Réunis, lundi 13 janvier dernier en sommet à Pau en France, les pays du G5 Sahel ont souhaité la poursuite de l’engagement de Paris pour lutter contre le djihadisme dans la région. Le président français Emmanuel Macron a annoncé l’envoi de 220 soldats supplémentaires sur le terrain.   Ce sommet  censé clarifier  les   positions des pays  du G5 vis-à-vis  de l’intervention  française dans la région n’a pas apaisé les accusations contre Barkhane.

A l’issue  du sommet, la France et les pays du G5 Sahel (Niger, Tchad, Mauritanie, Burkina Faso, Mali),  ont décidé de renforcer leur coopération militaire face à la recrudescence des attaques djihadistes.

Selon une déclaration commune, les présidents du G5 Sahel, réunis à l’initiative d’Emmanuel Macron, ont par ailleurs « exprimé le souhait de la poursuite de l’engagement militaire de la France au Sahel », une réponse à la montée d’un sentiment antifrançais, qui était réclamée par Paris.

Aussi, un nouveau cadre de lutte contre les groupes djihadistes a été adopté. Ce nouveau cadre sera structuré autour de 4 piliers : un premier pilier stratégique et militaire, un deuxième qui concerne la formation des armées sahéliennes, un troisième qui traite du retour de l’État et des administrations et un dernier consacré au développement. Comme annoncé, le premier pilier acte un recentrage des opérations militaires sur la région des trois frontières entre le Mali, le Burkina et le Niger, là où se concentrent les attaques. Notamment celles de la katiba jugée comme étant la plus dangereuse : l’État islamique au grand Sahara.

C’est un commandement conjoint Barkane/G5 Sahel qui dirigera les opérations. Dans ce cadre, les forces spéciales européennes, désormais baptisées « Task force Takouba », seront intégrées à Barkhane. La force française, elle, sera renforcée sur place : 220 soldats supplémentaires viendront s’ajouter aux 4 500 déjà présents dans la région.

La force Barkhane ne se dispersera plus. À présent, son objectif est de devenir une force de réaction rapide au profit des armées locales. Partager à la fois le renseignement et les missions, au sein d’une coalition la plus large possible incluant également la force Takouba.

La doctrine tactique de Barkhane change et le concept de temps long semble, lui aussi, révolu. Paris a fixé un horizon à son engagement au Sahel. En juin prochain à Nouakchott, le G5 se réunira de nouveau et, cette fois, prévient Emmanuel Macron, des progrès tangibles devront être constatés.

Le président français est également revenu sur le sentiment anti-français qui s’est exprimé dans la sous-région. Et il a adressé une mise en garde : «  À chaque fois qu’un État demandera à l’armée française de ne plus être là, nous le quitterons », a déclaré Emmanuel Macron.

« Notre seul intérêt, c’est la lutte contre le terrorisme et la stabilité et la souveraineté des États où nous sommes présents… Donc, les discours que j’ai pu entendre ces dernières semaines sont indignes. Indigne ! Et ils sont combattus avec beaucoup de fermeté par vos dirigeants, je les en remercie, et encore, au moment des vœux. Ils sont indignes, parce qu’ils servent aussi d’autres intérêts. »  a affirmé le président français.

Les populations sceptiques

Après  le sommet  de Pau, les réactions restent  plutôt mitigées. Si certains se félicitent sur les réseaux sociaux de la poursuite de l’engagement français au Sahel, d’autres n’hésitent pas à montrer leur mécontentement dans un climat de défiance croissant vis-à-vis des forces françaises.

Au  Mali les réactions  sont plutôt contrastées. Si certains se félicitent sur les réseaux sociaux de la poursuite de l’engagement français au Sahel, d’autres n’hésitent pas à montrer leur mécontentement. Aussi, l’engagement renouvelé de la collaboration entre les Etats sahéliens et la France qui a annoncé l’envoi de 220 soldats français supplémentaires  est ainsi perçu « comme une mise sous tutelle » par le Groupe des patriotes du Mali (GPM), figure de proue des manifestations réclamant le départ des forces étrangères. « Nous allons redoubler d’efforts pour arriver à nos fins », martèle Mahamadou Coulibaly, l’un des membres du GPM.

Les populations maliennes  suspectent toujours la France de soutenir  les rebelles de Kidal. Ainsi, dans les rues de Bamako, on clame désormais haut et fort cette duplicité de l’Hexagone. : «  Le sort de Kidal a été envoyé aux calendes Grecque  et qu’ils ont empêché les soldats maliens de les suivre »,  déclare  Seydou Sidibé, du GPM. (Groupe des patriotes du Mali.)

Pour Allaye Bocoum du parti Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance (SADI), le sommet de Pau est  une manipulation du président français : « Je pense que les efforts n’étaient pas éparpillés car la plupart des actions de la force Barkhane étaient déjà dans cette zone des trois frontières. Le fait de le réaffirmer et de le dire de cette manière reviendrait à reconnaître qu’ils étaient dans un désordre total, ce que nous avons toujours affirmé. De toute façon, la présence française, depuis le départ, nous savions qu’elle n’était pas utile. Ce n’était pas pour le peuple malien, ni pour le sauver, ni pour sauver le Mali.”

Quant à Ibrahim Maïga, de l’Institut d’études de sécurité (ISS) à Bamako, il déplore le fait que la solution préconisée reste largement militaire : « La stratégie actuelle ne prend pas suffisamment en compte la complexité de la situation. Aujourd’hui, un ennemi a été identifié : l’Etat islamique au Grand Sahara. Mais en réalité, cet ennemi n’est pas un et indivisible, il est pluriel. Par ailleurs, on aurait pu s’attendre à une forme d’appropriation de la lutte contre le terrorisme par les chefs d’Etat sahéliens, mais on voit que c’est la France qui continue de donner le tempo. C’est aussi ça qui nourrit le ressentiment vis-à-vis de l’engagement de la France au Sahel et la contestation contre les chefs d’Etat sahéliens. »

Au Burkina sur les réseaux sociaux, si certains se félicitent de la « poursuite de l’engagement militaire de la France au Sahel », la qualifiant de « sage décision », d’autres se montrent plus sceptiques quant à la création d’une nouvelle coalition antiterroriste, baptisée Coalition pour le Sahel. « On a déjà trois armées nationales dans la zone, la force « Barkhane », l’ONU et le G5 Sahel. On ne sait pas qui commande qui et qui fait quoi. A l’inefficacité on répond par la création de structures encore moins efficaces », fustige ainsi un Burkinabé.

Lundi 13 janvier, une centaine de manifestants avaient défilé à Pô, dans le sud du pays, pour dénoncer « le paternalisme » et « le chantage » de la France. Ce « sommet parallèle » à celui de Pau était organisé par le Comité international mémorial Thomas Sankara [l’ancien président révolutionnaire assassiné en 1987]. « La réponse n’est pas d’envoyer de nouveaux militaires français mourir à notre place et de remplacer nos propres soldats, nous ne devons plus sous-traiter nos responsabilités mais décider et agir en notre nom, encore une fois la voix du peuple a été oubliée », dénonce le militant Serge Bayala, membre du Balai citoyen.

Sur le site Le Faso.net, un lecteur burkinabè fait éclater sa colère : « Que Macron aille s’occuper des Français et qu’il nous laisse en paix avec nos démons à combattre ».

Au Tchad, les réactions sont nombreuses et diverses à la suite du sommet de Pau où les pays du G5 Sahel ont souhaité, lundi 13 janvier, la poursuite de l’engagement de Paris pour lutter contre le terrorisme dans la région. Si la majorité au pouvoir salue cette position, une partie de l’opposition tchadienne reste plutôt sceptique, affirmant que les chefs d’État du G5 Sahel doivent renforcer leurs armées pour garantir seuls leur sécurité.

Si une partie des opposants tchadiens disent avoir entendu de vieilles promesses lors du sommet du G5 Sahel à Pau, le chef de file de l’opposition, Romadoungar Felix Nialbé, salue tout de même la poursuite de l’engagement militaire de la France au Sahel

Au Niger, pour Moussa Tchangari,  qui  préside l’association Alternative espaces citoyensune organisation de la société civile du Niger, le président français souhaiterait que“les chefs d’Etats lui donnent les garanties qu’ils prendront des dispositions pour empêcher les critiques contre la présence des forces militaires françaises. Donc c’est un défi et un recul sur le plan démocratique. De ce point de vue, c’est grave, il a été vraiment très mal inspiré”.

Nouvelle Libération