Soumaïla Cissé, candidat à l'élection présidentielle au Mali, tient une conférence de presse, le 2 août 2013 à Bamako  © AFP

Q : Monsieur Soumaïla Cissé, vous êtes parvenu au deuxième tour de l’élection présidentielle. Quelles conclusions avez vous tiré du vote des Maliens ?

 

Je rends grâce à Dieu. Je tiens tout d’abord à remercier l’ensemble des électrices et électeurs maliens, de toutes sensibilités, pour leur forte participation au scrutin et pour leur exemplaire comportement civique. Je remercie tout particulièrement l’ensemble des électrices et des électeurs qui lui ont apporté leur soutien par un vote sans équivoque pour un Mali nouveau. Au-delà de certaines déclarations intempestives dès la clôture des votes et des indélicatesses visant à semer le trouble dans l’esprit du peuple, au-delà de la suspicion qui a pu naître sur la sincérité des résultats partiels, je suis heureux qu’au final, la voix et le choix d’une partie de la population soient légitimement reconnus et respectés, entraînant un deuxième tour ouvert et souhaité transparent. A l’issue du premier tour, ils ont choisi deux parmi les 28 prétendants. L’horizon est dégagé. Les Maliens ont maintenant un choix clair à accomplir entre l’immobilisme et le dynamisme, entre le passé et l’avenir, entre les incantations et la vision. Je n’ai aucun doute que les jeunes, les femmes et les hommes de mon pays vont choisir notre vision dynamique du Mali nouveau.

 

Q : Cette élection intervient dans un contexte particulier pour le pays qui revient de très loin après le coup d’Etat et l’occupation des régions du nord en 2012. Que comptez-vous faire pour que ce qui est arrivé ne se reproduise plus ?

 

Soumaïla Cissé : Vous savez, pour régler un problème, il faut en maîtriser les tenants et aboutissants. La crise politico sécuritaire que nous avons vécue est avant tout un problème de gouvernance. La démocratie est un modèle de régime politique qui, pour être effective, doit nécessairement s’appuyer sur des piliers institutionnels solides devant assurer sa pérennité. La justice, les forces de défense et de sécurité constituent des piliers essentiels pour la sécurité, la stabilisation des institutions démocratiques. Or, au cours des vingt dernières années, les ajustements internes ont engendré des coupes drastiques dans les investissements publics et privilégiés des secteurs comme l’éducation et la santé, au détriment d’institutions majeures comme la défense, la sécurité et la justice, piliers essentiels du dispositif de stabilisation politique. De fait l’investissement public dans la modernisation des forces de défense et de sécurité a été considéré comme une variable d’ajustement. Considérant qu’il n’y a rien de plus important que la sécurité des Maliens et la défense de l’intégrité territoriale, je travaille à mettre en place un programme quinquennal pour mettre nos forces de sécurité et de défense dans les conditions d’opération et d’équipement répondant parfaitement aux standards internationaux. Entre autres mesures à mettre en œuvre immédiatement, je peux citer:

 

– L’augmentation sensible du budget de la défense et de la sécurité par une loi de programmation militaire (5 ans);

 

– le recrutement d’agents dans les services de renseignement, les forces de police et de gendarmerie, la protection civile ;

 

– le service civique national rendu obligatoire ;

 

– la construction de nouvelles bases militaires;

 

– la valorisation du traitement (salaires et habitat) du personnel des forces de défense et de sécurité ;

 

– La revalorisation des retraites et des indemnités des anciens militaires ;

 

– le renouvellement des équipements et l’acquisition de matériel plus adapté aux exigences actuelles de sécurité;

 

– la formation continue et l’octroi de bourses pour les grandes écoles militaires.

 

Q : Quel est votre projet pour la réconciliation nationale ?

 

Soumaïla Cissé : Je considère que la gestion de l’après crise doit interpeller tous les Maliens soucieux de l’avenir et de la stabilité de la nation. Il s’agira de reconstruire les liens sociaux brisés, et prendre en charge la gestion adéquate des difficultés qu’affronteront dans les mois à venir aussi bien les populations résidentes que les déplacés et les réfugiés. Par-delà le règlement du conflit, la réconciliation doit viser son dépassement par la reconstruction d’une société capable d’affronter une histoire commune même si elle a été parfois douloureuse. La réconciliation doit, en effet, s’accompagner d’un pardon sincère non pas par l’effacement du passé, mais par son dépassement pour envisager un avenir commun qui reconnait les droits et devoirs de chaque communauté à travers des solutions équilibrées et respectueuses des identités. La réconciliation nationale passera aussi par l’apurement de plusieurs conflits récurrents partout dans le pays, particulièrement en ce qui concerne les questions foncières, et sur lesquels j’ai beaucoup travaillé. En 1991, déjà, j’avais lancé à travers l’Agence de cession immobilière (ACI), la plus grande opération d’urbanisation de Bamako, qui a donné naissance à ACI 2000, Baco-Djicoroni ACI et Kalaban Coura ACI. En un an, nous avions délivré plus de 5500 titres fonciers, soit l’équivalent du nombre total de titres fonciers effectifs sur l’ensemble du territoire et délivrés entre 1960 et 1990. C’est avec cette même maîtrise des questions foncières et notre parfaite connaissance des réalités socio ethniques que nous comptons faire de la terre, non pas une source de conflits entre Maliennes et Maliens, mais une véritable source de richesse pour les citoyens et de développement pour la communauté. Notre nation, multiethnique, riche de toutes ses composantes, a su, à toutes les étapes de son histoire, trouver les consensus, les compromis et les accords qui ont permis à nos familles éparpillées sur notre territoire immense d’y vivre en toute sécurité. C’est donc, en toute sérénité que, nous devons continuer de travailler de façon inclusive avec toutes les composantes de notre nation, pour lutter, ensemble, contre le terrorisme et assurer la sécurité de nos frontières et la stabilité du pays, seule gage de construction d’une nation prospère, unie et fière.

 

Q : Beaucoup s’accordent à dire que la mauvaise gouvernance est à l’origine de la profonde crise dont sort péniblement le pays. Quelles mesures comptez-vous prendre pour rétablir les vertus de la bonne gestion et le rétablissement de l’autorité de l’Etat ?

 

Soumaïla Cissé : Je vous ai dit dans mon propos précédant que l’amélioration de la gouvernance publique était la clé. Une bonne gouvernance repose sur une gestion équitable, optimale et stratégique des ressources de l’Etat. Ce qui exige de la part des nouveaux gouvernants compétence, exemplarité et reddition des comptes. Mais cette gouvernance ne doit pas seulement s’exprimer au sommet de l’Etat, elle doit s’exécuter partout où nous devons fournir des services aux citoyens. C’est pourquoi, au regard de ce que nous avons vécu, je crois que le temps est venu pour le Mali, comme pour l’Afrique, après cinquante ans d’indépendance et des crises répétitives, de repenser sa gouvernance politique et ses formes d’exercice du pouvoir. Pour ma part, il est temps de passer à un approfondissement de la décentralisation plus adaptée à nos réalités existentielles dans une approche intégrant à la fois les aspects d’aménagement du territoire, de développement régional communautaire, de leadership local, de diversité culturelle et d’unité nationale dans un pays aussi immense et aussi multiethnique. Dans le strict respect de la constitution, j’engagerai des réformes vigoureuses dans le cadre du renouveau de la décentralisation pour permettre à toutes nos communautés de s’épanouir harmonieusement dans le cadre de la République. Cette crise nous offre, en effet, l’opportunité de donner un nouvel élan à la décentralisation notamment à travers cinq pistes:

 

– un transfert effectif des compétences et des ressources dans tous les domaines prévus par le code des collectivités territoriales ;

 

– un effort significatif de transfert de ressources budgétaires en faveur des collectivités, pour soutenir le développement régional, et local ;

 

– une réorganisation de la carte des collectivités territoriales ;

 

– l’allégement de la tutelle des collectivités pour leur donner plus d’autonomie, et le renforcement de la déconcentration administrative (délégation de pouvoir et de ressources, déconcentration de l’ordonnancement des budgets des structures subrégionales…) ;

 

– une politique d’aménagement du territoire (infrastructures agro pastorales, routes…) qui tienne compte des spécificités de chaque région, notamment celles du Nord (immensité du territoire, faible densité par endroit, etc..).

 

Dans cette perspective, les élus et la société civile des régions du nord seront des acteurs majeurs dans le dialogue inclusif de reconstruction nationale. C’est aux habitants de ces zones qu’il reviendra, d’abord, d’analyser objectivement leurs préoccupations et les solutions préconisées, afin d’y apporter des réponses à la hauteur des enjeux, compatibles avec les exigences d’un Etat où continue de prévaloir la riche diversité ethnique, culturelle et religieuse. Tout ceci, dans la poursuite et l’intensification des actions de développement pour une intégration socio-économique accrue des Régions du Nord au reste du Mali.

 

Q : Avec la double crise institutionnelle et sécuritaire, l’économie nationale s’est retrouvée au bord de l’asphyxie. Quel projet portez-vous pour la redresser?

 

Soumaïla Cissé : Pour moi, il ne nous suffira pas seulement de bâtir une armée solide et bien négocier la paix intérieure pour avoir un pays stable et apaisé. Il faudra surtout bâtir une gouvernance d’exemplarité. Dans cette perspective, l’indemnisation des victimes de la crise au Nord, comme au Sud, ainsi que le recul de la pauvreté, sont des conditions nécessaires à la restauration de la sécurité, de la paix, et du vivre ensemble dans un cadre harmonieux. Pour y arriver, j’engagerai rapidement les actions de redressement nécessaires dans la voie d’un développement durable. A cet égard, un plan d’urgence de relance économique, sur la période 2013–2014, sera tiré de mon programme pour un Mali nouveau. Ce plan permettra notamment d’assurer :

 

– l’indemnisation des victimes du conflit du Nord, et des évènements du 22 mars 2012;

 

– le financement de la remise en état des bâtiments publics et autres infrastructures détruits au Nord, mais aussi dans d’autres localités du pays ;

 

– le retour et la réinsertion des populations réfugiées ;

 

– l’apurement rapide de la dette intérieure afin de renflouer la liquidité des entrepreneurs et commerçants du pays ;

 

– le soutien aux opérateurs économiques ; – la remise en état des infrastructures ayant souffert de manque d’entretien pendant la crise ;

 

– la fourniture de l’électricité dans l’ensemble du pays ;

 

– le financement d’autres travaux d’intérêt général à haute intensité de main d’œuvre afin d’offrir des perspectives immédiates de travail aux chômeurs et distribuer des revenus ;

 

– la mobilisation rapide par une équipe compétente des 2000 milliards de francs CFA promis par la Communauté internationale pour la reconstruction du Mali.

 

L’engagement de la communauté internationale à contribuer pour 2000 milliards de francs CFA dans la reconstruction du pays, n’est qu’un volet du véritable plan Marshall que je compte mettre en place pour accélérer la croissance et rééquilibrer le développement du territoire. Un véritable centre névralgique d’activités dans le Nord du pays constituerait un pilier de la stabilité car, c’est le développement économique qui permettra d’éradiquer le terrorisme. C’est tout l’enjeu des prochaines élections : élire des personnes compétentes et crédibles, capables de dialoguer efficacement avec les partenaires au développement pour transformer ce formidable élan de solidarité en une opportunité unique permettant de mettre définitivement le Mali sur les rails du développement durable, de la croissance économique et de l’émergence. C’est tout l’enjeu auquel je compte m’atteler au cours des prochains mois.

 

Q : Quelle ambition avez-vous pour l’école qui se trouve depuis des années dans un état de déliquescence critique ?

 

Soumaïla Cissé : Malgré les problèmes connus de l’école malienne, les progrès quantitatifs enregistrés ces dernières années sont importants. Dans le même temps, la qualité de l’enseignement s’est profondément dégradée. Depuis 15 ans, la société malienne regarde, impuissante, son école s’effondrer. Notre programme le Mali Nouveau propose des mesures concrètes à tous les niveaux de l’éducation. Mais la question de l’éducation est si centrale dans nos stratégies de développement qu’il me parait fondamental d’associer l’ensemble des parties prenantes aux processus de décisions de la relance de l’école. C’est pourquoi, j’ai proposé un cadre de concertation entre tous les acteurs pour poser, ensemble, les bases de sa refondation.

 

Q : Quelles reformes proposez-vous pour l’armée afin qu’elle redevienne forte et soit véritablement républicaine ?

 

Soumaïla Cissé : J’y ai répondu à votre deuxième question. La paix, la stabilité et la sécurité sont des conditions clés du développement économique et social. Ceci dépend en bonne partie des conditions de vie et de travail de nos soldats. Aussi, il est nécessaire d’entreprendre des réformes courageuses et coûteuses de modernisation des forces de défense et de sécurité pour les adapter aux besoins actuels.

 

Q : Avec quelles forces politiques comptez gouverner?

 

Soumaïla Cissé : Avec toutes les forces maliennes qui croient en notre vision pour un Mali Nouveau. Par delà les contingences partisanes, ma conviction est que le développement socioéconomique du Mali repose sur la valorisation des compétences, de la rigueur, du travail et du mérite.

 

Q : Au cas où les Maliens vous accordent leur confiance, quelles sont les mesures phares que vous prévoyez de prendre durant les 100 premiers jours de votre mandat ?

 

Soumaïla Cissé : Je prendrai rapidement des mesures prioritaires fortes pour que nos forces de défenses et de sécurité sentent, dans leur condition de vie et de travail, qu’il y a un changement dans le bon sens. Je rembourse la dette intérieure pour renflouer la liquidité des commerçants, transporteurs et entrepreneurs et relancer, ainsi, la machine économique. Je mets immédiatement en place une équipe de techniciens compétents chargés de transformer les promesses de la communauté internationale en financements réels. Je m’attèlerai, tout de suite, à concrétiser mes engagements de créer 500.000 emplois pour les jeune et de financer 500.000 projets pour les femmes.

 

 

 

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soumi URDSa carrière professionnelle, son expérience gouvernementale et son parcours à l’international se combinent pour tracer une trajectoire peu commune, celle d’un homme qui a su s’adapter avec intelligence et pragmatisme aux différents challenges qui lui ont été proposés. Soumaïla Cissé est né le 20 Décembre 1949 à Tombouctou. Juste après un diplôme universitaire d’études scientifiques acquis à l’Université de Dakar en 1972, il s’inscrit à l’Université de Montpellier où il obtient quatre ans plus tard une maîtrise en méthodes informatiques appliquées à la gestion (MIAGE). En 1977, il sort major de sa promotion de l’Institut des sciences informatiques de Montpellier où il obtient ses parchemins d’ingénieur en informatique et en gestion. Il poursuit sa carrière universitaire couronnée au troisième cycle par un certificat d’aptitude d’administration des entreprises obtenu en 1981 à l’Institut d’administration des entreprises de Paris. A 32 ans le jeune Cissé est engagé succesivement chez IBM-France, au Groupe Pechiney France et au Groupe Thomson France, avant d’être recruté comme analyste et chef de projet informatique chez Air Inter France en 1984. De retour au pays, il intègre la Compagnie malienne pour le développement de textile (CMDT) où il devient Directeur des programmes et du contrôle de gestion, puis Directeur général par intérim en 1991. Il guidera un peu plus tard (de mars à août 1992) les premiers pas de l’Agence de cessions immobilières. Alors que l’ébullition démocratique gagne tout le Mali à la fin des années 1980, Soumaïla Cissé milite à l’Alliance pour la démocratie au Mali (ADEMA) dont il est membre fondateur. Après les premières élections démocratiques, Soumaïla Cissé entame un long parcours dans l’appareil d’Etat. Il est tout d’abord nommé Secrétaire général de la présidence de la République et deviendra à cette occasion un très proche collaborateur de Alpha Oumar Konaré en 1992. Cependant il ne remplira que brièvement cette fonction avant d’entrer dans le gouvernement comme ministre de Finances. Il occupera cette fonction stratègique de 1993 à 2000, fonction à laquelle s’ajoute la responsabilité du Commerce entre 1994 et 1997. Soumaïla Cissé boucle son cycle gouvernemental en occupant le super ministère de l’Equipement, de l’aménagement du territoire, de l’environnement et de l’urbanisme qu’il dirige de 2000 à 2002. 2002 marque un tournant dans le parcours de Soumaïla Cissé, puisque le technicien laisse place à l’homme politique. Soumaïla Cissé se présente aux primaires de l’ADEMA PASJ et sera choisi par le parti alors au pouvoir comme candidat des Rouges et blancs pour la présidentielle de 2002. Dans une compétition qui réunit 24 candidats, il arrive second au premier tour avec 21,3% des suffrages contre 28,71% pour Amadou Toumani Touré et cèdera à ce dernier au second tour avec 498.503 voix contre 926.243. En 2003, le Président de la république le nomme Commissaire pour le Mali à l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) et il sera élu président de la Commission de cette organisation en janvier 2004. Il occupera pendant huit ans sans discontinuer cette haute responsabiliter. Son statut l’obligea à prendre un certain recul avec l’URD (Union pour la République et la Démocratie) formation qu’il créa en juin 2003 et qui au niveau des élus représente la deuxième force politique du pays. Lors de la présidentiellle de 2007 SoumaïÏa Cissé choisit de pas se présenter et de soutenir la réélection du chef d’Etat d’alors qui passera dès le premier tour. Soumaïla Cissé a été également Gouverneur de la Banque africaine pour le développement (BAD) pour le Mali, Gouverneur de la Banque mondiale pour le Mali, Gouverneur du Fonds monétaire international (FMI) pour le Mali et Gouverneur de la Banque islamique pour le développement (BID) pour le Mali. Grand officier de l’Ordre National du Benin et de la Guinée Bissau, Grand officier de l’Ordre National du Mali puis Commandeur de l’Ordre National du Mali, Soumaïla Cissé est aussi commandeur de l’Ordre National du Bénin et officier du Mérite de l’Ordre National du Lion (Sénégal).