Le métier d’art plastique qui, auparavant, était méconnu du public malien,  commence à se développer et cela grâce à l’effort conjugué de nos jeunes artistes plasticiens, qui s’évertuent à hisser la visibilité de leur art. Et Habibatou Yayi Keita fait partie de ce lot d’artistes. Issue du Conservatoire des arts et métiers  »Balla Fasseké Kouyaté », Habibatou Keïta, affectueusement appelée  »Yayi » par ses proches, est réputée pour sa détermination et son audace. Ses œuvres créent un pont entre l’individu et sa culture. Notre équipe est allée à sa rencontre pour connaitre davantage ses créations et ses ambitions.

 

‘Indép week-end : Comment est née en vous l’envie d’être artiste peintre ?

Habibatou Yayi Keita : Je dirais que le sens artistique est inné chez moi et mes premières révélations m’ont été faites à l’école primaire où j’étais chargée de faire les croquis des animaux et des cartes. Après l’obtention de mon baccalauréat, en série Sciences Expérimentales, mon désir d’être médecin s’est vite dissipé, laissant place à ma passion, qui est l’art et, avec le conseil et l’approbation de mon père, qui est mon idôle et ma principale source de motivation, j’ai commencé mes créations artistiques une fois inscrite au  Conservatoire des Arts et Métiers Balla Fasseké Kouyaté. S’en sont suivies mes diverses participations aux expositions et événements artistiques. Après des années d’études et de créations, avec mes amis artistes plasticiens, nous avons décidé de former le collectif  »Sanou’Art » pour promouvoir nos œuvres, tout en étant solidaires. Et je peux dire que, ce qui m’a le plus motivée dans l’exercice de ce métier, c’est de montrer à tous, surtout dans notre société, que les femmes, également, peuvent être des artistes plasticiennes et peuvent même aller au-delà des imaginations. C’est un combat pour moi de réussir dans ce domaine pour donner l’exemple.

L’Indép Week-end : Pouvez-vous nous décrire un peu vos œuvres ?

H.Y.K : Mon ambition est de valoriser l’art plastique au Mali tout en faisant la promotion de nos identités culturelles. J’utilise la technique mixte, c’est-à-dire, un mélange de plusieurs éléments. Mais la majeure partie de mes œuvres est constituée de portraits (auto portrait, en particulier). Récemment, j’ai travaillé sur les coiffures traditionnelles pour les mettre en valeur, car nos coiffures ont tendance à disparaître sous l’emprise de la modernité et c’est ma contribution, en tant qu’artiste, d’immortaliser nos cultures, tout en y ajoutant ma touche personnelle.

L’Indép Week-end : D’où vous viennent vos inspirations ?

H.Y.K : Je  puise mon inspiration dans la société, les êtres, les faits, nos valeurs et cette inspiration, je l’obtiens pendant la nuit où tout est calme, dans le noir. Je peux également dire que mon père m’a beaucoup inspirée à l’entame de ma carrière.  Etant un décorateur, il m’a aidée avec ses idées et ses techniques.

L’Indép Week-end : En tant que femme, avez-vous avez rencontré des difficultés dans votre carrière ?

H.Y.K : à mes débuts, j’ai eu pas mal de difficultés. Premièrement, du fait que le métier d’artiste peintre n’est pas valorisé à sa juste valeur et aussi la faible adhésion des femmes dans ce domaine. Deuxièmement, dans ma famille qui, jusqu’à présent, n’arrive pas à comprendre le métier d’artiste. Notre travail n’a pas d’horaire ni d’endroit, nous sommes obligés de collaborer avec tout le monde et partout. La plupart de mes créations se réalisent pendant la nuit, ce qui est source de problème avec les membres de ma famille, car, pour elle, c’est dans la journée que l’on doit bosser et retourner à la maison le soir. Le pire, des fois, elle s’oppose même à des voyages, qui peuvent me permettre de vendre mes œuvres à l’international.

Enfin, troisièmement, il est très difficile de vivre de son art au Mali et, souvent même, on manque d’argent pour l’achat du matériel de production.

L’indép Week-end : Que faut-il faire pour résoudre cette problématique de vivre de son art au Mali ?

H.Y.K : Pour que les artistes puissent vivre de leur métier au Mali, il faut que les Maliens commencent à valoriser les œuvres artistiques et cela en devenant  les premiers consommateurs des produits. Nous produisons au Mali avec des matériaux de notre pays mais force est de reconnaître que nos œuvres sont plus vendues à l’extérieur qu’à l’intérieur. Or, personne d’autre ne pourra promouvoir notre culture mieux que nous-mêmes, alors, aidons-nous et aidons nos artistes en valorisant leurs efforts. Car, le métier d’artiste, surtout peintre, est un travail de longue haleine,  de créativité et surtout d’imagination.

L’Indép. Week-end : Vous avez participé au vernissage de l’exposition  » Branlette Intellectuelle « , il y a peu de temps. Pouvez-vous nous dire un peu en quoi consistait ce projet ?

H.Y.K : C’était une exposition résultant d’une résidence de création initiée par le collectif  »Sanou Art », en collaboration avec  »Siif’Art ». Cette création portait sur l’actualité malienne et consistait à montrer le vrai visage de nos dirigeants et la manière dont ils nous  » masturbent le cerveau  » pour arriver à leurs fins politiques. Et je peux dire que l’exposition a été vraiment une réussite pour notre carrière artistique car, grâce à ces œuvres, nous avons démontré notre implication et notre place dans le processus de changement et de développement, en sensibilisant  les uns et les autres.

L’Indép. Week-end : Quels sont vos projets ?

H.Y.K : J’ai plusieurs projets de créations, tant individuels que collectifs. Après l’obtention de ma licence, j’ai voulu me consacrer entièrement à ma passion mais, Dieu faisant les choses, la Covid-19 est apparue et tout est bloqué pour le moment. Aussi, je communiquerai sur ces projets au moment opportun.

L’Indép Week-end : Votre dernier mot ?

H.Y.K : J’ai une pensée pieuse pour ma défunte mère et je remercie mon père qui m’a transmis l’amour de l’art et de qui je tiens cette vocation. En tant que femme, je lance un appel à toutes mes sœurs et mères pour être des battantes et de ne jamais baisser les bras.

Aminata Kébé

Source: l’Indépendant