Après une énième attaque meurtrière dans le centre, la presse africaine exhorte l’État malien à réagir avant qu’une guerre civile ne se déclare.

 

Le Mali pleure une nouvelle fois ses morts. Six mois après l’attaque de Koulogon, et seulement quelques semaines après celle d’Ogossagou – qui ont fait respectivement 39 et 160 morts parmi les civils –, la région de Mopti, dans le centre, a de nouveau été la cible d’attaques meurtrières. Cette fois, c’est dans le village de Sobame Da, dans la commune de Sangha, que le massacre a eu lieu. Bilan : 95 morts et 19 personnes portées disparues. Pour le site d’informations Benbere, « cette fois, les civils tués sont des Dogons, et les habitants de ce village désormais martyr sont majoritairement catholiques ». Côté assaillants, le média affirme que si « les assaillants ne sont pas identifiés, les regards se portent sur les djihadistes ».

Adam Thiam, chroniqueur pour le journal, explique : « au Sahel, Daech est incarné par Abdoul Hakim et Abou Walid el Sahraoui, tous des anciens du courant Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), créé dans le nord du Mali en 2012. Leur but, promouvoir un djihad centré sur des leaders des ethnies locales au lieu des Algériens d’Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb islamique) ». Pour un chercheur spécialisé des mouvements salafistes cité par Benbere, Daech, « ce courant nouveau », « chercherait à forcer l’adhésion des populations peulh après ce qui s’est passé à Ogossagou et face à la montée en puissance de la milice des chasseurs dogon, Dana Ambassagou ».

L’État malien en faute ?

Une situation conflictuelle et aux conséquences meurtrières, qui s’est installée sous « la responsabilité de l’État malien » accuse Le Djely Guinée. Et d’ajouter : « c’est la déliquescence et la démission de l’État malien qui rendent possible cette instrumentalisation. En effet, on l’aura toujours relevé. Le Mali, en tant que qu’État, n’existe plus sur certaines portions du territoire. D’où l’émergence çà et là de groupes d’autodéfense composés de miliciens qui ne sont malheureusement pas guidés que par la protection des leurs ».

Après le massacre d’Ogossagou, le gouvernement avait pourtant décrété la dissolution des milices armées du centre. Une décision restée « sans effets », pour le journal en ligne Abamako, pour qui les « groupes armés continuent » aujourd’hui « de défier l’État dans le centre du pays ». Illustration de cette situation : « Le mouvement d’autodéfense Dan Nan Ambassagou, dans un communiqué en date du 26 mai dernier, a annoncé sa décision de sécuriser les populations par l’organisation de patrouilles pour mettre hors d’état de nuire les bandits qui tenteront de s’attaquer aux paisibles citoyens », explique le site.

Même constat pour le média en ligne Maliactu. « On aurait probablement sauvé la vie des habitants de Sobame Da, si la décision d’interdiction des milices avait été suivie du déploiement rapide de troupes pour quadriller les villages, déplore-t-il. Les forces armées maliennes et les forces internationales auraient dû être mises en commun pour sécuriser les villages dès l’annonce de l’interdiction des milices par le gouvernement malien agissant sous le choc du drame d’Ogossagou. Le Pays Dogon est toujours à la merci des groupes armés abandonnés par tous ceux qui avaient promis d’être à son chevet. » Pour Maliactu, le massacre de Sobame Da est donc « une des conséquences de la léthargie des forces maliennes et étrangères qui peinent à coordonner leurs actions sur le terrain ».

 

Un « sursaut national »

Alors, comment faire cesser pour de bon la spirale de violences dans laquelle s’embourbe la région de Mopti ? Pour le quotidien burkinabè Le Pays, la solution ne vient pas de l’étranger. Car « ni Barkhane ni les forces internationales ne sauraient gérer une telle situation, ce n’est pas le genre de conflits qui se règlent au bazooka. C’est pourquoi ces conflits intercommunautaires constituent un autre gros défi pour Bamako », affirme le média. Une solution malienne est aussi celle que privilégie par l’ONU, qui appelle dans un communiqué relayé par Mikado FM, à un « sursaut national ». Son secrétaire général, Antonio Guterres, exhorte d’ailleurs « le gouvernement et tous les acteurs à engager un dialogue intercommunautaire pour résoudre les tensions et les différends ».

Depuis quelques mois, des pourparlers avaient bien été mis en place avec différentes milices. « Le dialogue avait été entamé au niveau des chefferies traditionnelles de la région de Mopti, qui avaient pris langue avec des acteurs extrémistes », rappelle Maliweb. « Le Premier ministre Abdoulaye Idrissa Maïga avait initié ce type de discussions avec certains djihadistes tant dans le nord qu’au centre du pays à travers ce qu’il avait appelé les “missions de bons offices” dirigées par l’imam Mahmoud Dicko. Mais ces missions ont été ensuite désavouées par le chef de l’État. Ce qui a, du reste, été l’un des éléments de discorde entre Ibrahim Boubakar Keïta et l’ex-président du Haut-Conseil islamique et l’ex-Premier ministre. »

Une mésentente des dirigeants, qui, logiquement, n’a pas pu déboucher sur un réel dialogue. « La paix au Mali nécessite de passer de l’approche étroite actuelle des dialogues entre État et groupes armés à un dialogue national plus large et plus inclusif, estime le chercheur Boubacar Sangaré, cité par Le Journal du Mali. Cela permettrait de jeter les bases d’un accord sur des principes communs pour un nouveau contrat social entre l’État et la société. » Pour le média, le modus operandi du gouvernement ne laisse, par ailleurs, « pas beaucoup de marge aux victimes en quête de justice et réconciliation ».

Le spectre d’une guerre civile

Une situation qui « entrave le processus de paix » et attise une bombe ethnique à retardement, qui pourrait non seulement exploser à tout moment entre les mains des autorités maliennes, mais aussi et surtout mettre à mal la cohésion sociale et l’union sacrée pour faire face à l’ennemi commun que sont les djihadistes, soutient Le Pays. Le média malien Benbere, lui, va plus loin. Il craint l’apparition « d’une guerre civile sur les lignes de fracture religieuse, maintenant que Daech est dans le jeu ».

Hasard du calendrier, une réunion consacrée à la Minusma – la mission de paix des Nations unies au Mali – est prévue au siège de l’institution à New York le 29 juin prochain. « Il est temps que l’ONU réévalue sa présence dans le pays », assure Le Djely Guinée. Ultime occasion aussi pour l’État malien et les instances internationales d’élaborer des solutions adaptées, avant « un autre Rwanda sur le continent » ?

Par Marlène Panara

Le Point