Bamako, 20 février (AMAP) « Tout ce qui brille n’est pas de l’or ». Cette expression, bien que galvaudée, de nos jours sied au Tambaoura, zone géographique riche en or où convergent des milliers de jeunes en quête de fortune. L’Eldorado tant miroité se trouve être, bien des fois, une aventure ambiguë.

Le contraste est saisissant. Tous les villages sont quasiment assis sur le métal jaune. Les compagnies multinationales se bousculent à leurs portes, attirées comme des mouches sur le miel, par un sous-sol riche. Pas moins de cinq grandes mines opèrent dans cette partie du Mali. Autour de Kéniéba, mère Nature saigne de toute part. La terre prend l’apparence d’un corps humain criblé de balles. Avec des plaies béantes. Les grosses machines creusent frénétiquement à la recherche de filons. Des mastodontes dégagent, au même moment, des montagnes de remblais pour alimenter de gourmandes machines de traitement d pour en sortir le métal jaune tant convoité.

Dans chaque mine, les compartiments sont distincts. La zone d’extraction est séparée de l’usine. La base vie est légèrement écartée de ces deux blocs. Ici, toutes les commodités sont réunies : électricité, supermarchés, stades de football et autres terrains de sport, réfectoire, centre de soins … et mêmes des établissements de loisir pour les miniers. Les aliments et les produits de consommation sont livrés par des avions qui font la navette. Certains produits sont commandés de l’extérieur du pays pour garantir une qualité de service sans reproche et un niveau de vie au standard européen. Le confort est presqu’insolent.

Tels des oasis, au milieu du désert, ces bases vies regardent les villages environnants qui manquent de tout. Ou presque. Les plus aisés utilisent des panneaux solaires expédiés de Chine alimentant des ampoules qui éclairent à peine leur environnement immédiat. Les hangars se succèdent, quelques fois entrecoupés de quelques concessions en banco. Rien de vraiment glorieux. L’or ne brille pas pour tous dans cette contrée où la poussière impose son diktat.

Pourtant, les dirigeants des différentes sociétés minières jurent, la main sur le cœur, que leurs entreprises sont citoyennes et profondément attachées au développement local. Des centaines de millions de nos francs seraient versés aux populations autochtones pour l’amélioration de leur cadre de vie. Cette manne financière serait confiée aux municipalités, sous la bonne garde des maires.

Fort de ce renseignement, quoi de mieux que de toquer la porte de M. le maire ? Une porte en bois s’ouvre sur l’élu local. Idrissa Bah, 3emaire est confortablement installé derrière un bureau sur lequel sont posés un ordinateur portable, un calendrier et une pile de cachets. Le drapeau national flotte sur son bureau de travail, surplombé de la photo officielle du président de la République. Entre deux signatures de copies d’extrait d’acte de naissance, il précise que sa commune abrite trois mines d’or à savoir Endeavour, Goungoto et B2 Gold. « Nous avons deux types de relation avec ces mines : la patente rétrocédée aux collectivités par l’Etat et le développement communautaire directement piloté par le sous préfet. Le plan de développement est géré en bonne intelligence avec les villages. Nous sollicitons les sociétés minières sur des urgences de la localité. Nous avons initié les cartes d’orpaillage pour pouvoir les identifier. A ce jour, la mairie ne tire aucun bénéfice de l’orpaillage » défend l’élu.

En 2019, la Commune a bénéficié d’une enveloppe d’un milliard 300 millions, au titre de la patente de deux mines industrielles. « Comme toutes les autres communes, nous intégrons ce fonds dans le budget de la commune. Budget constitué de deux éléments : fonctionnement et investissement. Nous construisons des salles de classe et les équipons, des Centres de santé communautaire (et évacuations de malades), des forages, aménageons des pistes et des périmètres maraîchers … », précise le maire. Il tient à ajouter que sa commune apporte un appui à tous les services de l’Etat. « Quand la tâche est immense, les citoyens pensent qu’on ne fait rien. L’an passé, nous avons réalisé 38 forages dans les 28 villages de la communes», insiste Idrissa Bah qui se dresse contre l’orpaillage. « J’ai peur pour l’avenir des miens. Les forêts sont détruites à la faveur de l’orpaillage traditionnel. Quand les mines fermeront, il faut que les procédures soient respectées », s’inquiète l’élu.

Il se rappelle avoir participé à une formation au cours de laquelle il a été clairement indiqué que les mines doivent créer un compte approvisionné, chaque année, pour préparer la fermeture du site. « Hélas ! Cette disposition n’est pas observée », dit-il. Selon le maire, pas grand-chose n’est fait pour l’après mines. « Cela me désole beaucoup » ajoute-t-il. Il poursuit : « Kéniéba est envahi. Nous avons plus de 40 nationalités ici. Ceux qui gagnent réellement de l’argent, parce qu’ils maîtrisent mieux les techniques, sont les étrangers. Les autochtones sont en train de se retirer de l’or au profit de l’agriculture et le commerce ».

Pour le moment, seuls quelques chanceux tirent leur épingle du jeu. « Globalement, nous sentons un ralentissement des activités dû en partie à la pression démographique », analyse le maire qui prédit une année difficile pour sa localité.

Le préfet du cercle, Idrissa Kané, lui, est plus optimiste. Il donne quelques exemples en commençant par cherté de la vie. Malgré cela, les populations arrivent à acheter les produits sur le marché. De son point de vue, cela est un indicateur important. Il ajoute que chaque famille dispose d’au moins 4 motos. Un jeune travaillant dans les mines est payé à plus d’un demi million. D’autres dépassent le seuil du million, au grand bénéfice de leur famille. « Donc, l’or profite bel et bien aux populations locales d’ici qui ont un niveau de vie plus élevé que les autres localités de notre pays », conclue le préfet qui admet que le niveau de vie souhaité n’est pas atteint.

Les mines, selon lui, contribuent au développement local en finançant des activités génératrices de revenus, des centres de santé, des écoles et mêmes des pistes rurales. M. Kané rappelle que certaines activités ne sont pas inscrites dans les conventions minières. C’est justement pourquoi, les mines ne financent pas n’importe quel projet. Les orpailleurs et les travailleurs des mines peuvent avoir de gros revenus. « Le flux d’argent en circulation pousse les gens à dépenser », analyse le chef de l’exécutif local. Le préfet constate une évolution positive dans le comportement des habitants.

« J’ai vu des gens qui viennent solliciter des parcelles de plusieurs hectares pour y développer des activités agricoles. Cette heureuse nouveauté bénéficie même de l’accompagnement des sociétés minières et des pouvoirs publics », ajoute le responsable administratif. « C’est timide, c’est vrai mais les esprits évoluent positivement », constate-t-il.

Selon un notable du village, l’or n’est pas une activité de tout temps. « Au temps de nos parents, l’activité aurifère n’était autorisée qu’après les travaux champêtres. Dès l’arrivée des premières pluies, les sites sont fermés et tout le monde se retrouvait aux champs. Malheureusement, cette mesure n’est plus respectée. Or, il est nécessaire d’y revenir pour notre plus grand profit et plaisir », renchérît le notable.

Parlant de l’appui des mines aux collectivités, le préfet préconise la mise en place de projets structurants. Bien qu’elles construisent des écoles et des centres de santé, les collectivités gagneraient mieux à mettre en place des initiatives de développement local.

Dans une petite boutique de gadgets électroniques, le commerçant s’emporte : « Ils ne foutent rien de bon. Les élus locaux et les fonctionnaires de l’Etat se foutent de notre bien-être. En 2019, les mines ont versé des centaines de millions à la Mairie. Tout ce qu’ils (élus) savent faire, c’est acheter des voitures… Regardes, nous n’avons même pas de routes… ».

Son ami, qui vient de mettre en place le dispositif du thé vert chinois, approuve la révolte du commerçant. Il apporte sa part d’eau au moulin, en soulevant des inquiétudes sur l’après mines dans la contrée. « Contrairement à ce que pensent beaucoup de gens ici, l’or n’est pas éternel. C’est donc maintenant qu’il faut investir pour préparer les jours difficiles », conseille-t-il.

AC/MD (AMAP)