L'afflux de djihadistes mondiaux au Mali s'est arrêté ce mois-ci après que les forces africaines et françaises eurent abattu plusieurs hauts responsables d'al-Qaida.

L’afflux de djihadistes mondiaux au Mali s’est arrêté ce mois-ci après que les forces africaines et françaises eurent abattu plusieurs hauts responsables d’al-Qaida.

La perte de ses principaux leaders et les traques incessantes par la coalition militaire au Mali pourraient signifier la fin d’al-Qaida au Maghreb islamique dans tout le Sahel, estiment les analystes locaux.

 

Les cloches de la mort résonnent pour la branche nord-africaine d’al-Qaida

Alors que la campagne militaire française et africaine contre les terroristes dans le nord du Mali est entrée dans son deuxième mois, les montagnes des Ifoghas, autrefois sanctuaire de l’organisation, sont désormais le tombeau de plusieurs hauts leaders d’al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI).

Le premier à tomber aura peut-être été le plus important d’entre eux : Abdelhamid Abou Zeid. Quelques jours plus tard, les troupes tchadiennes ont revendiqué la mort de Mokhtar Belmokhtar,alias Khaled Abou El Abbas, ou « Laaouar », le cerveau de l’attaque d’In Amenas en janvier, qui a coûté la vie à trente-sept civils.

Le plus récent chef d’al-Qaida, El Kairouani Abu Abdelhamid al-Kidali, aurait également été éliminé le 7 mars par les forces franco-tchadiennes à Aguelhok.

« La chute de ces leaders a indubitablement et fortement affecté le moral et la force militaire d’AQMI », explique le directeur de Sahara Media Ahmed Ould Abah.

« Abou Zeid et Khaled Abou El Abbas avaient contribué à l’implantation d’AQMI dans la région et rallié les éléments les plus engagés et les plus fidèles à leur conception du terrorisme », ajoute-t-il.

Mais aujourd’hui, tous les combattants qui s’étaient rués dans le désert du Sahel et dans le nord du Mali sont désormais la cible des frappes aériennes et des troupes au sol. Les remplacer ne sera pas facile.

« Les djihadistes ne sont pas suffisamment nombreux pour envoyer des renforts sur tous les fronts dans le monde », explique Ould Abah.

« La Syrie, le Yémen et la Somalie les en empêchent déjà », ajoute-t-il.

Selon les observateurs, les capacités et la taille réelles d’al-Qaida ont été exagérées. L’organisation est aujourd’hui confrontée à une offensive militaire majeure à laquelle il est impossible d’échapper.

« L’arrivée de la France et de ses alliés africains a été le coup le plus sévère porté aux groupes terroristes au Sahel. Il est donc naturel que leurs leaders tombent », explique Mahmoudi Ould Salem, spécialiste mauritanien de la sécurité, à Magharebia.

« Ils savent parfaitement qu’ils se battent dans une région qui ne les avantage pas géographiquement, contre une force qui leur est bien supérieure, à la fois militairement et techniquement. De plus, les populations locales elles-mêmes se sont dressées contre eux », ajoute-t-il.

Il est improbable que les terroristes dans le nord du Mali reçoivent un quelconque soutien extérieur des djihadistes mondiaux en quête d’un champ de bataille, ajoute-t-il.

Selon ce spécialiste mauritanien de la sécurité, la raison de cette réduction escomptée des effectifs est que Laaouar, Droukdel, El Hammam et d’autres terroristes d’AQMI ont eu beaucoup de difficultés à persuader les djihadistes mondiaux de se joindre à leur cause, « par suite de leur implication dans des crimes, comme les enlèvements d’enfants et de femmes, et de leurs liens avec les réseaux de trafic d’armes et d’êtres humains ».

Cette incapacité à attirer des recrues pourrait être le signe du déclin d’AQMI, selon Sy Djibril de SOS Pairs Educateurs Association, une agence de développement de la jeunesse basée à Nouakchott.

Ayant assisté à la propagation de l’idéologie djihadiste par les associations du renouveau religieux dans les années 1980 et travaillant aujourd’hui avec la jeunesse à risque, il bénéficie d’une perspective unique sur cette question du recrutement.

« La perte des principaux leaders d’al-Qaida signifie que le groupe va perdre ses réseaux de relations dans le désert, son expérience, son argent et sa capacité à convaincre les jeunes », explique-t-il.

Nous assisterons également à des conflits entre les successeurs potentiels, ajoute Djibril.

« L’ossature des groupes terroristes a été brisée », conclut-il. « Par conséquent, ceux qui restent en vie s’attacheront avant tout à se protéger contre leur élimination dans les mois à venir. »

Les rivalités internes entraînent des fractures au sein des groupes terroristes

AQMI est déchirée par les graves désaccords entre ses leaders. Et avec la mort d’Abdelhamid Abou Zeid, l’étau se resserre sur ceux qui subsistent.

Ces dernières semaines, l’armée algérienne a renforcé sa présence le long de la frontière avec le Mali pour priver les terroristes du soutien des réseaux de trafiquants et les empêcher de chercher refuge en Algérie. La Mauritanie a procédé de même.

Mais les dissensions internes au sein de l’organisation terroriste avaient en fait commencé il y a plusieurs années.

L’analyste et historien Sidati Ould Cheikh rappelle que « pendant longtemps, Mokhtar Belmokhtar avait été le dirigeant incontesté des réseaux djihadistes, d’abord dans le sud de l’Algérie, puis dans le nord du Mali ».

En 1992, il avait été nommé chef des opérations au Sahara par le Groupe islamique armé (GIA).

Belmokhtar avait changé d’allégeance six ans plus tard et était parti avec ses partisans rejoindre la nouvelle AQMI. Il disposait de positions de repli dans le Sahara algérien, dans la région de Tanezrouft, et dans le nord du Mali voisin, mais avait choisi de se concentrer sur la Mauritanie pour y mener ses actions violentes.

Il avait aussi collaboré avec les réseaux de trafiquants, y gagnant le sobriquet de « M. Marlboro ».

Mais la transformation du GSPC en AQMI facilita l’arrivée au pouvoir d’Abou Zeid dans le sud-est de l’Algérie. Il gonfla les rangs de sa propre organisation en y multipliant les coups d’éclat, explique Ould Cheikh.

« L’activisme tous azimuts d’Abou Zeid ne tarda pas être remarqué par al-Qaida central, qui établit des contacts directs avec lui. Ce fut le début de la rivalité entre les deux hommes », explique-t-il.

Et Ould Cheikh d’ajouter : « Ce fut Abou Zeid qui prit l’initiative, en décembre 2008, de porter la violence djihadiste dans le Sahel et notamment au Niger, jusque-là épargné par AQMI. »

Il y commandita l’enlèvement du représentant du Secrétaire général de l’ONU à Niamey, ainsi que de son adjoint, tous deux de nationalité canadienne. Il organisa également l’enlèvement de quatre touristes européens et, après s’être concerté avec le commandement central d’al-Qaida, fit procéder à l’exécution de l’un d’entre eux, le Britannique Edwin Dyer, en mai 2009.

Il rompit ce faisant avec la politique de négociation qui prévalait jusque-là au sein d’AQMI en général, et chez Belmokhtar en particulier.

« C’est dans cette même logique d’escalade qu’Abou Zeid vint défier Belmokhtar jusque dans son fief en faisant assassiner, en juin 2009 à Tombouctou, un officier malien, déclenchant une série de combats dans le nord du pays », ajoute cet historien.

« Ces rivalités se sont exacerbées au fil des ans et sont devenues tout à fait nuisibles à la cohésion et à l’efficacité de l’organisation terroriste. »

Pour l’analyste Abdou Ould Mohamed, « les divergences n’ont ensuite cessé de se creuser ».

En 2012, le chef d’AQMI Abdelmalek Droukdel(alias Abou Moussaab Abdelouadoud) menaça son ancien protégé.

Abou Zeid passa alors du statut de favori à celui d’ennemi juré.

Selon les forces de sécurité algériennes, ce litige survint à la suite d’un différend sur l’argent. Abou Zeid aurait refusé de partager l’argent des rançons.

Comme l’explique Ould Mohamed, « ces menaces coïncidèrent avec la nomination du nouvel émir d’AQMI au Sahara, l’Algérien Jamel Oukacha, (aliasYahya Abou El Hammam), âgé de 34 ans. »

Il fut nommé après que son prédécesseur, Nabil Abou Alqama, eut trouvé la mort dans un accident de voiture au Mali.

Selon Ba Bokar, professeur de relations internationales, « les divergences au sein d’al-Qaida au Maghreb devinrent plus importantes après le conflit en Libye, qui tourna à l’avantage d’Abou Zeid ».

 

« De plus en plus indiscipliné, ce dernier entreprit de créer son propre réseau avec l’aide des insurgés libyens, qui lui permirent d’acquérir des armes sophistiqués », explique-t-il à Magharebia.

De l’avis de Bokar, « ce qui se passe entre les chefs terroristes au Mali n’est plus une guerre de leadership ou de partage de butin ; il s’agit de savoir qui va contrôler le Sahel ».

« C’est une question de grosses sommes d’argent, issues des rançons, des trafics d’armes, de drogue, de la contrebande et de l’immigration clandestine », ajoute-t-il.

« C’est donc une guerre dans la guerre qui n’arrange pas les terroristes, qui sont en train de se brûler avec le feu qu’ils ont eux-mêmes allumé », conclut-il.

Par Jemal Oumar et Bakari Gueye à Nouakchott pour Magharebia

 

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