Nous nous sommes rendus, jeudi dernier, au camp improvisé des cheminots grévistes de la faim, sur les rails, à Dar Salam. Le président de la Corporation des conducteurs de train du Mali, Bolidiandian Kéita, nous a accordé une interview pour expliquer leur précarité.

Depuis quand dure votre grève de la faim ?

Depuis 72 jours, nous sommes en grève de la faim.  C’est à cause de notre situation d’impayés de salaires. Suite à ces impayés, nous avons eu des difficultés dans nos foyers. Avec les salaires payés,  on sait comment le Malien vit, mais surtout celui qui n’a pas de salaire depuis 2,6, jusqu’à 9 mois.  Alors, on peut imaginer dans quelle galère il est en train de vivre.

Quelles actions avez-vous eu à entreprendre ?

En un moment donné,  nous avons eu à occuper le goudron qui passe devant la mairie du district, par des wagons, mais par la suite,  il  y a eu des négociations,  on nous a promis le paiement de nos salaires,  donc, on a levé  ce blocage. Mais, nous avons vu que la situation est en train de s’empirer parce qu’on nous a payé deux mois, après ça, les arriérés se sont accumulés, jusqu’à ce qu’on soit arrivé à 9 mois d’impayés de salaires.

Avez-vous contacté les autorités ?

Nous avons rapproché le département des transports pour leur faire part de notre intention  de procéder à une grève de la faim, si nos salaires n’étaient pas payés. Donc, ils ont promis le paiement d’un mois de salaire,  ensuite, on a vu un document dans lequel  ils ont promis le paiement de deux mois de salaires, au moins, un document signé du Premier ministre, malheureusement, nous avons été surpris parce que, quand on dit : au moins 2 mois, ça veut dire qu’on peut aller jusqu’à 9 mois, sans aller à l’encontre de cette lettre. On a eu à nous payer que 2 mois, en fait, cela, pendant plus d’une trentaine de jours après la lettre. C’est ce qui nous a fait venir ici, parce que dans nos foyers, lorsque nous ne pouvons plus donner le prix de condiment à nos épouses, lorsque ce sont nos épouses qui nous prennent en charge, lorsqu’on ne peut pas soigner son enfant, qu’on ne peut pas donner à manger à son enfant, on le voit trainer, on sait qu’il a faim, ça, c’est des situations qu’on ne peut pas supporter, donc, nous avons dit :  au lieu de rester là à la maison à observer les enfants dans ces situations, des enfants qui ne vont plus à l’école, qui ont été renvoyés parce que les mensualités ne sont pas payées, nous décidons de venir ici pour montrer à l’opinion nationale et même internationale nos difficultés, afin qu’une solution soit trouvée

Vous allez continuer cette grève de la faim?

Oui ! Nous avons dit nos 9 mois. Si on nous paie nos 9 mois, nous allons lever le camp, nous ne sommes pas politiciens, nous ne sommes pas autre chose, nous voulons tout simplement nos arriérés de salaires pour faire vivre nos foyers, donc, si on nous payait nos arriérés aujourd’hui, nous allons lever le camp, ça, c’est sûr. Au jour d’aujourd’hui, il y a des paiements qui sont en cours. Nous n’avons pas tout à fait les précisions encore,  mais  ce ne sont pas les 9 mois qui seront payés,  bien sûr, mais, il y aura peut –être des mois payés aux banques. Nous ne savons pas ce que les banques vont faire, de par le passé, les banques ont été sensibles à notre cas, mais nos 9 mois ne sont pas encore payés, donc, nous sommes toujours là.

Quels ont été les drames, les morts, à l’occasion de cette grève de la faim ?

Depuis que nous vivons cette situation, nous avons eu, en tout et pour tout, 7 décès d’agents, d’épouses d’agents, d’enfants d’agents, parce que les agents n’ont pas été en mesure de se soigner, ils n’ont pas été en mesure de soigner leurs enfants, leurs épouses. Le premier jour, quand nous avons fait ce camp, un de nos agents nous a rapproché,  en tant que responsables, il nous a dit : aidez moi,  mon enfant doit être opéré,  je n’ai pas les moyens,  nous même, on n’avait pas les moyens, alors, que faire ? Donc, dans cette attente, le surlendemain, à 23 heures, sa femme l’a appelé pour lui  annoncer le décès de l’enfant.  Nous sommes partis sur le terrain et dans  la famille, nous avons vu,  dans la famille, que l’agent était face à son enfant défunt. Il nous a dit : « si j’avais eu les moyens,  si  les salaires, les arriérés avaient été payés, mon enfant n’allait pas mourir. » Peut-être que l’enfant allait mourir, parce que la vie appartient à Dieu, mais de toutes les manières, quand un chef de famille voit qu’il n’a pas pu soigner son enfant, il se rend coupable de la mort de cet   enfant et je peux vous citer le dernier cas, c’était Monsieur Sissoko, il était la plaque tournante de la grève de la faim de Kita. Je me suis déplacé personnellement pour assister à son enterrement,  j’ai même fait la 2ème et la 3ème année dans la même classe que lui.  Quand  j’ai rencontré sa femme,  je lui ai demandé s’il était malade et depuis quand, elle m’a dit, non ! En fait, il n’était pas couché,  mais l’autre jour, il s’est plaint,  on l’a amené à l’hôpital, on nous a demandé de l’évacuer sur Bamako et elle a dit qu’il ne peut pas être évacué à Bamako, parce qu’il n’a pas de moyen.  Sa femme m’a dit : «  je lui ai dit que mes  parents qui sont là-bas vont le  prendre en charge, il m’a dit que mes parents en ont assez fait déjà, je n’ai même pas de moyens de transport, pour aller à Bamako. »  Sa femme a dit : «  non !  Le prix de condiment qu’on nous a donné l’autre jour, on prendra ça pour ton transport », il  a dit : «  je n’ose pas  prendre le  prix du condiment, si je le prends pour mon transport, qu’est-ce que tu vas faire pour faire vivre  mes enfants ici, pour leur faire manger,  je préfère que cet argent soit gardé pour mes enfants, donnez-moi un peu de paracétamol,  ça va passer. » La même nuit, on l’a perdu, ça veut dire que s’il avait les moyens, il allait être évacué à Bamako, peut-être, qu’est-ce qui allait se passer, on ne peut pas le savoir, mais d’ores et déjà, c’est la précarité de ces agents que nous regrettons.
Propos recueillis par Baba Dembélé 

Source: Canard Déchainé