L’ancien président malien Ibrahim Boubacar Keïta, dit IBK, est décédé ce dimanche 16 janvier à Bamako, à l’âge de 76 ans. Il a dirigé le pays de 2013 à 2020. Retour sur son parcours politique.

Au pouvoir jusqu’à son renversement par la rue en 2020, le président Ibrahim Boubacar Keïta a longtemps incarné les espoirs de paix des Maliens, confrontés depuis des années à des attaques jihadistes et aux violences intercommunautaires.

Sa première élection à la magistrature suprême, en 2013, dans la foulée de l’intervention réussie de l’armée française contre les islamistes au nord du Mali, avait marqué la fin de la crise la plus grave que ce pays a connue depuis son indépendance en 1960.

On le savait malade. En 2015 déjà, il était donné pour mort lorsqu’il a disparu de l’écran en allant se faire soigner à Istanbul. Puis, en avril 2016, il a été opéré en France d’une « tumeur bénigne », selon le communiqué de presse officiel. En septembre 2020, quelques jours après le renversement de son régime, il fut victime d’un accident vasculaire cérébral qui avait nécessité une évacuation sanitaire vers les Émirats arabes unis. Il était revenu au pays en octobre, suite à un séjour médical d’un mois et demi à l’étranger.

 Noceur compulsif

Ibrahim Boubacar Keïta, dit IBK, est né le 29 janvier 1945 à Koutiala (sud), à l’époque de la colonisation française. Fils d’un haut fonctionnaire dans l’administration coloniale, le jeune Ibrahim a effectué une partie de ses études secondaires en France, au prestigieux lycée parisien Janson-de-Sailly, avant de revenir passer son baccalauréat à Bamako. Le bac en poche, il repart en France où il fait des études de lettres modernes, d’histoire et de relations internationales. Plus tard, il travaillera à Paris comme chargé de recherches et enseignera les relations internationales à l’université de Paris-Tolbiac. Amoureux de la langue et de la civilisation françaises, l’homme pratiquait un français châtié, ponctuant ses phrases d’imparfaits du subjonctif et de citations littéraires.

IBK a vécu un quart de siècle dans l’Hexagone. C’est pendant ce séjour que le futur président s’est fait une solide réputation de noceur compulsif. De l’aveu de ses amis proches, il aimait la fête, les bons vins et les cigares. Mais cela ne l’empêchera pas dans les dernières années de sa vie d’embrasser l’islam le plus rigoriste et de se sacrifier au rituel de pèlerinage à La Mecque.

De retour au Mali dans les années 1980, IBK fut tour à tour conseiller du Fonds européen de développement (FED), puis chef d’un projet de développement à l’antenne africaine de l’ONG française Terre des hommes. Il s’engagea en même temps dans la vie politique nationale en rejoignant clandestinement le mouvement démocratique malien qui œuvrait alors pour le renversement du régime dictatorial de Moussa Traoré, en place à Bamako depuis 1968. Il se revendiquait de gauche.

L’intérêt pour la politique du président Keïta date de ses longues années parisiennes au cours desquelles il milita au sein de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF), mouvement connu pour ses prises de position proches de l’extrême gauche. C’est à la FEANF que le futur chef de l’État malien fit la connaissance du Guinéen Alpha Condé, de l’Ivoirien Laurent Gbagboet du Nigérien Mahamadou Issoufou, tous destinés à jouer des rôles de premier plan dans leur pays respectif.

Membre par ailleurs de l’Internationale socialiste, IBK fréquenta dès les années 1990 les futurs responsables socialistes français (François Hollande, Manuel Valls et Laurent Fabius notamment) dont les chemins croiseront le sien lorsqu’il accèdera à la présidence de son pays en 2013.

Un homme à poigne

À la fin des années 1980, le Mali est à la croisée des chemins. La fin de la guerre froide avait accéléré le processus démocratique en marche dans le pays. Mais comme le lieutenantMoussa Traoré,à la tête du pays depuis 24 ans, refusait d’abandonner le pouvoir, des émeutes éclatèrent dans les grandes villes. Ces troubles débouchèrent sur un coup d’État militaire. Traoré est jeté en prison et un autre militaire, le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré, prend alors les rênes du pouvoir.

Sous la pression internationale, le nouvel homme fort de Bamako promet de rendre rapidement le pouvoir aux civils. Ce sera chose faite dès 1992 avec l’organisation des premières élections libres et transparentes, dans le cadre d’une nouvelle Constitution instaurant le pluralisme politique et un système présidentiel. Candidat de la société civile,Alpha Oumar Konaré est élu président.

IBK, l’un des membres fondateurs du parti Adema (Alliance pour la démocratie au Mali) qui avait porté le président Konaré au pouvoir, devient alors le conseiller diplomatique du nouveau chef de l’État du Mali. En 1993, Konaré le nomme ambassadeur en Côte d’Ivoire, avant d’en faire son ministre des Affaires étrangères, puis son Premier ministre.

IBK restera à la primature de 1994 à 2000, faisant preuve d’une longévité record à ce poste. Gérant avec une très grande fermeté les diverses tensions qui minent le pays à l’époque – rébellion touarègue, contestation des militaires, grève estudiantine –, il se taille la réputation d’homme à poigne, tout en s’imposant comme un négociateur habile, capable de canaliser les mécontentements. Son savoir-faire lui vaut alors le surnom de « kankeletigui » qui signifie en bambara « l’homme qui n’a qu’une parole ».

Or ses succès en tant que gestionnaire de crises ne suffisent pas à l’ambitieux Premier ministre malien pour obtenir l’investiture du parti au pouvoir pour le scrutin présidentiel de 2002. IBK claque alors la porte d’Adema pour fonder son propre parti, le Rassemblement pour le Mali (RPM), mais il est supplanté à la présidentielle par le fringant militaire Amadou Toumani Touré, alias ATT. Ce dernier le nomma au perchoir afin de garder le turbulent concurrent à ses côtés.

Nouvelle douche froide en 2007, avec une nouvelle défaite électorale face au président sortant. Cette fois, cependant, IBK se range résolument dans l’opposition et s’attache à peaufiner son profil de présidentiable en attendant son heure. Celle-ci va sonner cinq ans plus tard, lorsque sa candidature est soutenue par une coalition de 35 partis. Néanmoins, le coup d’État militaire de 2012 qui renverse le régime d’ATT oblige Bamako à reporter le scrutin. Enfin, comme un malheur n’arrive jamais seul, c’est aussi le moment que choisissent les rebelles touareg du Nord pour faire sécession et transformer tout le nord du Mali tombé sous la férule des islamistes en une théocratie musulmane indépendante régie par la charia.

IBK tient sa revanche

En janvier 2013, à la demande des autorités de transition malienne, les militaires français interviennent au Mali en soutien de l’armée nationale pour stopper l’offensive islamiste vers le sud et chasser les belligérants en dehors du pays. L’opération militaire française baptisée « Serval » est une réussite partielle avec la déroute provisoire des jihadistes. Les conditions sont désormais réunies pour l’organisation de la présidentielle qui avait été reportée.

Le scrutin aura lieu en 2013. Cette fois, IBK tient sa revanche. Auréolé de sa longue expérience politique, le kankeletigui remporte la présidentielle avec presque 78% des voix sur son adversaire, l’ancien ministre des Finances Soumaïla Cissé. Tacticien hors pair, il s’était appuyé sur son image de l’homme du sérail tout en dramatisant ses prises de distance par rapport au régime de son prédécesseur pour mieux persuader ses électeurs qu’il se situait au-dessus des partis et était le seul capable de garantir l’unité du pays. La population malienne fut particulièrement sensible aux accents quasi gaulliens des discours de campagne d’IBK. Celui-ci n’eut de cesse de répéter que sa candidature était animée par « une certaine idée du Mali »et par son désir de restaurer « l’honneur » du pays.

Les années IBK au Mali sont marquées par des hauts et des bas. Le travail de reconstruction de l’État malien auquel le nouveau président s’attèle dès le lendemain de son élection est ralenti par les lourdeurs de l’administration malienne et la dégradation de la situation sécuritaire dans le pays.

L’accord de paix et de réconciliation signé en 2015 entre Bamako et les ex-rebelles touaregs du Nord est sans doute l’avancée la plus importante réalisée pendant le premier mandat d’IBK. Cet accord prévoie des mesures permettant d’isoler définitivement les jihadistes, tout en accordant des pouvoirs décisionnels aux populations locales.

Mais ces mesures tardent à se traduire par des changements concrets sur le terrain. Cette lenteur des réformes à laquelle viennent s’ajouter d’autres problèmes de fond liés à la justice, la corruption, la pauvreté, l’insécurité et les conflits intercommunautaires, alimentent la colère populaire, sans pour autant réussir à empêcher la réélection d’IBK à la présidence en 2018. Il remporte le scrutin avec 67,17 % de suffrages.

D’emblée, le second mandat d’IBK est hanté par les problèmes que le chef de l’État malien n’a pas su régler pendant son premier quinquennat, à savoir le retour à la paix et la question de l’insécurité. En dépit des interventions étrangères, les violences jihadistes se poursuivent et s’étendent au centre du Mali et aux pays voisins. À cela s’ajoute une situation sociale délétère qui s’aggrave en 2020 sous le double impact de la crise économique et la pandémie de Covid-19.

En juin 2020, profitant du mécontentement populaire, l’opposition malienne, longtemps divisée, se constitue en une coalition hétéroclite réunissant opposants politiques, guides religieux et membres de la société civile. Le « Mouvement du 5 juin » organise plusieurs manifestations, réclamant la démission du président Keïta, accusé de mauvaise gestion et de corruption.

Le 18 août, après avoir été contesté dans la rue des semaines durant, le président malien est arrêté par des militaires qui avaient entre-temps rejoint les manifestants. Ce sont les médiateurs de la Cédéao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) qui arracheront à la junte désormais au pouvoir à Bamako la libération du chef de l’État déchu afin que celui-ci puisse rentrer chez lui et se faire soigner pour ses problèmes de santé.

« J’ai beaucoup à apporter au Mali », aimait répéter le président Ibrahim Boubacar Keïta qui a cru jusqu’au bout à sa bonne étoile. Ce « musulman cartésien », selon sa propre formule, n’aura pas eu le temps, ni sans doute l’énergie, pour mener à bout sa promesse de réédification de l’État malien.

Décédé à son domicile de Bamako, ce dimanche 16 janvier 2022, l’homme aurait eu 77 ans à la fin du mois. Le coup d’État qui l’a renversé, en aout 2020, a été suivi d’un deuxième, en mai 2021, portant à la tête du pays une junte conduite par le colonel Assimi Goïta. Le refus de ce dernier de ne pas organiser des élections démocratiques permettant le retour des civils au pouvoir, a conduit la Cédéao à infliger de lourdes sanctions au Mali.

Source: RFI