Face aux accusations du Syndicat national des banques, Assurances, Etablissements financiers, Microfinances et Commerces du Mali (Synabef) mais surtout aux documents brandis par Mahamadou Soumaré, le montage de la direction générale de la Banque de développement du Mali (BDM-sa) s’écroule dans l’affaire dite Mme Kane Djénéba Sall. L’Inspection du Travail de Bamako se rétracte et refuse de donner son avis favorable au licenciement d’une cadre qui jouit « d’une ancienneté et d’un parcours professionnel irréprochables ».

 

Dans une lettre de cinq (5) pages adressée au ministre de l’économie et des finances que « L’Investigateur » a pu obtenir une copie, le Syndicat national des banques, Assurances, Etablissements financiers, Microfinances et Commerces du Mali (Synabef) dénonce des mauvaises pratiques du directeur général de la Banque de Développement du Mali (BDM-sa), non moins président de l’Association professionnelle de Banques et établissements financiers (APBEF), Bréhima Amadou Haïdara. L’affaire dite Mme Kane Djénéba Sall est l’objet de cette sortie au vitriol du Synabef contre le patron des patrons des banques.

« Mme Kane a été victime d’une accusation fallacieuse depuis janvier 2020 soit plus d’un an, de détournement de plus de 40 millions dans la caisse du GAB de l’agence qu’elle dirigeait », proteste le Synabef sous la plume de son secrétaire général Hamadoun Ba. « Directrice de l’agence de BDM Missiria, elle a subi suite à une grossesse avancée un accident en plein arrêté GAB. Précipitamment, elle prend soin de tout mettre en ordre alors qu’elle perdait du sang. Elle fut transportée illico-presto à la clinique Pasteur pour sauver son bébé prématurée.C’est dans son lit d’hôpital qu’un agent du contrôle est venu récupérer les clés du GAB en violation des procédures de passation des clés. En absence de la directrice adjointe, et sans la présence d’huissier, la direction du contrôle de la BDM a ouvert le coffre du GAB et mieux défoncé son bureau et ses tiroirs pour ensuite faire un constat d’un manquant de plus de 40 millions dans le GAB et 3 bordereaux de retraits de 3 millions chacun sur le compte d’un client signés par la dame», explique-t-on.

Pas de différence entre solde GAB et écritures des livres de la banque

Dans son argumentaire présenté au locataire de l’Hôtel des Finances, le Synabef botte en touche la disparition d’une telle somme au niveau de l’Agence BDM de Missira. « Il ressort du contrôle du GAB qu’il n’ya pas de différence entre le solde GAB et les écritures dans les livres de la banque conformément au courrier officiel que la Banque elle-même lui a adressé plusieurs jours après », détonne le syndicat qui ajoute que « Mme Kane dans son lit de malade insiste et persiste sur un contrôle minutieux dans les livres ». Le Synabef dévoile les manœuvres du secrétaire général du Comité syndical de la BDMvisant à faire mentir la directrice de l’Agence Missiria. « Le secrétaire général du Comité syndical de la BDM à l’époque Papa Sadio Traoré, va jusqu’à lui suggérer un courrier où elle reconnaitrait avoir laissé les 40 000 000 dans ses tiroirs et qui seraient dérobés par son adjointe. Elle refusa d’aller dans le sens mensonger indiquée par celui-ci. Par peur de perdre son boulot, elle s’engage à payer cet argent dès qu’elle en aura les moyens mais à condition que les investigations continuent et qu’on lui retourne ses fonds après avoir retrouvé les traces dans les livres de la banque», rapporte Hamadoun Ba dans sa correspondance en date du 16 avril 2021.

Mme Kane Djénéba Sall est relevé de son poste de directrice d’Agence et retourne aux Ressources humaines. Privée de la prime d’équipement payée à l’ensemble du personnel en janvier 2021, d’allocation ramadan et de la gratification linéaire du Conseil d’administration, elle reçoit en mars dernier une lettre de licenciement pour un autre motif. « Un an et 04 mois, la BDM n’a pas pipé mot, elle est aux Ressources humaines à tourner le pouce. En mars, une demande de licenciement est envoyée à l’Inspection et contre toute attente, on lui reproche des opérations sur le compte d’un client », s’étonne le Synabef. « La perte des 40 000 000 est oubliée et Pourquoi ? Est ce parce que comme la dame l’avait dit, les contrôles ont finalement retrouvé la trace de cet argent ? L’accusation n’est-elle pas fondée ? Plus d’un an sur un sujet aussi grave ! Quel est ce responsable de banque qui ne l’aurait pas tranchée en toute transparence et libérée l’accusée d’un tel lourd fardeau ? »,s’interroge-t-il.« On va chercher des poux dans une tête rasée », ajoute le syndicat.

Les charges du Synabef contre le dg de la BDM-sa

Le Synabel démonte l’accusation portant sur la demande de licenciement de Mme Kane. « Il se trouve que la dame est mandataire sur le compte. Ce qui lui confère tous les droits sur le dit compte », argue-t-il. Selon la correspondance, « le client lui-même a lavé la dame de tout soupçon par un acte d’huissier déposé à la BDM et à l’Inspection du Travail ». Le Synabef charge Bréhima Amadou Haïdara de faux et usage de faux à travers l’imitation de la signature du client. « Au lieu de se remettre en cause, le DG de la BDM dans le seul but de nuire, va commettre ce qui va dépasser toute imagination : il fournit à l’Inspection du Travail un faux courrier soit disant du client en y imitant sa signature. Peu importe la méthode, pour Bréhima Amadou Haïdara et ses complices, l’essentiel est d’aboutir à leur fin macabre et malsain. Ce faux document sera dénoncé par le client informé qui interdit toute utilisation du courrier en son nom et à l’encontre de qui que ce soit », détaille-t-il. Pour le Synabef, le Dg de la BDM, non moins président de l’APBEF, Bréhima Amadou Haïdara s’est donc adonné à un faux et usage de faux. « Nous n’hésiterons pas à aviser au moment venu », menace-t-il.Cette cabale contre Mme Kane, selon le Synabef, est injuste et injustifiée. « Qu’il y a eu de l’amateurisme et une volonté manifeste de nuire à une dame qui n’a rien fait. De ce fait, le Synabef exige (sans déroulement de tapis rouge), le règlement intégral de Mme Kane Djénéba Sall de l’ensemble des primes coupées injustement », exige le Synabef.

Le mémo de la direction générale de la BDM-sa

Après deux coups de fil sans réponse, le directeur général de la BDM-sa, Bréhima Amadou Haïdara, réagit à un Sms et promet de nous mettre en contact avec les services compétents de l’établissement bancaire qui produisent un mémo sous le titre « que de mensonges grossiers, de calomnie et d’acharnement sans preuve ». Pour la direction générale de la BDM-sa, c’est une fausse affaire. « En réalité, la vraie affaire c’est celle qui concerne les faits de malversation visant Madame Kane Djeneba Sall et remontant à Décembre 2019 donc depuis 17 mois », peut-on lire dans le document. Le mémo explique que le 06 décembre 2019 Kane Djeneba Sall Directrice de l’agence BDM Missira informa ses responsables hiérarchiques de son absence pour cause d’accouchement déclenché de façon prématurée. Et que le 17 décembre, des clients ont alerté sur l’indisponibilité du GAB de Missira. « Aussitôt arrivés sur les lieux les responsables du réseau ont été informés que la Directrice absente depuis le 06 décembre avait emporté avec elle les clefs de son bureau et du GAB. Surpris et désemparés par une situation du moins impensable et inhabituelle, une mission composée du réseau d’agences, du contrôle et de l’inspection s’est rendue le 18 décembre chez la Directrice afin de confirmer l’information et donc de récupérer les clefs d’accès du bureau et du GAB. Mais la vraie et véritable surprise est à venir pour expliquer le pourquoi du comment de cette obsession pour la Directrice de ne jamais céder son trousseau même pour les nécessités de services. Tout compte fait l’équipe composée du réseau, de l’inspection et du contrôle procède le même jour au décompte physique du GAB et relève un montant de 271 000 F CFA. Mais plus tard c’est l’arrêté des comptes du 31 décembre 2019 qui va révéler le pot aux roses, un écart de 44 585 000 F CFA dans la gestion du GAB », se défend la direction générale de la BDM.

La banque explique que Mme Kane s’est engagée à rembourser les montants en question devant la Direction des Affaires Juridiques, selon un mode d’arrangement avant de revenir sur sa version des faits. Elle n’a toujours pas remboursé conformément à son engagement, précise-t-elle. « C’est bien plus tard qu’elle est revenue sur sa version des faits, alléguant que le GAB a été ouvert en son absence et sans le service d’huissier. Or au préalable, il ne s’agissait pas d’une opération conflictuelle mais juste ouvrir la machine pour l’usage de la clientèle donc le recours à un mandat d’huissier n’était pas nécessaire. Par contre elle aurait pu réclamer le mandat d’huissier, dès lors qu’elle se doutait de quelque chose sur sa gestion à elle. Ce qu’elle n’a pas fait ».

Le mémo de la direction générale de la BDM pointe du doigt un « deuxième point noir » dans la gestion de Dame Kane relatif aux opérations suspectes sur le compte d’un client. « Les vérifications ont permis de savoir que pour toutes ces opérations Madame Kane n’avait requis, ni bénéficié d’aucun mandat du titulaire du compte…. Devant cette anomalie constatée, la banque a par précaution décidé de bloquer  le compte en question en attendant d’en savoir plus. Constatant l’impossibilité pour lui d’accéder à son compte depuis l’étranger, le vrai titulaire débarque à Bamako et se présente à la BDM, le 09 Septembre 2020, pour avoir des explications. Dès l’entame des échanges avec les cadres de la banque, le client a affirmé n’avoir jamais donné un quelconque mandat à Madame Kane pour gérer son compte en modifiant son identité. C’est la  déposition faite à cet effet, signée du Client et les services de contrôle de la Banque que le SYNABEF qualifie de faux documents alléguant que le client n’était pas à Bamako à la date marquée sur le document. Nous disposons des coupons de voyage du client qui prouvent qu’il était bien à Bamako, de même que  la copie de son passeport en support à un retrait effectué le même jour de même que d’autres supports…. Le client reconnait tout au plus que Djénéba lui a demandé de lui prêter de l’argent et il a autorisé une seule opération portant sur 3 millions afin de régler un problème urgent. Les autres opérations de virement, il n’en a eu ni connaissance encore moins les autoriser. C’est donc à partir de ces faits allégués, vérifiés et vérifiables notamment manipulation du compte de client, atteinte à la déontologie du métier de banquier, faux et usage de faux que la BDM a écrit à l’inspection du travail pour demander le licenciement pur et simple de l’agent pour faute lourde. Notre Etablissement dispose de plusieurs autres preuves de la culpabilité de Madame KANE qui seront mises à disposition en temps opportun», détaille le document.

Les arguments de ce mémo volent en éclat

Les arguments contenus de ce mémo s’écroulent à la lecture des informations et documents obtenus par « L’investigateur ». Le mémo de la direction générale n’évoque pas le lien familial entre son employée et le client. Or, Mahamadou Soumaré n’est autre que le cousin de Mme Kane Djénéba Sall. Le document passe délibérément sous silence la note de service n°0210/19/0236 portant congé de maternité en date du 1er décembre 2019 de la direction du développement du capital humain. Elle devrait aller en congé le 1er décembre 2019 pour reprendre le 09 mars 2020. D’ailleurs, c’est sur insistance de ses supérieurs hiérarchiques qu’elle a décidé de repousser la date de son départ au 10 décembre. Et malheureusement, le 06 décembre 2019, elle subit un accident en plein travail et fut conduite d’urgence à la clinique Pasteur où elle subit une opération d’urgence pour sauver son bébé.

Le mémo balance l’arrêté des comptes du 31 décembre 2019, soit 25 jours après l’accident de Mme Kane et 15 jours après l’ouverture du GAB par l’équipe du contrôle. Une démarche douteuse dans la mesure où l’arrêté des comptes remonte plusieurs jours après le retrait des clés à la directrice de l’Agence. Le document de la direction générale ne mentionne nullement les tentatives visant à obtenir la démission de Mme Kane. Il ne mentionne pas aussi que l’équipe de contrôle a défoncé le Bureau de la directrice de l’Agence de Missira et ouvert ses coffres à son absence sans présence d’huissier et ni de la directrice adjointe.

La correspondance du client au cœur de la défense de la direction générale de la BDM-sa comporte deux dates. En haut, c’est le 15 septembre et en bas le 16 septembre. Une lettre, deux dates de rédaction !

Dans une correspondance rédigée, le 07 avril 2021, à New Jersey aux USA et adressée au directeur général de la BDM-sa, Mahamadou Soumaré dénonce le caractère faux du document. « Dans le cadre d’une procédure de licenciement de dame Djénéba Sall, j’ai appris que vos services ont produit à l’Inspection du Travail une correspondance qui émanerait de moi et dont l’objet serait la confirmation du solde de mon compte ouvert dans vos livres », peut-on lire dans cette lettre que « L’Investigateur » s’est procuré. « Dans cette correspondance, j’aurais déclaré ne pas reconnaitre deux sur trois opérations que dame Djeneba Sall aurait faites sur mon compte. Monsieur le directeur, je n’ai jamais adressé une telle correspondance ni à vous ni à vos services et je ne sais pas comment vous avez pu la produire. D’ailleurs, je constate qu’elle date du 15 septembre alors qu’à cette date je n’étais même à Bamako. Mieux, la signature qui est apposée sur le document n’est pas ma signature», proteste le client depuis les Etats Unis d’Amérique. Il va plus loin et se réserve le droit d’engager des actions en justice contre Bréhima Amadou Haïdara. « La présente, je dénonce le caractère faux de cette correspondance et je vous demande de point en faire usage à mon nom ; le cas échéant, je me réserve le droit d’initier en justice toute action à votre encontre », conclut l’intéressé.

Opérations lucides, démenti des allégations de la direction générale

Dans sa lettre n°0293/DRT-DB du 14 Avril 2021, l’Inspection du Travail de Bamako affirme sans ambages : « dès lors que Monsieur Soumaré reconnait avoir donné mandat à Mme Sall, toutes les opérations effectuées sur son compte par son mandataire demeurent licites et ne saurait être nullement remises en cause que par une rétractation de retrait de mandat en bonne et due forme. Ce qui à l’évidence n’est pas le cas, et la pièce par vous produite, n’a pas été reconnue par Monsieur Soumaré dans sa dernière correspondance…Monsieur Soumaré titulaire du compte incriminé a formellement démenti vos allégations», écrit le directeur régional du Travail, Houday Ag Mohamed.

L’Inspection du Travail a notifié au directeur général de la BDM-sa sa décision de reporter les termes de sa lettre n°0201/DRT-DB du 12 Mars 2012 et invite Bréhima Amadou Haïdara à prendre toutes les dispositions pour réintégrer Mme Sall (elle cumule dix huit (18) ans de services dont dix (10) en qualité de chef d’Agence jouit « d’une ancienneté et d’un parcours professionnel irréprochables».

Daouda Tougan Konaté

Source: L’Investigateur