La France va reprendre sa coopération militaire avec le Mali, a annoncé le ministère français des Armées vendredi dans la soirée. Une décision réaliste, estime Lemine Ould Salem, journaliste spécialiste du Sahel. L’interruption de cette coopération militaire, annoncée il y a moins d’un mois par Paris, au lendemain du deuxième coup d’État à Bamako, présentait selon lui des risques de radicalisation islamiste au Mali.

RFI : Que pensez-vous du timing de la reprise de la coopération militaire française au Mali ? Pourquoi cette annonce maintenant ?

Lemine Ould Salem : Il faut d’abord rappeler que l’annonce de la suspension de la coopération avec l’armée malienne, puis celle de la transformation de [l’opération] Barkhane ont été très mal reçues au Sahel, mais aussi à Paris. Il semblerait même que la décision d’arrêter la coopération avec l’armée malienne ait été prise sans consultation avec les militaires qui eux n’ont jamais – paraît-il – été favorables à cette décision.

Donc la reprise de la coopération avec l’armée malienne, annoncée vendredi, signifie selon moi qu’Emmanuel Macron a fini par revenir à la raison, en étant réaliste. Comment maintenir une présence de l’armée française dans un pays avec lequel il n’y a plus de lien ? Cette décision ne peut qu’être bien reçue, aussi bien dans les capitales sahéliennes qu’à l’état-major français.

Cette coopération militaire avait été interrompue depuis la prise du pouvoir par la junte à Bamako…

Oui, justement, la France avait décidé de suspendre sa coopération militaire au lendemain du deuxième putsch. Le premier avait renversé le président élu Ibrahim Boubacar Keïta à Bamako en en août 2020, puis ils [les putschistes] avaient destitué une seconde fois le président désigné pour la transition et son Premier ministre au mois de mai dernier, et cette décision française était intervenue dans ce contexte-là.

Mais cette décision n’a pas été très bien accueillie, aussi bien à Bamako que dans la sous-région – pas seulement dans les pays sahéliens mais également dans les autres pays africains, y compris la Cédéao qui en avait pris acte mais qui l’avait regrettée. C’est-à-dire qu’arrêter de coopérer avec l’armée malienne aujourd’hui sur le terrain revenait à pousser éventuellement une partie de cette armée, tentée par l’ouverture de négociations avec les groupes jihadistes, à faire davantage de concessions, à se montrer beaucoup plus conciliante avec ces groupes jihadistes.

Le scénario extrême pour beaucoup de Maliens et de Sahéliens était que cette décision finisse par créer une rupture définitive entre les Français et les Maliens, rupture qui aurait pu pousser une partie de l’armée malienne, sous la pression d’une partie de l’opinion, à s’allier avec des groupes jihadistes. C’était une catastrophe que beaucoup de personnes craignaient.

Elle s’est interrompue dans les faits combien de temps alors cette coopération ? Ou n’a-t-elle pas eu le temps de s’interrompre ?

Je ne pense pas que les délais lui ont donné le temps de s’interrompre, effectivement. Certainement que certains aspects ont dû être suspendus, notamment la poursuite de la formation des militaires maliens, etc., mais je pense que sur le terrain, la suspension de cette opération a été très limitée. Quand on regarde aussi l’évolution de la situation sur le terrain sur le plan militaire, depuis l’annonce de cette suspension, il y a eu beaucoup d’opérations menées par l’armée française mais aussi d’opérations menées par des groupes jihadistes qui sans doute n’ont pas dû rendre facile une suspension effective de la coopération.

Est-ce que cela veut dire que la reprise de la coopération française intervient car la France a reçu des gages de la part des autorités maliennes, notamment sur l’attitude à tenir vis-à-vis des groupes jihadistes ?

La reprise de la coopération entre les armées des deux pays a sans doute eu lieu suite à des discussions franches et certainement très poussées entre Paris et Bamako, c’est une évidence.

Mais sur quoi la France a-t-elle eu des garanties ? A-t-elle eu des garanties par exemple de la part du colonel Goïta, c’est-à-dire l’actuel chef de l’État, président de la transition au Mali, qu’en cas d’une ouverture des négociations avec les groupes jihadistes, il y aurait des lignes rouges sur lesquelles il ne céderait pas, notamment la laïcité de l’État au Mali et l’inspiration du système législatif ? Ne pas céder notamment sur une revendication jihadiste, et au-delà du courant conservateur islamiste malien, sur l’introduction d’un dispositif inspiré de la charia dans le droit pénal et le droit civil malien, etc. Il n’est pas exclu qu’il y ait eu des négociations sur ces aspects-là.

La reprise de la coopération française au Mali intervient alors que va s’interrompre l’opération française Barkhane dans le Sahel. Qu’est-ce que cela implique pour le Mali ?

Il faut clarifier les choses. L’arrêt définitif de Barkhane ne signifie pas un retrait de l’armée française du Mali ou du Sahel. Il s’agit d’un réajustement du dispositif. C’était prévisible, dans la mesure où l’intervention Barkhane, qui a suivi l’opération Serval à partir 2014, n’a pas abouti au résultat espéré par tout le monde. Le temps de la réflexion et de changer de dispositif était arrivé. Les Maliens, les Sahéliens et les Français étaient tous d’accord là-dessus. Donc il ne s’agit pas d’un retrait de l’armée française, il s’agit d’une modification du dispositif pour mieux l’adapter au contexte actuel.

Oui, Barkhane disparaitra, mais laissera la place à autre dispositif qui s’appuiera essentiellement sur la Task Force européenne « Takouba », qui elle-même sera essentiellement basée sur l’armée française et ses contingents. Cette reprise aujourd’hui de la coopération pourrait aussi être justifiée du côté français par le fait de se dire : « Nous nous lançons dans un nouveau dispositif, et pourquoi ne pas essayer de voir avec nos amis maliens comment nous pouvons travailler ensemble ? » Je pense que le changement de dispositif a pu pousser Macron à écouter les militaires qui eux n’étaient pas du tout d’accord sur la suspension de la coopération militaire avec l’armée malienne.

RFI