La situation sociopolitique du Mali oblige à voir au-delà du seul juridisme qui domine le débat public.

Des chercheurs et journalistes maliens avaient lancé, il y a bientôt un an, un appel à rehausser le niveau du débat public dans l’espace médiatique. Dans Appel du 30 juin : plaidoyer pour rehausser la qualité du débat public, les signataires ont rappelé la difficile situation sociopolitique du pays, analysé les facteurs principaux expliquant la faible qualité des débats sur les questions d’intérêt général, et ont pointé le rôle des médias. Conscients des difficultés auxquelles sont confrontées les entreprises de médias, ils ont fait des recommandations afin de contribuer à « mieux structurer et équilibrer les débats ».

Depuis la publication de cet appel, on constate des avancées dans le choix des intervenants dans certaines émissions très suivies. L’innovation avec la naissance de Conversations citoyennes de l’Observatoire citoyen sur la gouvernance et la sécurité (OCGS) a sans doute beaucoup contribué à cela.

Mais un fait inquiétant pour un passionné de débat et des idées : c’est le juridisme dans lequel est tombé le débat public.

De fait, plus d’un citoyen malien est devenu juriste, notamment sur les réseaux sociaux. Le débat public est lui-même dominé par des questions juridiques. Sans vouloir entrer dans des considérations doctrinales et doctrinaires, le juridisme peut se définir comme « attachement étroit à la règle juridique ; tendance à considérer les questions de manière formelle, sous le seul angle juridique ».

Ne pas ramener tout au droit

Quand la Cour constitutionnelle malienne a ordonné Assimi Goïta nouveau président de transition, après un deuxième coup de force militaire, en moins d’un an, des juristes l’ont critiquée. Ils ont soutenu, à tort ou à raison, que cette décision n’est pas légale. Et, pourtant, à lire et à analyser cette décision, on pourrait estimer que les sages de la Cour constitutionnelle ont adopté une approche qui vise à ne pas s’enfermer dans le seul juridisme. Cette approche est celle que Bourdieu et Gouldner recommandaient d’ailleurs aux juristes d’université et de profession, voire de formation. Il leur est donc suggéré de ne pas ramener tout au droit pour tenir une analyse sous ce seul angle, et de s’ouvrir.

Dans cette transition, le combat des juristes devrait rester ou être la défense des acquis en droits fondamentaux. Et non, à mon avis, de toujours continuer à spéculer sur le « légalement correct » ou la constitutionalité des actes posés ou non par les autorités.

Prendre du recul

Outre le débat juridique qui domine et divise, un autre constat écœurant sur les réseaux sociaux, surtout Facebook : des enseignants-chercheurs, dont certains sont respectés dans leurs domaines respectifs, se permettent de donner dans l’instantanéité  des analyses si lamentables.

Alors que pour l’universitaire, chercheur et observateur, l’un des caractères devant toujours guider est la réserve ou l’économie de s’exprimer publiquement sur certains sujets ne se situant pas dans son domaine de compétence. Surtout des sujets de haute importance pour la science et la société.

Les « spécialistes et analystes » devraient aussi prendre cela en compte. Il ne suffit plus de tenir une page ou un compte avec des milliers d’abonnés comme les « direct-eurs » ou savoir enchaîner des mots en français, souvent discutables ou avoir fait des études universitaires. Mais d’être aussi pertinent et objectif que possible dans ses analyses et points de vue. Le tout en créant une tribune où seules les idées et la force des arguments gagnent. Il faut savoir prendre du recul face à l’actualité et non de continuer à faire preuve d’une « économie de la colère »

Pour moi, le juridisme n’a de sens que dans un ordre démocratique ou semblant démocratique, mais pas dans une transition opérée par un coup de force militaire.

 

Source: benbere