Le diagnostic de la phase II de la Transition du président du Conseil national du patronat du Mali (Cnpm) et ses propositions de sortie de crise dans l’interview ci-dessous.

 Lors du dernier sommet des chefs d’Etat de la sous-région, tenu à Accra (le samedi 19 juin, Ndlr), la Cédéao a été clair : pas question de lever la suspension qui frappe le Mali depuis le dernier coup d’Etat perpétré par les militaires en dépit de la nomination d’un Premier ministre de la Transition. A l’interne, le contexte sociopolitique n’est pas reluisant : manque d’inclusivité, méfiance, tension sociale. Le nouveau gouvernement de la Transition fait face à d’énormes défis. Comment analysez-vous cette situation pour le moins préoccupante du pays ?

Mamadou Sinsy Coulibaly : Le climat social est très fragile et la méfiance très grande à l’égard de la Transition et de son gouvernement. A vrai dire, on n’a pas besoin d’un nouvel homme fort au Mali. Ce dont on a le plus besoin, pour le pays, ce sont des entreprises fortes. On a besoin que les investisseurs soient plutôt rassurés, sécurisés et protégés.

Le gouvernement de la Transition, dirigé par le Premier ministre Choguel Maïga, dès l’annonce de sa composition, a essuyé beaucoup de critiques de la part de nombreux acteurs nationaux quant à son manque d’inclusivité. Il s’agit là d’un réel coup de froid d’autant que l’une des exigences du sommet extraordinaire des chefs d’Etat, à Accra, portait justement sur le caractère d’inclusivité du gouvernement de la Transition.

On est loin du compte au regard de la configuration actuelle du gouvernement. Il faut pourtant y faire face, en évitant de se surcharger avec des chantiers non nécessaires à l’objectif de la Transition de tenir les élections dans le délai imparti. Or, à y regarder de près, en établissant un diagnostic clair sur les quatre priorités énoncées dans le programme du nouveau gouvernement, on se pose des questions.

Voyons ensemble les priorités annoncées par le nouveau Premier ministre : renforcement “quantitatif et qualitatif” des forces de défense et de sécurité ; mise en place de “structures appropriées” pour finaliser les réformes et la révision de la Constitution ; mise en œuvre “efficiente” de l’Accord d’Alger ; organisation d’élections crédibles et transparentes aux échéances prévues, “tout en poursuivant les chantiers déjà ouverts”.

On le voit plus nettement, ce programme de gouvernement paraît totalement irréaliste par rapport à l’accord d’Accra, qui prévoit de se concentrer avant tout sur la mission de la tenue des élections aux dates prévues.

Si l’on en croit aux critiques émanant de plusieurs acteurs politiques et autres, le risque de voir la Transition se prolonger ou s’écourter n’est pas écarté. Croyez-vous en cela ? Ne serait-ce pas, pour vous, une régression, un échec de la Transition ?

Je pense que les défis sont énormes et complexes pour notre pays pour qu’on évite de se focaliser sur des spéculations stériles et des jugements de valeur.

Aujourd’hui, plus que jamais, nous n’avons plus droit à l’erreur et il est crucial, pour les autorités de la Transition, de se concentrer sur leurs missions essentiels, celles qui sont annonciatrices d’une fin tranquille de la Transition. C’est avec cela que nous pourrons éviter, à notre pays, de connaître bien de tourments.

En cas d’écourtement ou de prolongation de la Transition, comme le redoutent certains, il est clair que cela se fera avec ou sans les militaires. Et les conséquences qui en résulteront, au plan économique, politique et géostratégique seront énormes pour notre pays qui pourra également connaître des difficultés avec les pays voisins, en raison du caractère d’interdépendance de nos économies.

Alors, s’il est évident, pour certains, que le souci principal de la junte est de se cramponner au pouvoir, et donc de prolonger la Transition, elle doit réfléchir, par deux fois, et se détourner de cela. Et éviter ainsi de mettre le pays à nouveau sur le banc des accusés.

Faut-il s’inquiéter, selon vous, d’une telle remise en cause de la Transition ? Les conséquences pourront être dramatiques pour le pays…

Déjà, ce n’est caché à personne que l’effet du double coup d’Etat et la nomination d’un  nouveau Premier ministre, qui ne fait pas l’unanimité parmi les acteurs politiques, ne s’annoncent pas prometteur pour le pays.

La remise en cause de la Transition, dans ces conditions, je le pense très sincèrement, se traduira par le ralentissement des activités entrepreneuriales, en ce sens que les investisseurs ne seront pas au rendez-vous. L’économie va chuter, car il n’y aura pas de recettes fiscales. Et l’entreprise, dans un tel contexte de faillite, se portera alors mal.

Le monde économique, les investisseurs privés, institutionnels, les entrepreneurs, tous sont très inquiets de cette situation d’autant que la méfiance va gagner tous les milieux, y compris ceux de la communauté internationale.

Voilà déjà que la Banque mondiale, premier injecteur d’argent frais dans l’économie malienne, a interrompu ses paiements sur le pays qui touche tous les secteurs. Bon an mal an, ce sont près de 900 milliards de F CFA (équivalent à la moitié du budget du Mali !) qui sont ainsi bloqués.

Il en résulte aussi pour les banques maliennes, une surliquidité. Cela, je le pense, est un très mauvais signe pour nos banques et nos entreprises qui arrêtent ainsi d’investir dans les secteurs vitaux. Alors, pas de création de richesses, pas d’emplois.

Barkhane a suspendu ses missions communes avec l’armée malienne qui donnaient de très bons résultats : selon de nombreux témoignages de soldats au nord, la confiance des militaires maliens dans le commandement français, l’organisation, le matériel et la qualité des munitions ainsi que les soins, en cas de blessure ou de décès avec la prise en charge des ayant-droits, rendaient les militaires maliens particulièrement efficaces au combat ! Or ces bons résultats sécuritaires sont pourtant nécessaires pour organiser les élections. Sans Barkhane, l’armée malienne perdra une énorme capacité opérationnelle sur le terrain !

Il est donc nécessaire et vital d’européaniser Barkhane pour ne pas laisser la place vide de la France. De plus, il est impératif d’impliquer l’Europe, avec l’appui de la France, dans des discussions avec la Cédéao en vue d’alléger la mesure de suspension qui frappe le Mali.

 Où situerez-vous les points de faiblesse de cette Transition qui risque d’être talonnée de toutes parts ?

Le front social avec l’Untm se raidit fortement, car l’argent manque dans le pays et l’entente des différentes composantes du M5 est aujourd’hui mise à rude épreuve. Cela risque de faire gripper la machine de la Transition finalement d’autant qu’il n’est pas exclu que les produits de première nécessité connaissent une certaine augmentation.

Dans ce climat général, auquel peut se joindre à tout moment le soulèvement de la jeunesse, le risque d’embrasement et d’enlisement à court terme est réel.

Attention encore une fois de plus, le point de non retour est presque attient…

Le risque d’écourter la Transition actuelle par la violence et une radicalisation d’une partie de la population sont des menaces réelles à ne pas négliger.

Concrètement, comment pouvons-nous nous en tirer ? La solution, selon vous, passerait-elle par un recadrage des missions de la Transition ?

Je crois qu’il est important de s’en tenir aux accords d’Accra. Il faut agir, et le faire très rapidement dans le but de recentrer la Transition sur ses objectifs définis à Accra : celui de la tenue des élections dans le temps imparti et qu’elle clarifie ses objectifs vis-à-vis de la communauté internationale, de la société civile et de la jeunesse malienne.

De plus, qu’elle maintienne sa demande des 96 milliards de F CFA pour l’organisation des élections et s’en tienne là.

 Parlerez-vous, comme d’autres, de la responsabilité des hommes politiques qui ont semble-t-il laissé faire certaines choses ?

Je le confirme et le réaffirme : c’est bien leur faute et ils doivent nous sortir de cette impasse au lieu de nous faire comprendre que ce qui nous arrive, c’est bien la faute des autres.

Vous avez beaucoup insisté, ces derniers temps, dans vos débats, sur la nécessité d’investir massivement dans l’économie. Selon vous, la solution pour notre pays, en proie à des périls de toutes sortes, passerait-elle par l’économie ?

Tous les grands pays qui ont développé leurs économies, l’ont fait en étroite collaboration avec le secteur privé, fondé sur une vision très claire du développement humain.

C’est avec une telle assurance du développement qui permet aux bailleurs de fond, notamment la Banque mondiale, de débloquer les fonds, en ciblant principalement les secteurs vitaux comme l’éducation, la santé et les infrastructures avec l’objectif d’injecter de l’argent dans l’économie et de créer le maximum d’emplois.

On peut donc passer du bilatéral au multilatéral, à travers les forces spéciales européennes, tout en cherchant les bons points d’appui dans l’armée malienne (et celles du G5-Sahel) et en mettant les moyens financiers et humains à hauteur des besoins.

 Pourquoi, après tant d’années, en dépit de l’aide internationale, l’économie malienne ne parvient toujours pas à décoller réellement ? Si vous devez conseiller les dirigeants de ce pays, dans ce sens, que leur diriez-vous ?

Il est stratégique d’investir massivement, avec les partenaires financiers du Mali, dans l’économie. En même temps, il est crucial de suspendre tout financement d’aide publique, de budget, de dettes et de projets d’aide spécifique…

 Vous avez bien l’habitude d’exprimer votre optimisme en l’avenir… Mais, selon vous, que faudrait-il changer, dès aujourd’hui, pour gagner le pari du futur ?

Je pense bien qu’il faille faire confiance aux entrepreneurs privés, aux entreprises maliennes et pourquoi pas à la mondialisation.

Correspondance particulière

Source: La Preuve