«Si vous avez des questions, je pourrais en prendre trois pour vous édifier sur ce que je viens de dire», dit, en anglais, monsieur André Strydrom, directeur général de la Semos Sa –Yatéla Sa, en montrant trois doigts. Le traducteur largement en sueur, juché à côté du directeur sur le pick-up qui servait de tremplin ou de tribune, répéta la même chose, cette fois-ci, en bambara. S’ensuivit, tout au plus, 5 interminables secondes de silence de cimetière durant lesquelles, certains travailleurs ont certainement vu leur vie défiler et basculer dans l’incertitude et l’angoisse du chômage.

Monsieur Strydrom venait de lancer une information de destruction massive et comme s’il avait instantanément reconnu qu’il venait d’anéantir la populace venue l’écouter, le directeur déclara la fin de cette assemblée générale de tous les travailleurs, ouvriers et administrateurs compris, qui ne dura pas plus de 10 minutes. Nous étions dans l’après-midi du 26 août.

 

Pour des raisons liées à la sécurité dans la mine qui menaçait de s’effondrer à tout moment, à la baisse du profit et du cours mondial de l’or rendant assez coûteux l’entretien des engins, arguait-il, la société a décidé de suspendre les activités d’excavation minière, c’est-à-dire la tâche effectuée  par 99% des travailleurs, ou liée directement.

 

En sourdine, on comprit deux choses : lors de la campagne présidentielle, beaucoup de candidats avaient émis l’idée de renégocier les contrats miniers ; la Semos a simplement pris les devants pour voir venir, en mettant à la rue entre 500 et 650 travailleurs liés directement à elle ou à des sous-traitants. La deuxième chose, c’est que la Semos pouvait et  allait continuer, au moins les deux années à venir, à se faire des «couilles en or» (c’est le cas de le dire) en traitant les tas de boue que les pauvres ouvriers avaient amassés et déposés un peu  partout.  Le seul traitement  de ces amas pouvait rapporter encore plus gros : à  quoi bon s’encombrer avec tous ces travailleurs ?

 

Les banques au taquet

«Mais, nous allons nous rassurer que tout se passera conformément à la loi. Nous ferons en sorte qu’aucun travailleur ne soit lésé sur ses indemnités de licenciement et surtout sachez qu’en cas de reprise des activités, vous serez prioritaires», rassurait-il, un moment, dans son speech, en raclant du pouce gauche le filet de sueur qui descendait de son front, comme pour atténuer le drame de la perte d’emploi.  Sauf que pour la majorité de ces travailleurs, la suite de ce drame se joue ailleurs et devient même tragique. En effet, endettés jusqu’au cou auprès des différentes banques, la quasi-totalité des futurs licenciés ne verront pas une rondelle des jetons de leurs indemnités de licenciement d’autant plus qu’en accord avec la société qui les emploie, la  totalité des salaires et de toutes les indemnités en cas de licenciement devront être virées sur leurs comptes bancaires. Aux dires de leurs délégués, des ouvriers viennent juste de s’endetter, qui  pour se marier, qui pour terminer sa maison et seulement 2 ou trois  mensualités ont été coupées par les banques, là où il en faudra 24 voire 30 ou 36.

 

Les commerçants, eux,  entrevoient déjà le boulet de la faillite en chute libre sur eux, incapables de l’esquiver.  Et  dans  les villages environnants,  les habitants sont soit nerveux, soit résignés mais tous dans l’angoisse en attendant le retour des délégués syndicaux.

 

IBK, au secours !

Ceux-ci sont, depuis quelques jours, à Bamako, pour tenter de voir clair dans cette situation. Ils ne comprennent surtout pas deux choses.  Premièrement, il leur avait été dit et confirmé en février par l’employeur  que les activités d’excavation prendraient fin en juin 2014. Par conséquent, certains de leurs collègues s’étaient endettés en prenant en compte cette date. Deuxièmement, l’annonce de la suspension des activités prévue pour le 30 septembre a été faite le 25 août et les motifs seraient économiques : le respect du préavis pose alors problème, au moins à une bonne partie des travailleurs.

 

Toutefois, les syndicalistes ne souhaitent pas placer cette situation dans un cadre d’affrontement, de confrontation ou de bras de fer. Le premier souhait est  de pouvoir repousser la suspension au 31 décembre 2013, pour permettre aux travailleurs de voir venir. Car le 25 août dernier, l’annonce a été aussi brutale qu’inattendue. Le second souhait est de pouvoir rencontrer le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, qui s’était déjà battu pour cette mine quand il était à la primature, afin de lui expliquer de vive voix les angoisses de ces innombrables travailleurs. Et il reste moins de 2 semaines !

 

Nana HOUMAMA

Source: Le Reporter