhane.

Le colonel Maïga a également accusé la France de “manœuvres dilatoires” en réponse à la demande de réviser certaines clauses de l’accord de défense que le Mali lui a envoyés en décembre dernier.

“Et finalement le Mali a opté pour la dénonciation des accords, jugeant de mauvaise foi cette réponse de Paris en février 2022 relative à la mise en place comité d’expert pour discuter de la révision des clauses de cet accord”, a précisé M. Dakono.

Le porte-parole du gouvernement a annoncé cette décision “Au regard de ces manquements graves et des atteintes flagrantes à la souveraineté du Mali, le gouvernement de la République du Mali a décidé de résilier le traité de coopération en matière de défense du 16 juillet 2014 conformément aux dispositions de l’article 26, alinéa 4”, a-t-il déclaré.

Pour le journaliste Abdoul Karim Ba, c’est une manière de prendre la communauté internationale a témoin de manière officielle qu’elle a l’intention de mettre fin aux accords qui la lient à la France.

“C’est une manière de montrer pour le gouvernement de transition du Mali de montrer aux yeux du monde qu’aujourd’hui il est en phase de rompre les accords qui le lient a la France, des accords qui n’existent plus pour la simple raison que les forces françaises ne sont plus sur le territoire nationale” a-t-il expliqué.

En outre, le colonel Souleymane Dembelé, Directeur de l’information et des relations publiques des armées du Mali, déclarait en février à propos des retraits des forces Barkhane et Takuba, que la présence française n’a rien apporté à la lutte contre le terrorisme.

Quelle est la réaction de la France ?

Paris a réagi mardi à la décision du Mali de mettre fin à son accord de coopération militaire avec la France, la qualifiant d'”injustifiée”, rapporte l’Agence France Presse (AFP).

La France a déclaré qu’elle “considère que cette décision est injustifiée et conteste absolument toute violation du cadre juridique bilatéral”, a déclaré l’AFP citant un porte-parole français.

La France avait déjà retiré des troupes du pays à la suite de deux récents coups d’État.

“La France poursuivra le retrait en bon ordre de sa présence militaire au Mali, conformément aux engagements qu’elle a pris auprès de ses partenaires”, a ajouté le porte-parole français.

Quels sont les effets de cette décision du Mali?

Selon le colonel Maïga, “la dénonciation de ces accords prend effet six mois après la réception de la notification par l’autre partie”.

Conformément à l’article 26 de l’accord, d’après M. Dakono, toutes les parties peuvent à tout moment dénoncer cet accord “qui juridiquement ne peut intervenir que six mois après la dénonciation, c’est-à-dire la rupture du contrat.”

Pour l’heure, cette décision des autorités de la transition malienne “n’a pas trop d’effet” dans la mesure ou barkhane quittait déjà le Mali pour se concentrer sur les autres pays du sahel, le gouvernement malien avait déjà fait un communiqué pour demander le retrait immédiat des forces Barkhane et Takuba.

La question fondamentale qui se pose d’un point de vue juridique est de savoir si un président de la transition peut, dans les conditions que l’on connait, désengager par rapport à cet accord, interroge le chercheur Baba Dakono.

Pour le Mali, quelles sont les alternatives en termes de coopération militaire ?

L’implication croissante de la Russie dans les affaires de sécurité de la nation a déclenché un recul de l’Occident.

Si les autorités militaires ont jusqu’à présent nié la présence de ces mercenaires, affirmant que seuls des formateurs russes se trouvent dans le pays, plusieurs observateurs considèrent que le Mali est dans une logique de diversification de sa coopération militaire “avec d’autres états comme la Russie ou la Chine” comme le souligne Abdoul Karim Ba.

Baba Dakono de son côté, ajoute également que l’alternative pour le Mali, “c’est notamment l’exploration d’autres partenaires dont des pays dans le bloc occidental fortement présents sur le territoire”.

Source: BBC