Les Maliens, de plus en plus dubitatifs, observent les manœuvres des putchistes du 18 août dernier. Ils ne se privent même plus d’exprimer avec plus ou moins d’âpreté leur méfiance vis-àvis d’une junte dont l’intervention décisive avait sans doute évité au pays une effusion de sang qui aurait certainement été encore plus importante que celle qui avait assombri les manifestations des 10, 11 et 12 juillet.

 

Après avoir suscité, au lendemain de «la démission» d’Ibrahim Boubacar Keïta, un mouvement de sympathie quasi général au sein de l’opinion nationale et même dans les cercles dits  »révolutionnaires » de pays voisins du Mali, le Colonel Assimi Goïta et ses camarades ont entrainé la classe politique, la société civile et les simples citoyens dans un jeu de piste semé d’embûches dont ils détiennent seuls le code.

En brouillant volontairement les règles d’un jeu, qui était censé guider les Maliens vers des choix éclairés de politiques et, surtout, d’hommes pour baliser les chemins de l’avenir, les  »Officiers supérieurs de Kati » ont semé au sein de la classe politique et des populations le sentiment d’avoir été piégées et d’avoir été  »roulées dans la farine ». En effet, après avoir successivement rencontré les partenaires nationaux (groupements politiques, organisations de la Société civile, confessions religieuses, notamment), ignoré le M5-RFP (contraint de  »défoncer » les portes du bunker de Kati pour être reçu) et organisé les concertations nationales pour la mise en place des mécanismes de la Transition, le Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP) a dévoilé son jeu, qui consiste à garder la haute main sur la transition.

Proposition et nomination surprise du Président (surtout) et du Vice-président face à un collège de nomination interloqué et incapable d’esquisser le moindre avis. La consultation était-elle déjà tronquée ? L’avenir nous édifiera à ce propos. En attendant, désarçonnée par la nouvelle de la  »cooptation » du Colonel major à la retraite Bah N’Daw et redoutant la réaction de la CEDEAO face à la mascarade qui a contourné son exigence d’un président civil et dévolu la fonction à un militaire à la retraite (peu convaincant dans un rôle de civil), l’opinion nationale n’a pas tardé à crier à la supercherie. Le calme et un certain fatalisme, qui ont ensuite permis aux Maliens d’avaler cette couleuvre sont, selon de nombreux témoignages, liés à la personnalité même du président Bah N’Daw. Ce dernier est, dans l’imaginaire populaire, le prototype même du militaire (ce qui, déjà, le différencie du civil), droit, honnête, très responsable, donc Homme de Principe. Ses différentes démissions de postes qui en faisaient un collaborateur de premier plan, d’abord de Moussa Traoré (Aide de camp), puis d’IBK (ministre de la Défense et des Anciens combattants) ont suffi à convaincre les Maliens à l’inscrire dans leur liste, de plus en plus restreinte, de cadres dignes de confiance, peu portés sur les faux fuyants pour justifier leur veulerie.

Le Comité National pour le Salut du Peuple a donc eu le nez creux en portant son choix sur un tel homme, qui plus est, n’a jamais fait de vague après avoir renoncé à ses fonctions. Il protestait ainsi contre une gouvernance contraire à la vision de ses missions. Mais, pour avoir été régulièrement déçu par les hommes en qui il avait placé sa confiance, le peuple, désormais aguerri dans l’art de la contestation, ne signera pas un chèque en blanc à Bah N’Daw. Face aux importants enjeux de la Transition, dont les Maliens, autant que nos partenaires internationaux, attendent qu’elle impulse et façonne un avenir, sinon vertueux, du moins débarrassé des scories de trente ans d’un système politique davantage voué à des réussites personnelles qu’à contribuer à l’émergence d’une démocratie citoyenne, le nouveau président devra confirmer tout le bien qu’on dit de lui, en veillant au meilleur déroulement de la Transition.

A cet égard, on attend de lui un arbitrage, une direction et une supervision des décisions devant conférer la qualité nécessaire à la Refondation de l’Etat, synonyme de rédemption pour la majorité des populations, sorties meurtries de l’exécrable gouvernance du régime défunt. Que Dieu nous en garde, si le Colonel major à la retraite, président désigné de la Transition, devait échouer dans sa mission, en pratiquant notamment une présidence aux ordres du CNSP, deux conséquences majeures pourraient en découler.

La première serait la résurgence des préventions à l’égard d’une élite militaire largement imputable de la corruption et de la prévarication qui ont fondé le peuple à vouer aux gémonies le système IBK et tous ses soutiens, dont justement cette nomenklatura militaire. La seconde conséquence pourrait se manifester par la reprise des protestations et des dénonciations populaires d’une Transition dévoyée, récupérée par la junte. La tentation serait alors très forte pour le M5-RFP, déjà amer d’avoir été grugé de l’essentiel des bénéfices moraux, politiques et administratifs de son opiniâtre combat contre l’ancien régime, qu’il a d’ailleurs largement contribué à déstabiliser, d’engager un bras de fer avec la junte, en escomptant une récupération politique, cette fois plus accentuée. Une confrontation que les militaires, eux aussi, pourraient être tentés de retourner en leur faveur, de la seule manière qu’ils connaissent: l’usage des armes.

Un tel scénario, s’il se produisait, signerait à l’évidence la fin de la Transition et l’ouverture d’hostilités susceptibles de plonger notre pays dans des bouleversements dont il se relèverait péniblement. La CEDEAO, en participant aujourd’hui à la prestation de serment du nouveau président, ne manquera certainement pas de rappeler la junte et son dauphin à leurs responsabilités pour la réussite de la Transition, en conférant une posture civile à cet intermède républicain de dix-huit mois, chargé de défis. L’organisation sous régionale, amadouée par les souffrances du peuple malien, dont plusieurs voix internationales ont porté le message, annoncera, selon toutes les supputations, ce vendredi, la levée des sanctions qui ont enserré, depuis plus d’un mois, les Maliens dans un corset économique. Le Comité National pour le Salut du Peuple, qui devra logiquement annoncer sa dissolution à la suite de la mise en place de la nouvelle équipe chargée de la mise en œuvre du programme de la Transition, serait bien inspiré de s’abstenir de toute nouvelle manœuvre pour s’enraciner au pouvoir, en interférant de façon cavalière et intéressée dans la nomination des membres civils de la nouvelle équipe transitionnelle.. En cas de nouvelles brouilles avec la CEDEAO, le peuple (dont il prône le salut) ne serait plus enclin à endurer de nouvelles privations…

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Source : l’Indépendant