C’est le début des adieux à l’international d’Angela Merkel. La chancelière allemande est reçue ce jeudi par Joe Biden. Le président américain n’a accueilli que deux dirigeants étrangers à la Maison Blanche depuis son entrée en fonction : le Japonais, Yoshihide Suga et le Sud-Coréen, Moon Jae-in, les alliés asiatiques des États-Unis. À l’heure d’accueillir un partenaire européen, honneur à l’Allemagne, l’allié traditionnel, même si la vieille alliance est émaillée de désaccords.  

Entretien avec Paul Maurice, spécialiste de l’Allemagne, chercheur au Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l’Institut français des relations internationales (Ifri)

RFI : Angela Merkel est le premier dirigeant européen reçu à la Maison Blanche depuis la prise de fonction de Joe Biden. Quel est le message du président américain ?

Paul Maurice : En accueillant Angela Merkel, Joe Biden veut sûrement montrer qu’il souhaite s’appuyer sur l’Allemagne pour sa stratégie européenne. Emmanuel Macron avait donné des signes envers Joe Biden, il aurait peut-être souhaité être la porte d’entrée des États-Unis en Europe, mais finalement c’est l’allié traditionnel, atlantiste depuis sa création du temps de la République fédérale d’Allemagne, qui a été choisi par les États-Unis. D’une certaine manière, c’est assez logique puisque par là même, Joe Biden donne le coup d’envoi de la tournée d’adieu d’Angela Merkel, qui va probablement visiter les capitales européennes avant de quitter le pouvoir à l’automne prochain.

Le lien Washington-Berlin a connu des turbulences sous l’ère Trump. La période Trump a-t-elle laissé des séquelles ou bien la relation est-elle désormais apaisée ?

Les turbulences avaient en fait commencé sous Obama. Dans le cadre d’une redéfinition de la stratégie américaine, les États-Unis s’étaient détournés en partie de l’Europe pour se recentrer vers l’Asie. Les Allemands en avaient en partie fait les frais, avec, on peut le rappeler l’épisode très symbolique de l’écoute du téléphone portable d’Angela Merkel. Ces évolutions ce sont effectivement renforcées sous la période Trump, notamment par la décision de retirer une partie des troupes américaines stationnées en Allemagne. Geste qui avait provoqué beaucoup d’émoi dans la classe politique dirigeante allemande qui compte sur le soutien américain pour sa défense. Les signaux envoyés par Joe Biden, notamment le fait d’annuler le retrait militaire, ont laissé penser qu’on revenait à un état de lune de miel entre l’Allemagne et les États-Unis, mais il y a des difficultés qui préexistaient et qui vont persister même s’il y a des signes forts de la part des États-Unis notamment la levée des sanctions sur le gazoduc Nord Stream 2 [qui doit acheminer le gaz russe vers l’Allemagne en contournant l’Ukraine, NDLR]. Mais tout se paie à un moment et il est possible que la contrepartie soit conséquente pour l’Allemagne.

Quelle pourrait être la contrepartie ?

Ce ne sont que des hypothèses, mais on peut envisager plusieurs pistes. Des négociations pour que l’Allemagne continue de soutenir l’Ukraine, ce qui constituerait aussi un message à destination des partenaires européens que sont la Pologne et les pays baltes, qui voient la Russie comme un adversaire et une menace. La contrepartie pourrait aussi concerner les négociations commerciales entre l’Allemagne, l’Europe et la Chine, puisque la stratégie chinoise de Joe Biden ne correspond pas forcément à la stratégie allemande ou européenne. Il pourrait également être question de renforcer les liens commerciaux transatlantiques, la transition énergétique, les produits énergétiques américains envoyés vers l’Europe. Il faudra aussi regarder comment est abordée la question de la défense et dans quelle mesure les Allemands seront sollicités par l’allié américain pour participer davantage, dans le cadre de l’OTAN, aux opérations extérieures.

Le prochain départ d’Angela Merkel est-il source d’incertitude pour l’allié américain ? 

Effectivement, et cette invitation est peut-être, avant cette transition, une manière de sonder l’Allemagne, de montrer que même si l’Allemagne va bientôt changer de dirigeant, le pays en soi, la classe politique dans son ensemble, reste un allié fidèle. Quand le nouveau gouvernement sera en place en Allemagne, il faudra observer comment il se positionnera vis-à-vis des États-Unis, d’une manière générale, et de l’administration Biden de manière plus particulière. Mais le fait est qu’actuellement aucun parti politique qui peut prétendre rationnellement à la chancellerie ou au gouvernement n’est dans une logique de défiance vis-à-vis des États-Unis. Le lien transatlantique, l’attachement atlantiste est très fort, dans la plupart des partis politiques allemands.

À propos du Gazoduc Nord Stream 2, Angela Merkel a reçu en tout début de semaine Volodymyr Zelensky, le Premier ministre ukrainien. Elle a assuré que l’Ukraine resterait un pays de transit pour le gaz russe. Cet engagement à destination du Premier ministre ukrainien était-il également adressé aux Américains ? 

Oui, et c’est un changement de logique et de discours de la part d’Angela Merkel, qui avait déclaré lors de la conférence de sécurité de Munich, qu’une molécule de gaz russe, restait une molécule de gaz russe, qu’elle passe par la mer baltique ou par l’Ukraine. Donc c’est aussi un engagement vis-à-vis des États-Unis qui se sont engagés pour garantir à l’Ukraine, cette ressource financière importante que représente le transit du gaz russe. On voit peut-être déjà les premiers signes de la négociation qui a dû se tenir entre les États-Unis et l’Allemagne, avec le maintien des troupes américaines, le soutien des États-Unis et la levée des sanctions contre les entreprises impliquées dans la construction du gazoduc Nord Stream 2. D’une certaine manière, l’Allemagne doit toujours payer des contreparties ou donner des assurances pour s’assurer de l’amitié américaine.

L’autre dossier qui sera abordé lors de cette rencontre, ce sont les cyberattaques. Quel est l’enjeu d’une coopération entre États-Unis et Allemagne dans ce domaine ? 

L’enjeu peut être fort puisque les Allemands n’ont pas forcément les technologies, les ressources pour gérer ces cyberattaques, notamment russes. Des attaques importantes ont déjà visé le Bundestag, le Parlement allemand. Le soutien et l’aide des États-Unis en pointe dans ce domaine, peuvent être précieux pour les Allemands qui vont sûrement subir ce type d’attaque durant la campagne électorale. Des campagnes de déstabilisation pourraient viser les candidats qui seraient trop critiques envers la Russie. Les États-Unis ont les ressources pour agir, et sont implantés en partie en Europe et notamment à Berlin. Donc il s’agira d’un soutien précieux pour l’Allemagne.

Vous le disiez, c’est le dernier voyage aux États-Unis d’Angela Merkel en tant que chancelière. En 16 ans, elle aura côtoyé quatre présidents. Au final, quel bilan ? 

C’est compliqué puisque Angela Merkel a connu des présidents aux personnalités très différentes et dans des situations géopolitiques très différentes. Elle a connu un George Bush en fin de mandat. Une relation sous tension puisque le prédécesseur d’Angela Merkel, Gerhard Schröder, avait refusé de participer à l’intervention en Irak en 2003. Une position contraire à celle de l’allié traditionnel qu’était l’Allemagne, donc les États-Unis et l’Allemagne étaient en froid. Angela Merkel a tenté en partie de renouer avec George Bush, mais sans envoyer des troupes pour autant. Sous Obama, il y avait une communion de pensée autour de la défense de la démocratie libérale, du multilatéralisme, du libre-échange, etc. Mais les relations se sont tendues quand le président Obama s’est éloigné de l’Europe pour se rapprocher de l’Asie. Puis sont intervenues les affaires d’espionnage par les États-Unis, de dirigeants allemands notamment Angela Merkel. Bien sûr la présidence Trump est celle qui a le plus dérangé l’Allemagne. Trump n’a eu de cesse de montrer à Angela Merkel qu’elle représentait son exact opposé puisqu’elle représentait la stabilité, le calme, la tempérance vis-à-vis de ses exagérations. Il la considérait en quelque sorte comme son adversaire politique le plus important. Avec Biden, ce sera court, mais finalement c’est un peu comme sous Obama. Une communion d’esprit, puisque Biden reprend certaines thématiques d’Obama, mais on n’aura pas le temps de voir ces deux dirigeants mettre des choses en place.

Source :RFI