Malgré l’opposition de sa famille et les conseils de ses amis restés au pays, Aboubacar Sidiki a saisi l’opportunité de servir son pays à la tête de la Malienne de l’Electricité Pour Tous (MEPT). Une société moribonde qu’il est déterminé à redresser pour que l’électricité ne soit plus un luxe pour ses compatriotes. Après la validation de l’étude diagnostic initiée afin d’identifier les forces et faiblesses de l’entreprise, il fallait appliquer les mesures recommandées. Ce qui ne va pas sans grincement de dents. Le «Che» allait-il réussir à convaincre tout le monde de la nécessité de changement ? En tout cas, Fafré va faire semblant de jouer le jeu !

Sur ces trois constats, le seul point qui semblait réellement préoccuper «Le Che» était le dégraissage du personnel. Il fallait une nouvelle stratégie de gestion des ressources humaines qui allait faire grincer les dents. En licenciant des employés, il allait avoir le syndicat sur le dos. Et sur ce point, il avait vite compris qu’il n’aurait jamais le soutien de sa hiérarchie. Dans un pays où les régimes sont assez frileux, la moindre contestation pouvait être vite perçue comme une menace pour le pouvoir en place. Les responsables syndicaux le savaient et en profitaient pour faire échouer presque tous les plans de sauvetage des entreprises en difficulté.

Aboubacar Sidiki était loin de penser que son malheur allait venir d’ailleurs, d’une et d’une seule personne : Fafré, le directeur des approvisionnements ! Ce dernier était pourtant l’un de ceux qui ne dissimulaient pas leur animosité à son égard. «On ne voit pas les oreilles du cheval qui va vous renverser», dit un adage du pays. En voulant secouer le cocotier, il faut bien se protéger pour ne pas être assommé par un fruit. Le plan de redressement validé par les PTF, le gouvernement n’avait d’autre choix que de donner le quitus pour les réformes.

Pour Aboubacar, il fallait d’abord du sang neuf à la tête des différentes directions. Pour le plan de licenciement, il avait eu plusieurs rencontres avec le syndicat qui, dans un premier temps, y opposa un niet catégorique. Mais, au fil des rencontres, le jeune manager trouva les mots justes pour convaincre ses responsables du bien fondé de cette réforme pour tous, et surtout pour le pays. Le dégraissage allait être progressif tout en gelant les recrutements sur une durée de 5 ans. Mieux, un plan de formation allait être élaboré avec les responsables pour permettre aux uns et aux autres de renforcer leurs capacités ou acquérir de nouvelles connaissances pour être à nouveau compétitifs sur le marché de l’emploi.

Il avait par exemple prévu de former ceux qui allaient quitter la boîte dans le domaine des énergies renouvelables afin de faciliter leur reconversion. D’ailleurs Le Che a promis au syndicat de démarcher ses relations à l’extérieur pour appuyer les partants qui voulaient se mettre ensemble pour créer des GIE ou des PME dans le secteur prometteur des énergies renouvelables. Un accord a donc été rapidement obtenu avec les syndicalistes de la boîte.

Il eut ensuite un entretien individuel avec tous les directeurs en place et les informa de sa volonté d’insuffler du sang neuf dans la boîte. En peu de temps, il découvrit qu’il y avait de vraies compétences qui, curieusement, passaient la journée à partager le thé sous les arbres avec les chauffeurs faute d’avoir été responsabilisées. Pendant ce temps, les différentes directions étaient souvent gérées par des gens dont le seul mérite était d’avoir été recommandés par tel ministre, tel député ou par tel responsable du parti au pouvoir.

L’intouchable Fafré

C’est au niveau du directeur des approvisionnements qu’il s’attendait à rencontrer la plus farouche opposition. Fafré occupait ce poste depuis plus de 20 ans sans jamais réussir à mieux le gérer. Les directeurs qui avaient eu «la mauvaise idée» de l’éjecter y ont rapidement renoncé sur les conseils de ceux qui connaissaient le sexagénaire réputé être protégé par les plus grands féticheurs et les plus grands marabouts du pays.

Tout ce beau monde était entretenu par la fortune amassée suite au détournement de carburants, de pièces détachées… Des camions citernes étaient entièrement détournés avec leurs contenus et vendus à des pétroliers à des prix en dessous de celui du marché d’approvisionnement. Et cela n’était un secret pour personne. Mais, personne n’en parlait par crainte de mourir mystérieusement. Même les auditeurs internes et externes tremblaient devant lui pour oser mentionner ses «trous» (pertes inexplicables) dans des rapports d’audit. En retour, il se montrait généreux à leur égard.

Celui qui avait pris le risque de le remplacer était mort accidentellement. Tout comme celui qui avait été nommé à la place du redoutable Fafré devenu intouchable à cause de ses fétiches alors qu’il crachait l’incompétence. Et pourtant, leur entretien se passa relativement bien. Même si Le Che eut des sensations bizarres dès que Fafré mit le pied dans son bureau. Il eut un moment le sentiment de planer. Et l’odeur de bureau changea brusquement à cause sans doute des produits mystiques avec lesquels son visiteur s’était sans doute enduit le corps pour pouvoir dominer son esprit. Il ne plana pas longtemps puisque son  visiteur le ramena à la réalité rapidement.

-Vous m’avez appelé patron, dit Fafré

-Oui Doyen, je voudrais échanger avec vous sur les résultats de l’étude diagnostic de notre entreprise. Avez-vous des remarques ou des suggestions à faire ?, interrogea poliment Le Che.

-Non patron, rien à ajouter

-OK. La mise en œuvre des recommandations nécessite une certaine fusion des départements. Ce qui fait que certains vont disparaître. Pour ce qui est du «Département Appro» (approvisionnement), c’est le mode de gestion qui va changer. Nous avons pris contact avec une compagnie d’ingénierie informatique qui vient de nous faire une proposition nous permettant de tout superviser, des commandes à la livraison… Et elle met à notre disposition trois ingénieurs informatiques parmi lesquels nous devons choisir un pour diriger désormais ce département. Mais, compte tenu de votre expérience, la boîte a aussi beaucoup besoin de vous. Alors je voudrais savoir si vous souhaitez vous occupez particulièrement d’un autre Département ?

-Votre choix sera le mien. Patron, je suis prêt à servir la boîte à tous les niveaux , dit Fafré.

-L’étude nous montre que nous perdons annuellement une véritable fortune au niveau du département des Grandes entreprises. Il y faut donc du sang neuf pour qu’il ne soit plus un goulot d’étranglement. Compte tenu de votre expérience et de votre influence, je pense que vous pouvez beaucoup nous être utile à ce niveau. Bien sûr, que nous vous laissons le choix des hommes et des femmes devant constituer votre équipe pour moraliser et rentabiliser ce Département vital. Nous allons aussi discuter des primes de performance que la société doit vous attribuer ainsi qu’aux éléments de votre équipe pour les motiver.

-Merci pour la confiance. Mais, avec votre permission, est-ce que je peux avoir le temps de réfléchir à cette proposition ?

-Bien sûr ! Deux semaines vous suffisent-elles ?

-Largement suffisant

-Alors on se revoit dans deux semaines. Et si vous êtes partant, il serait souhaitable que vous nous soumettiez lors de notre prochaine rencontre une liste des personnes avec lesquelles vous voulez travailler.

-Bien noté ! A bientôt Chef

Le Che ne s’attendait pas à ce que cet entretien se passe si bien sans accrochages. Il s’était préparé à un entretien avec un homme qui allait perdre sa chasse gardée avec tous les avantages. Mais, visiblement, Fafré était plus sage qu’on le lui avait toujours décrit. N’empêche qu’il avait aussi le sentiment qu’il n’avait pas joué franc jeu avec lui et que la compréhension affichée devant lui n’était qu’un stratagème pour l’endormir afin de mieux l’abattre.

Que cachait cet ami des grands féticheurs du pays ? Il n’allait pas tarder à le savoir…

A suivre !

Bolmouss

Source: Le Matin